Talvin SINGH & SANGAT – Songs for the Inner World / Live at La Basilique, Saint-Denis (Naïve)
Régulièrement nommé, et à juste titre, « l’enfant chéri de l’Asian Underground », le musicien, joueur de tablas et DJ Talvin SINGH a prouvé, à travers ses deux principaux albums solos, l’indispensable et magistral OK et le convenable Ha, qu’il est un musicien accompli et inventif dans le domaine des fusions musicales électro-world, autant qu’une figure pionnière de la scène hindo-londonienne par l’entremise de son label Omni et de son club Anokha. Faisant référence à ce dernier, la compilation Anokha, Soundz of Asian underground, parue en 1996, reste une référence en termes de découvertes musicales électro-banghra.
De SIOUXIE AND THE BANSHEES à SUN RA, de David SYLVIAN à Craig ARMSTRONG, d’APHEX TWIN à MASSIVE ATTACK, de BJÖRK à MADONNA, avec lesquels il a collaboré, le jeune DJ et joueur de tablas s’est imposé comme l’un des créateurs les plus emblématiques des musiques métissées actuelles. On se doute par conséquent du poids que représente un tel CV et du risque qu’il peut faire encourir si d’aventure on se retrouve dans le creux de la vague sur le plan musical.
Plutôt que de vendre son âme aux diablotins de l’industrie du loisir musical qui l’auraient bien vu faire un « OK vol.2 » ou un « Ha-Remix », Talvin a préféré réorienter son parcours et s’est tourné depuis quelque temps vers ses racines. C’est ainsi sans tambour ni trompettes qu’il a sorti en 2002 un album de musique traditionnelle indienne, Vira, en compagnie de l’éminent flûtiste Rakesh CHAURASIA, par ailleurs neveu de l’illustre maître de flûte bansuri Hariprasad CHAURASIA.
Puis, surprise : c’est le Festival de Saint-Denis qui le sollicite en 2003 pour réaliser une œuvre qui sera jouée en première mondiale et enregistrée dans le cadre imposant et somptueux de la Basilique de Saint-Denis (93). C’est cet événement que se propose de nous faire (ré)écouter ce CD.
Composé à l’origine de six pièces (dont cinq ont été retenues pour la version officielle du disque), Songs for the Inner World présente un Talvin SINGH désireux à la fois de renouer avec ses bases artistiques classiques et de les adapter à une configuration sonore moderne.
Le ton est donné dès l’introduction du premier morceau, avec cette frappe de tablas qui, peu à peu accélérée, se métamorphose en beat techno puis en ronronnement d’avion. Ces cinq « chants pour le monde intérieur » de Talvin SINGH se déploient tels des odes au divin, respectant tout autant les canons de la musique indienne que les figures rythmiques et climatiques de l’électro.
Si les noms de célébrités indiennes comme Sheila CHANDRA ont été un temps annoncés pour la réalisation de ce projet, c’est au final d’autres artistes de renommée moindre mais aux talents tout aussi confirmés qui ont secondé Talvin dans son exploration artistique sous le nom de groupe SANGAT, au personnel assez cosmopolite.
Hormis 21st Tabula, qui n’est autre qu’un étourdissant solo de « tablatronics » de Talvin SINGH, chacun de ces chants met en évidence un interprète différent : ainsi, la première pièce, Only You, véritable raga des temps modernes qui se développe sur près de vingt minutes, est portée par les mantras entêtants du chanteur carnatique sans frontières artistiques Ravi PRASAD.
Etherplay dévoile la suavité vocale de la chanteuse de New Delhi Vidya RAO, tandis que la voix chaude et emphatique de Pankaj AWASTHI (également claviériste) illumine Arternal. Ravi PRASAD revient sur le final, Trotamundo, et nous fait aussi profiter de ses talents à la guimbarde.
Chaque pièce met également en valeur des musiciens de cultures différentes, à savoir l’excellent joueur de oud franco-tunisien SMADJ (membre de DuOuD…) ou encore l’Anglais d’origine malienne Tunde JEGEDE, dont le doigté gracile à la kora africaine et les lancinants coups d’archet au violoncelle creuse l’atmosphère de recueillement général, sans oublier l’immense Rakesh CHAURASIA, dont la flûte batifole dans l’ether avec un bonheur non dissimulé.
Quant à Talvin SINGH, c’est donc principalement aux tablas qu’il dispense ses talents rythmiques, laissant toute la partie électronique et programmations entre les mains de deux DJs, respectivement allemand et anglais, Claas SANDBOTHE et Oscar VIZAN. Leurs interventions s’avèrent au demeurant étonnamment discrètes et mesurées, distillant ça et là nappes de circonstances, frêles boucles mélodiques ou « beats » un rien appuyés, pas toujours utiles du reste bien que peu insistants.
L’œuvre générale, dédiée par Talvin à son gourou pendjabi Lashman SINGH SEEN, qui lui a enseigné l’art des tablas, s’adresse moins aux piliers des dance-floors qu’aux fins gourmets d’atmosphères recueillies et imprégnées d’une profonde spiritualité.
On ressort de l’écoute de cet opus l’esprit empli de propensions méditatives et d’une sérénité à toute épreuve, convaincu que l’on a navigué dans un espace vertigineux où les notions de rencontre ou de mélange culturel se sont vidées de leur rhétorique pour mieux laisser se répandre une vibration universelle qui n’en finit pas de résonner…
Stéphane Fougère
Site : www.talvinsingh.com