Reims 74, Rock Goes to the Cathedral – Benoît GAREL

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Reims 74, Rock Goes to the Cathedral – Benoît GAREL
(Les Films du Tamarin)

C’est l’histoire d’un événement qui a quelque 40 ans d’âge : le soir du 13 décembre 1974, le lieu même où l’on sacrait jadis les Rois de France s’est transformé en « fumerie asiatique », selon les dires d’un conseiller municipal de l’époque. Ce lieu, c’est la cathédrale de Reims. La fumerie en question, c’est le concert de TANGERINE DREAM et de NICO. Erreur de casting ou erreur de décor ? Non, c’est la résultante d’une volonté tenace de rabibocher les « djeuns » d’antan avec l’Église, tout au moins avec l’un de ces lieux de culte, avec l’aval et la bénédiction de l’archevêque de la ville, qui en fut quitte pour accepter que l’église soit « re-sacralisée » après ce qui a été jugé comme une profanation impie par les autorités religieuses les plus conservatrices.

C’est au fond la sempiternelle querelle des anciens et des modernes qui est sous-jacente à l’histoire racontée dans ce documentaire de Benoît GAREL. C’est aussi une page d’histoire de la musique underground et électronique en France qui est révélée ou rappelée, et remise dans le contexte politique, social et culturel de l’époque.

L’époque, parlons-en : en France, en 1974, VGE devient Président de la République, la pilule est légalisée, la loi sur l’IVG est sur le point d’être votée, la majorité passe à 18 ans, mais à l’international la guerre du Vietnam s’éternise et le premier choc pétrolier commence à faire tourner vinaigre les pays industrialisés. Un monde (la libération, etc.) arrive à terme, un autre (la crise, tout ça…) s’ébroue, nettement moins sexy. Dans le domaine de la musique, les hippies fument leurs derniers joints, les punks vont bientôt retirer les épingles à nourrice de leurs langes pour se les mettre dans le nez, et entre les deux, la « kosmische musik », ou musique électronique allemande, se fraye un chemin qui aboutira à l’éclosion de l’électro.

D’où l’idée de célébrer cette révolution sonore en organisant ce concert de NICO et de TANGERINE DREAM. Dans l’Hexagone à cette époque, on n’avait plus tellement de pétrole mais on avait des idées ! Saugrenues, certes. Mais il y avait des volontés pour les réaliser, et qui ne pensaient vraiment pas à mal.

Le concert fut en soi très réussi et est resté un moment d’exception pour la plupart de ceux qui l’ont vécu (et qui s’en souviennent…). Mais les médias ont surtout mis en valeur le « scandale » qu’il a suscité auprès des instances bourgeoises bien-pensantes de la ville de Reims. Rendez-vous compte : un concert de rock (soupir !) infesté de drogués dans ce lieu sacré ?! Race maudite ! Incommensurable souillure…

Et pourtant, que de bonnes intentions cette initiative de concert était pourvue ! Mais en toute naïveté, « on » a oublié d’envisager le fait qu’on puisse retrouver, le lendemain de ce fait d’hiver, une seringue sur le sol de la cathédrale, et découvrir que ses bénitiers aient servi d’urinoirs… En vérité, personne ne s’attendait à accueillir 7000 péquins en quête d’extase sonore ! « Vous n’attirerez pas plus de 20 personnes », avait-on entendu dire… La médiatisation de l’événement a atteint son but au-delà de toute espérance.

Rock Goes to the Cathedral n’est pas le film du concert de TANGERINE DREAM et de NICO, c’est le film des divers éléments qui ont contribué à faire en sorte que ce concert ait lieu dans cet espace à ce moment-là. Benoît GAREL est ainsi allé chercher la parole des acteurs de cette aventure et les a filmés sur place. Organisateurs, spectateurs, musiciens, journalistes, fonctionnaires municipaux et autorités religieuses ravivent leurs souvenirs…

Parmi eux, on retrouve des gens qui se sont depuis fait un nom dans le monde de l’organisation de spectacles (Assaad DEBS, Gérard DROUOT…), dans l’industrie du disque (Richard « Virgin » BRANSON), dans le journalisme musical (Paul ALESSANDRINI) ou tout bonnement dans le milieu musical, comme Tim BLAKE (GONG, HAWKWIND), Marc BLANC (ÂME SON) ou encore Gilles YEPREMIAN (manager d’URBAN SAX).

D’autres se sont fait plus discrets, tel Gérard LELONG de l’association MAR (Musique Action Reims, organisateur du concert), Marc ZERMATI, fondateur du magasin de disques Open Market, auquel NICO rendait souvent visite) ; et d’autres encore continuent à œuvrer dans l’ombre pour ces musiques devenues encore plus marginales aujourd’hui, comme Robert GUILLERAULT, webmaster du MAGMA Web Press Book.

À travers leurs souvenirs, c’est tout le petit monde de l’underground musical hexagonal de 1974 qui est retracé, exhumé, illustré en prime de courtes mais rares et donc précieuses images de concerts de HENRY COW et d’ÂME SON ! Mais du concert proprement dit à la cathédrale de Reims, il n’y a quasiment aucune trace dans ce documentaire, si ce n’est de courts extraits audio. On n’est même pas sûr que la vidéo de NICO projetée lors d’une reconstitution de l’événement sur un écran dans la cathédrale, dans une des dernières scènes du documentaire, soit bel et bien celle de ce concert ! Les traces filmées – s’il en existe – de ce dernier restent à retrouver… (Seule la retransmission audio par France Inter a circulé…)

Mais qu’importe, l’émotion des témoins est palpable sur les images de cette reconstitution. Pour le meilleur et pour le pire, la cathédrale de Reims a ce soir-là servi d’écrin à une célébration païenne d’un nouvel âge, et a offert aux musiques underground l’un de ses mythes les plus saillants. Il s’est bel et bien « passé quelque chose » cette année-là, comme une jonction entre le culturel et le social dont cet événement est le « précipité ».

Ce concert de TANGERINE DREAM et de NICO a laissé des traces, et ce documentaire de Benoît GAREL en est le miroir… pas si embrumé que ne le fut la cathédrale de Reims ce soir de décembre 1974 !

Stéphane Fougère

Éditeur : https://www.discogs.com/fr/label/1496607-Les-Films-Du-Tamarin

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°35 – juillet 2014)

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3 comments

  1. Je me souviens avoir vu de très prés, tout ce mur de matériel avec un homme qui affairé triturait de nombreux boutons… Un son comme ont ne pouvait l’imaginer… extraordinaire ! d’autant que la veille je l’avait vu a Dijon Dans une salle en tôle…
    La Musique… La musique…

  2. En fait on était que 5500 pour célébrer cette messe païenne…. Et tout a été beaucoup exagéré. un peu d’urine dans un bénitier, de la fumée, mais globalement pas d’excès et un souvenir inoubliable dans ce froid glacial. Le 21 avril 1976, Musique action remettait le couvert avec cette fois Klaus Schulze. C’est à la salle des fêtes de Tinqueux que devait se faire ce concert. Mais je tenais absolument qu’il puisse se dérouler à la Basilique St Remi. A ma charge donc de convaincre l’abbé Joseph Hanese responsable de ce lieu. Promesse qu’on limitera à 1000 entrées (970 en fait), qu’on ne fumera pas. Concert fantastique. Et un ami de l’association est resté planqué l’après midi et le soir tout la haut dans la nef à la croisée du transept avec son revox et ses micros pour immortaliser l’événement.

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