Sébastien BERTRAND – Les Gens d’ailleurs

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Sébastien BERTRAND – Les Gens d’ailleurs
(Les Ateliers du cèdre / Absilone)

Pour un musicien, il y a un temps pour pour se faire entendre, pour se donner à écouter, s’épanouir à travers des créations, et il y a un temps pour s’arrêter, se pauser, faire silence. Mais après ? Après, il reste à recommencer, à reprendre la route, retrouver ses pistes de travail et à raconter de nouveau ce qu’on a vécu, ressenti, observé… Car le monde a continué sa marche, obligeant le musicien à réveiller sa muse, à refaire son baluchon, à céder à l’appel des notes. Étonnez-vous après cela à voir revenir ceux que l’on croyait disparus pour la musique, rangés des voitures. Revenant, le compositeur et accordéoniste Sébastien BERTRAND l’est assurément. Car ça faisait déjà sept ans qu’il n’avait plus donné signe de vie artistique.

Sébastien BERTRAND, souvenez-vous : c’était le DUO BERTRAND, avec son oncle Thierry BERTRAND à la veuze et lui à l’accordéon diatonique, bousculant les habitudes sonores de la musique traditionnelle de Vendée dans les années 1990, duo qui, à force de voir plus loin, est devenu plus grand, le DUO BERTRAND EN Cie ; puis il y a eu le groupe SLOÏ (2006), et un autre duo avec un autre accordéoniste, Alain PENNEC, avec qui il a redonné du son à l’Aurore de MURNAU ; sans oublier ses créations scéniques avec Yannick JAULIN, la Traversée du Ponant en 2007, et Chemin de la belle étoile en 2009, un an après le retour de Sébastien au Liban, qui fut sa terre de naissance avant qu’il soit adopté à neuf mois par une famille vendéenne. Parce qu’il fallait des réponses aux questions de l’appartenance, de l’identité, de l’enracinement, de l’adoption….

De plus, il y a eu le quintette NAHAS PROJECT en 2011, qui s’est agrandi en NAHAS PROJECT GRAND ENSEMBLE en convoquant les inspirations musicales de Denis PEAN (LO’ JO) et d’Alban DARCHE. Et tant d’autres choses encore, entre ciné-concert, spectacles, films, tant de rencontres, de collaborations et de croisements… avant que Sébastien BERTRAND ne décide de faire cavalier seul pour nous conter en 2016 ses Traversées en solitaire, entre Atlantique et Méditerranée, la Vendée et le Liban. Mine de rien, ça en fait une trotte pour joindre les deux bouts ! On comprend que l’artiste ait éprouvé à un moment donné le besoin d’appuyer sur le bouton « pause » et de poser ses valises. Sébastien BERTRAND a alors mis un terme aux activités de la compagnie qu’il avait créée en 2003, la CAHPA (Compagnie des arts d’hier pour aujourd’hui) et s’est tut. Ce silence a duré six ans…

On avait fini par croire que son accordéon diatonique avait été oublié malencontreusement sur le bord de cette longue route… Et singulièrement, c’est à Locquirec, dans le Finistère breton, où il avait pris refuge, qu’il a retrouvé son instrument, sans doute enfoui au fond d’une valise…

Bon, en vérité, Sébastien n’avait pas vraiment perdu son instrument durant tout ce temps, puisqu’il l’a enseigné au sein de l’école qu’il avait lui-même ouverte chez lui (MusiKadomia). Mais est arrivé un moment où ses doigts se sont pris d’une irrésistible envie de tapoter sur le clavier de son diato pour donner vie à des notes, des phrases, des thèmes qu’il avait engrangé dans l’enregistreur de son téléphone portable ! Chassez la verve compositionnelle, elle revient par un biais ou par un autre…

Alors, l’accordéoniste s’est mis à rêver des collaborations inédites avec des gens d’ici qu’il connaissait, et qu’ils l’ont emmené ailleurs, musicalement parlant bien sûr. Et c’est cette nouvelle aventure que racontent justement Les Gens d’ailleurs, dans lequel l’accordéon diatonique de BERTRAND retrouve les piano et melodica de Julien PADOVANI, qui avait fait partie du NAHAS PROJECT et qui a roulé sa bosse dans moult projets de musiques folk et jazz de traverses (DÉDALES, LE GRAND BAROUF, Sylvain GIRO, Guillaume ROY, Dominique PIFARELY, CIAC BOUM, TRISKAN, TALEC-NOGUET QUARTET…), et s’adjoint le violoncelle baroque de Delphine GOSSERIES (trio ELLEBORE) et la voix de la mezzo-soprano Christine CRAIPEAU, qui a interprété de nombreux rôles dans plusieurs opéras et a pris part à de nombreux projets innovants.

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Il fallait bien de pareils esprits ouverts au goût du large pour répondre à la proposition de Sébastien BERTRAND de prendre part pendant une semaine à un « Labo Sonore » dans un lieu éphémère, en l’occurrence le Bel Horizon, un nom prédestiné…

Car c’est bel et bien un horizon inédit et singulier qui se profile à travers les sept compositions de ce disque qui ne raconte pas seulement une rencontre musicale, mais aussi humaine, avec ses balades, ses rires, ses petits cafés, et dont chaque pièce constitue un port d’attache, un ancrage, un arrêt sur image.

C’est du reste sous un Clair de lune que le diato de Sébastien BERTRAND fait mugir subrepticement son bourdon, comme un invitation à l’errance à laquelle répond le violoncelle de Delphine GOSSERIES et la voix sans verbe de Christine CRAIPEAU. Est-on déjà partis, ou est-on sur le point de revenir ? Toujours est-il que le trio s’installe pour prendre Un café chez Tilly, que Delphine pare d’une mélodie de son cru, Sanscello, d’humeur matinale souriante.

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Le trio y retrouve le piano de Julien PADOVANI, et le quartet enfin réuni part respirer le parfum des Fleurs au vent (c’est toujours mieux qu’à la boutonnière) et se met à entonner ensemble un chant enjoué. Les journées passant vite quand on voyage de bon cœur, les quatre complices se surprennent déjà à remarquer que La Lune s’endort sur les notes musardes et un brin mélancoliques du piano et de l’accordéon.

La nuit n’est pas de tout repos, les souvenirs de guerre et de cris se mettant à résonner sur La Colline des Cèdres, où la voix de Christine secoue les indolences. Pour calmer les cauchemars, elle offre un Avé Maria qui résonne comme le point de ralliement d’un nouveau départ. 

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On arrive alors Rue des Mésanges, où le Labo Sonore a élu domicile, mais en fait de mésange, c’est un chant de passereau auquel fait écho l’accordéon de Sébastien. C’est ainsi que l’on croise ces fameux Gens d’ailleurs, dont les histoires et les regards se croisent, s’assemblent, farandolent… Sébastien BERTRAND puise dès lors dans ses souvenirs d’enfance et en exhume une mélodie de valse de Marc PERRONE (Vas-y Mimile), qu’il déplie avec lenteur et élégance avec le violoncelle de Delphine. À ce cliché du passé répond sans ambages une interrogation du présent portant sur l’avenir, ou plutôt la possibilité, ou non, d’un avenir : sur une mélodie apportée par Julien, Ne plus rêver d’avoir un jour vingt ans traduit la méditation inquiète de la plus jeune fille de Sébastien, tournant autour de la problématique du réchauffement climatique.

C’est sur ces paroles sans réponse que se referme cet album-photos sonore, ce court-métrage musical bordé de rêves, jonché de souvenirs, encadré d’ombres et de lumières et orné de sourires et de questions.

On l’aura compris, les Gens d’ailleurs n’est pas un disque-bilan, ou une rétrospective, et encore moins une compilation de remixes. Non, Sébastien BERTRAND n’est pas arrivé au bout de son chemin, il le redessine et lui fait prendre une autre direction.

Ces gens d’ailleurs savent décidément parler aux peuples d’ici, ils maîtrisent une gamme émotionnelle délicate et raffinée, et dont les fragilités ont un fort pouvoir de résonance. L’association instrumentale et vocale qui s’y épanouit entre les idiomes folk, jazz et classique ouvre indubitablement un champ d’expression dont le caractère nomade décline d’autres façons de respirer au monde.

Stéphane Fougère

Site : www.sebastien-bertrand.com

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