RHÙN – Ïh
(Altrock)
Tous les groupes français d’obédience Zeuhl ne signent pas obligatoirement chez Soleil Zeuhl. La preuve : le label italien Altrock vient d’en signer un ! Il s’appelle RHÙN, et c’est un septette (mazette !) originaire de la région de Caen qui a sorti une première démo en 2008 et a eu l’insigne honneur de jouer en première partie de son icône MAGMA, lors de la tournée du quarantième anniversaire de ce dernier. Ce baptême du feu opportun ne pouvait que lui aliéner les faveurs des séides de la Zeuhl Wortz, tous revenus d’entre les morts pour la susdite célébration.
Ce n’est toutefois qu’en 2012 que RHÙN a publié une seconde démo, qui a d’abord circulé sous forme numérique, avant qu’Altrock ne décide de publier un album du groupe contenant précisément les deux démos, remastérisées comme il se doit par les bons soins d’Udi « Docteur Miracle » KOOMRAN.
C’est donc la démo la plus récente de RHÙN qui est placée en tête du CD : d’entrée de jeu avec Toz, on découvre un ensemble au son aussi massif que compact, avec cordes électriques et soufflants qui enchaînent les embardées épileptiques et furibardes sur des rythmes impairs fébriles, propulsant une horde de voix masculines et féminines parlant un dérivé du kobaïen dans une marche belliqueuse dont la sauvagerie renvoie en miroir celle qui s’exprimait sur le premier double LP de MAGMA, et bien sûr dans M.D.K. On est au moins sûrs que si le groupe s’est dénommé la « fanfare du chaos », ce n’est pas pour des prunes !
Il y a aussi dans l’écriture « rhùnique » des cassures de ton franchement osées, genre un solo de guitare tranchant comme un rasoir qui se fait couper l’herbe sous le pied par une séquence plus acoustique mettant en valeur une flûte au teint suave, qui n’hésitera pas à réapparaître même dans les moments plus furieux. L’instrument fait bien plus que de la décoration et s’infiltre souvent en première ligne (comme chez DÜN), se permettant même de clore Toz en douceur et d’annoncer la couleur pour Intermud, une courte composition qui introduit l’Ensemble PANTAGRULAIR, un quartette de musique de chambre venu renforcer l’effectif du septette et l’orienter plus près des terres de HENRY COW.
Et même si la barbarie zeuhlienne reprend ses droits tout aussi brusquement dès l’introduction de Dunb, la structure de ce dernier repose sur l’alternance entre chevauchées guerrières wagnériennes et pauses en chambre atonales. Dans les trois morceaux de la démo de 2008, le septette soulignait déjà son ancrage dans un style zeuhlo-progressif incisif, mais aéré par des bifurcations jazzy à la SOFT MACHINE, et des excentricités qui reflètent l’ombre d’une autre fanfare du chaos, GONG.
De fait, on comprend mieux le grillage de politesse d’Altrock sur Soleil Zeuhl… RHÙN est certes un rejeton non domestique de MAGMA, mais il a certainement remonté à la source des figures tutélaires que sont STRAVINSKY et BARTOK et s’est sûrement nourri des miasmes sophistiqués de la famille Canterbury et s’est abreuvé dans les eaux troubles du Rock In Opposition. Sa démarche correspond à une tendance de plus en plus marquée dans la sphère des musiques progressives qui vise à rapprocher, voire à confondre la Zeuhl Muzîk avec d’autres orientations avant-gardistes du rock progressif. Dans le genre, RHÙN n’opère pas de révolution notable, mais affiche une belle énergie vindicative qui devrait maintenir éveillées les forces suprêmes et incommensurables de vous savez quoi…
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°34 – janvier 2014)