CAILLOU – Caillou
(Soleil Mutant)
On le trouve généralement sur la route, on le trouve parfois dans sa chaussure, on le trouve d’autres fois affublé d’un poil (c’est toujours mieux que dans la main) ; bref, où qu’il aille ou quoi qu’il fasse, l’homme se trouve tôt ou tard confronté à la réalité du… caillou ! Arrondi ou coupant, lisse ou mal dégrossi, ce bout de roche est de nature ambivalente. Traduite en sons, la nature du caillou engendrerait en toute logique une musique pleine de reliefs et d’énergie brute, aux dissonances contondantes et aux motifs rondement menés. Ce serait une musique qui frotte, qui arrache, qui étincelle, qui fout le feu au plancher et vous fait tituber comme si vous marchiez sur une plage de… galets. Mais, comble de raffinement, cette musique ne serait pas du roc… pardon, du rock. Enfin, pas que. L’autre source où elle puiserait son énergie serait le jazz. La musique « caillouteuse » serait le fruit d’une alchimie entre jazz et rock, une fusion des matériaux à haute température. Faites mijoter, laissez bouillir, euh… laissez bouillonner, sédimentez, et vous obtenez la musique que joue le groupe français baptisé… MAGMA ? Non, CAILLOU, bien sûr !
Ne commettez pas d’impair, sans quoi vous risquez de déclencher dans toute son immensité la fureur effroyablement addictive de Philippe GLEIZES, il est vrai batteur de son état – comme l’autre – et qui, outre son groupe GLEIZKREW, son implication dans le JUS DE BOCSE de Médéric COLLIGNON et dans la comète UNITED COLORS OF SODOM, s’est fait récemment embaucher chez… OFFERING. On l’a aussi entendu chez N’WALK, un trio qu’il partage avec Bruno RUDER et James McGAW, deux Kobaïens de la jeune génération.
Alors certes, il y a de quoi s’y perdre (ou s’y retrouver, c’est selon). Mais si la confusion est humaine, la fusion (du magma) est bel et bien l’affaire de CAILLOU. Et pour éviter d’entretenir la confusion, son premier album n’est pas sorti sur Soleil Zeuhl (c’était trop facile), mais sur son petit cousin Soleil Mutant. Car mutante en vérité est la musique de CAILLOU, même si sa palette instrumentale prend indubitablement modèle sur la fusion électrique des 70’s : guitare (Rudy BLAS), basse (Charles LUCAS), batterie (Philippe GLEIZES), Fender Rhodes et synthé Korg (Mathieu JERÖME), soit une configuration similaire au quartette ONE SHOT, ce qui n’est évidemment pas un hasard. Mais cette parenté instrumentale ne doit pas lais-ser croire à une stricte copie musicale entre les deux formations. Plus structurée et plus contrastée est la musique de CAILLOU, dont le souffle épique et la haute teneur énergétique n’ont rien à envier à d’autres évoluant dans un créneau proche.
Comme on peut s’y attendre, la paire rythmique s’y déploie sur le mode « feu d’artifices », avec un Philippe GLEIZES au jeu de batterie fiévreux, farouche, débridé, mais sachant aussi se faire discret et raffiné par endroits. GLEIZES n’écrase pas, il propulse. Les lignes de basse de Charles LUCAS explorent toutes les sinuosités dont elles sont capables, expectorant ça et là des grondements chtoniens qui évoquent, il faut bien l’avouer, ceux de Jannick TOP. Les deux instruments s’y entendent à cultiver des cadences imparables et subjuguantes.
Quant à la guitare de Rudy BLAS et aux claviers de Mathieu JERÔME, s’ils ne se privent pas de palabres solistes rivalisant de flamboyance, ils savent également jouer la carte du ciselage sonore et atmosphérique, prouvant qu’ils ne sont pas que des wagons de seconde classe tirés par la locomotive rythmique. De toute façon, l’impact de CAILLOU est le résultat d’une cuisine collectivement épicée et interactivement saucée. Chaque musicien met la main à la pâte de chaque morceau et en a au moins écrit un ou deux.
De fait, les sources d’inspiration de CAILLOU se révèlent multiples, du LIFETIME de Tony WILLIAMS à MATCHING MOLE, en passant par Miles DAVIS et NATIONAL HEALTH, et bien entendu quelques reliefs Zeuhl joliment escarpés, à partie desquels CAILLOU a peint son propre univers. Celui-ci est constitué de 200 Toiles maculées de teintes expressionnistes, sur lesquelles s’esbaudissent des Païens bourrus prompts à l’usage du Tomahawk, ou des « chiens dansants » qui ne manquent évidemment pas de mordant et qu’on ne peut tenir en laisse.
Ont été également incrustés un personnage et une scène mythique du cinéma fantastique, de Frankenstein (l’effervescent Victor F.) à Dracula (Les Carpates et leur cavalcade échevelée en chariot fantôme). Et parce que cette musique est du genre à se mettre sur orbite, on y trouve de même des Spirales aux tourneries grisantes, et une Nébuleuse qui part en couilles, s’évaporant trop tôt, faisant fonction de « cliffhanger » pour l’album suivant, avant que se glisse une scène coupée « untitled », non annoncée dans le programme.
On le voit, chez CAILLOU, les toiles sont hautes en couleurs et en reliefs, les pellicules sont furieusement inflammables et les poussières d’étoiles imparablement hypnotiques. Ah ! j’oubliais : et les nains de jardin ont un regard frondeur et un rire sardonique ! CAILLOU, où l’autre art de cultiver son jardin…
Stéphane Fougère
‘Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°34 – Janvier 2014)
Label : www.soleilzeuhl.com