HADOUK – Le Concile des oiseaux
(Continuo Musique)
Ce coup-ci, c’est la der des der. Il faut savoir achever une histoire, et cet album se présente comme la conclusion – et peut-être même la table des matières – de celle de HADOUK, l’entité créée par deux amis de longue date, Didier MALHERBE et Loy EHRLICH, dont les parcours musicaux sont passés par moult sentiers de traverse, du rock psychédélique (GONG pour le premier, CRIUM DELIRIUM pour le second) aux musiques du monde (l’Inde pour MALHERBE, l’Afrique pour EHRLICH). L’histoire de HADOUK se sera déroulée sur quasiment trois décennies et s’est écrite au fil de dix chapitres discographiques (sept CD albums studio, deux albums live et deux DVD). C’est un fort bel exploit en vérité pour une cellule musicale qui a fait du pèlerinage sonore utopiste son cheval de bataille, et qui aura sillonné durant tout ce temps les sentiers les plus luxuriants entre ces deux points cardinaux que sont le jazz et la world fusion.
Le Concile des oiseaux pourrait donc être considéré comme une dernière ligne droite avant la ligne d’arrivée, à ceci près que l’image de la ligne droite est par trop rigide pour rendre compte de l’univers sonore dessiné par HADOUK, qui privilégie avant tout les sinuosités venteuses, les volutes serpentines, les spirales brumeuses et les circonvolutions songeuses, de même que les ondulations clapoteuses, les flots végétalisés et les envolées mutines. C’est dans le mouvement aussi feutré qu’enluminé que HADOUK s’est épanoui durant ses « trente glorieuses », et qu’il a dessiné sa carte géo-musicale aux contours en forme de flux et de reflux plutôt que de poste-frontières fixes.
HADOUK a toujours révélé une nature volatile, et il en fournit une nouvelle preuve en intitulant son dixième album le Concile des oiseaux, en écho à une composition de son tout premier album éponyme, Bal des oiseaux. Et parce que, comme on l’a dit, le monde de HADOUK est moins fait de lignes droites que de courbes, le Concile des oiseaux boucle la boucle en s’adjoignant à titre complémentaire cette première borne discographique datée de 1996, adéquatement réintitulée pour l’occasion le Bal des oiseaux.
C’est ainsi sous la forme d’un double disque digipack que se présente cet album de HADOUK, présentant son dernier chapitre sur le CD 1, et son premier chapitre sur le CD 2, à titre de rappel. (Et ça tombe bien, vu que l’édition initiale de ce premier disque était devenue introuvable!) Du Bal au Concile, ou du Concile au Bal, l’opportunité est donc offerte aux auditeurs de mesurer le chemin parcouru par le duo Didier MALHERBE et Loy EHRLICH, le premier étant préposé aux instruments à vents et le second aux instruments à cordes ou à claviers (plus quelques percussions).
Et a priori, l’auditeur candide se dira que les choses n’auront guère changé en une trentaine d’années. Ce serait oublier que si duo il fut au départ et si duo il est à l’arrivée, HADOUK en est passé entre temps par d’autres métamorphoses expansionnistes, ayant mué en trio avec l’intégration du multi-percussionniste Steve SHEHAN – formation qui a perduré le plus longtemps, de Shamanimal en 1999 à Air Hadouk en 2011, en passant par Now (2002), Live à FIP (2004), Utopies (2006), En concert au Satellit’Café (2006) et Baldamore (2007) – puis en quartet, avec le guitariste Eric LÖHRER et le batteur Jean-Luc DI FRAYA sur Hadoukly Yours (2013) et le Cinquième Fruit (2017).
Mais quel que soit le nombre de pélerins qui furent impliqués, un seul mot d’ordre aura toujours dirigé la caravane hadoukienne, celui d’illustrer son goût pour la randonnée nomade, la baguenaude de traverse, l’odyssée migratoire, l’important étant moins la destination que le trajet.
L’histoire s’achève donc comme elle a démarrée, en tête-à-tête entre MALHERBE et EHRLICH, chacun déployant une fois encore un panel instrumental aussi chatoyant que bigarré, révélant de nouveaux instruments conçus spécialement pour eux par différents luthiers (Philippe BERNE, Craig RYDER, Jean-Paul ROSTAIN et la structure la Terre sonore).
Au binôme de base hajouj (basse gnawa) + doudouk (hautbois arménien) s’ajoutent donc d’autres vents et peaux, qui se conjuguent dans des combinaisons sans cesse renouvelées le long des dix pièces enregistrées pour ce Concile des oiseaux : hajouj + doudouk sur Less Gravity, flûte + guembri pour mener la Dew Dance, doudouk + kora sur Hadouk Song, flûtes + hajouj + claviers dans Soli Fugae, khaen (orgue à bouche) + claviers pour évoquer le Hasard à bretelles, flûte + vièle ribab dans El Jazzouli, flûte Bawu + hajouj sur un Haj Bawu Blues de circonstance, vièle d’amour + doudouk pour le diptyque « chambriste » Cellito & Doudouk, d’Amore et Cellito & Doudouk, Rigodon…
Convoquant ocarinas, claviers et hajouj, le morceau éponyme, à l’ambiance nimbée d’étrangetés spectrales, est quant à lui rehaussé d’empreintes percussives laissées par deux invités, Tao EHRLICH aux cymbales et Steve SHEHAN aux balais berbères. Une fois encore, il est impossible de ne pas voir une forme de symétrie entre la construction du Concile des oiseaux et celle du Bal des oiseaux, puisque le même Steve SHEHAN avait déjà le même statut d’invité (avant d’être embauché à plein temps sur les sept albums suivants) dans ce dernier, et y faisait résonner ses calebasse et shékéré sur le morceau Marsyas. De plus, on perçoit dans le Concile des oiseaux des bribes d’une ancien « tube » hadoukien, Loukoumotive, qui provient précisément du premier album !
Autre point commun entre les deux disques : la présence, en introduction de l’un comme de l’autre, de la pièce Hadouk Song, présentée dans des habillages différents.
Décidément, les liens entre l’ancien Bal et l’actuel Concile relèvent autant du clin d’œil que de l’appel du pied… Au fond, c’est la même histoire qui se réécrit, qui se réinvente, distillant résonances, caresses, aigrettes et pulsations subtiles au gré d’une expédition en une Terre imaginaire pétrie de jazz buissonnier et irisée de blues malien, de transes gnawa, de complaintes caucasiennes, de modalité indienne et tout autre relief paysager qu’il vous sera loisible de déceler…
À cette aérienne et moelleuse excursion sonore s’ajoutent dans le livret qui accompagne ce double digipack le facétieux verbe « malherbien » nourri de faune, de flore et de « farce des choses » (sic), un ludique égrenage « ehrlichien » des hasards à l’œuvre, sans oublier les gravures à plumes et à feuilles de Soline GARRY et les regard photographiques de Jean-Louis BLÉROL et d’Antoine VIDAL.
Alors prenez le temps d’entrer dans cette bulle bienfaisante qu’est ce Concile (c’est donc un concile à bulle…) des oiseaux non oisifs concocté par un HADOUK à deux, mais aux voix et voies multiples. HADOUK, à jamais, pour toujours…
Stéphane Fougère
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