THE RHEINGANS SISTERS – Start Close in

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THE RHEINGANS SISTERS – Start Close in
(Autoproduction)

Quelque part entre le son de la charrette de l’Ankou et le chant des sirènes, la musique folk des RHEINGANS SISTERS sculpte des reliefs rustiques et peint des lignes de fuite floutées où la brume, la tourbe, la pierre et le vent égrènent leurs messages cryptés. C’est là, entre grincements, raclements, pincements et bourdonnements, que deux voix de fées harmonisées répandent leur baume singulier sur des contes à frémir parfois debout. D’origine britannique (Sheffield), les sœurs RHEINGANS ont un goût commun pour les expressions folkloriques buissonnières dont elles aiment explorer les sentiers les moins balisés, puisant dans des répertoires aux antipodes, de Suède comme du Sud de la France, tout en picorant à droite et à gauche dans d’autres régions de l’Europe, et écrivant leurs propres compositions, chantées ou instrumentales.

On l’aura deviné, les RHEINGANS SISTERS ont le goût du nomadisme folklorique, et elles se sont constitué une géographie sonore assurément singulière, comme en témoigne leur panel instrumental constitué principalement de cordes : violons baroques, violas, banjos à cinq cordes, mais aussi guitare électrique, gourd banjo indien, tambourin à cinq cordes occitan, auxquels s’ajoutent guimbarde, triangle, flabuta (flûte à bec gasconne) et percussions des pieds.

À en croire le titre de cet album, Star Close in, les frangines viendraient seulement de se rapprocher, de se retrouver, ce que semble souligner également leurs attitudes sur l’illustration de pochette. N’en croyez cependant rien : ça fait déjà plusieurs années qu’elles bourlinguent ensemble, et ce disque est déjà leur cinquième création discographique. Vous ne les avez jamais croisées sur les scènes des grands rassemblements folk ou world, ni même jamais entendues sur les grandes ondes ? C’est normal, Anna et Rowan RHEINGANS n’empruntent pas les autoroutes de la communication et de la diffusion et semblent s’épanouir sur les sentiers les plus en marge, publiant leurs disques sur des labels indépendants ou en autoproduction.

Cela ne les a pas empêchées de se produire à travers le monde et de rafler quelques bonnes récompenses : le BBC 2 Folk Award en 2016 pour leur deuxième album, Already Home, nomination pour le meilleur groupe en 2019, et leur précédent album, Receiver, a été classé parmi les dix meilleurs disques folk en 2020, en plus d’avoir atteint la deuxième position des Transglobal World Music Charts.

En France, leur renommée est restée confidentielle. Ce n’est pourtant pas faute de s’intéresser aux folklores régionaux de l’Hexagone, qu’ils soient occitan, gascon ou auvergnat, et qui sont régulièrement représentés sur leurs disques. Du reste, Anna RHEINGANS est diplômée du Conservatoire occitan de Toulouse, où elle vit ! Bref, il serait temps – si ce n’est déjà fait – que les amateurs de folk leur tendent une oreille affûtée, à charge pour eux de ne pas attendre d’interprétation muséale et stéréotypée. Les sœurs RHEINGANS ont un son bien à elles qu’elles développent et cisèlent disque après disque.

Pour enregistrer Start Close in, elles ont sollicité le producteur new-yorkais Adam PIETRYKOWSKI, dont le champ d’action s’étend du métal à l’avant-garde électro-acoustique Sa patte sonore a déjà profité au dernier album (Tender, en 2022) du trio vocal LADY MAISERY, dans lequel se commet en parallèle Rowan RHEINGANS, et elle modèle de saisissants reliefs dans Start Close in, comme on peut le découvrir dès la pièce d’introduction, dans laquelle les archets saillants des sœurs RHEINGANS crissent et geignent comme des vièles à roue, tandis que les coups de boutoir assenés au tambourin à cordes et les distorsions d’un alto achèvent de peindre une ambiance menaçante et poisseuse, que viennent tempérer les voix, d’une inflexibilité à peine plus rassurante. On peut y trouver des résonances des univers de HEDNINGARNA comme de la FAMILHA ARTÚS, en version plus acoustique mais avec des touches expérimentales.

Intitulée Devils, cette pièce est adaptée d’une ballade folk de la chanteuse Frankie ARMSTRONG, The Devil and the Farmer’s Wife (tirée de l’album And the Music Plays so Grand), dans laquelle elle évoque le sort d’une femme menée en enfer mais qui met une telle raclée au diablotins qu’elle est ramenée illico sur Terre ! Et la chanson de s’achever sur cette remarque : « Les femmes sont bien meilleures que les hommes / Elles peuvent aller en enfer et en revenir. »

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La veine pro-féministe de Start Close in est également patente dans la reprise du traditionnel occitan, Si Sabiatz Drolletas (apprise lors d’un stage de chant avec Pèire BOISSIÈRA), où il est recommandé aux femmes de ne pas se marier et de préserver leur liberté. Soutenue par des bourdons et des cliquetis, cette chanson en forme de bourrée dégage une ambiance plus sémillante et dansante, que propulsent les violons, avant une coda qui confine au bourdon électro-acoustique.

Des notes amplifiées de banjo introduisent Un voltigeur, une autre chanson traditionnelle interprétée en français (avec un délicieux accent !) par Anna RHEINGANS, et sur laquelle l’invité Daniel THORNE vient poser quelques plaintives notes de saxophone, tandis que Rowan RHEINGANS fait résonner de délicates notes de guitare électrique planante. Le banjo est de même à l’honneur sur Old Neptune, une chanson aux arrangements plus dépouillés dans laquelle Adam PIETRYKOWSKI glisse quelques notes d’orgue. La musique y est inspirée par un thème de Will ALLEN, mais le texte, qui évoque l’effet corrosif du temps sur les choses, est l’œuvre d’Anna RHEINGANS.

L’ambiance est plus relevée sur Drink up, une composition de Rowan RHEINGANS ponctuée par les coups de semonce du tambourin à cordes et l’apparition de la flabuta à la cantonade, en soutien du violon, et qui appelle à trouver la joie dans un monde où tout se met à sombrer (toute ressemblance avec le notre est évidemment fortuite…).

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Star Close in alterne chansons et pièces instrumentales dans une proportion égale. L’inspiration du folk suédois est soulignée par Brädmarsch, une reprise du violoniste Olof MISGELD dans laquelle le thème de violon est soutenu par une guimbarde, ou encore par Livet Behöver inga Droger (« La Vie n’a pas besoin de drogue »), une composition d’Anna RHEINGANS où violon et viola partagent leur complainte. Un autre vent de complainte, irlandais cette fois, souffle sur The Great Devil (cet album est décidément habité par les esprits malins…), auquel vient s’accoler un thème plus guilleret, Mr. Turner’s Hornpipe.

Introduit par des bruitages de « jours de marché » et des accordages, Shade Chaser, composé par Anna et Rowan, poursuit dans une veine sémillante et voltigeuse, tandis que la traditionnelle Marche à la cabrette française se veut plus rêveuse et nonchalante.

La plus longue pièce du disque est sans doute aussi la plus troublante : sur une tournerie pleureuse de violon la guitare égrène des notes instables, avant de finalement enchaîner avec un thème récurrent sur lequel une voix répète en boucle : Over and Over again, dans une ambiance qui confine à l’oraison. Composée par Rowan RHEINGANS, cette pièce est inspirée par les ravages des images de guerres et de génocides qui tournent elles aussi en boucle sur les réseaux sociaux, et la nécessité d’y remédier en administrant un baume sur les plaies psychologiques qu’elles provoquent.

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Enfin, Purcell’s, adapté d’un thème extrait d’un manuscrit du pasteur anglais Thomas BRAY, clôture le disque sur une note alanguie aux relents de complainte médiévale qui se veut un brin plus lumineuse, et sur laquelle le saxophone de Daniel THORNE intervient comme en écho aux violons sur la coda aux allures de soleil couchant.

Immersif et extatique, ce disque est bel et bien à l’image de sa photo de pochette : les sœurs RHEINGANS, presque cramponnées l’une à l’autre, nous fixent du regard, baignées dans des teintes surannées à la fois sombres et ensoleillées, entourées de signes cabalistiques. Le titre Start Close in est en fait tiré d’un poème du poète et philosophe anglo-irlandais David WHYTE qui incite à se rapprocher de tout ce qui a trait à l’immédiat et au quotidien, là où l’on peut trouver un sens aux choses et même un peu de magie, ce qui est en quelque sorte le sens de la démarche des RHEINGANS SISTERS, dont l’univers « folk de chambre » aux échos tant médiévaux que contemporains reflète une envie de célébration collective face aux tourments du monde, rappelant ainsi la fonction sociale de la musique folk.

Puisse l’écoute de Start Close in vous inciter à vous rapprocher du monde envoûtant des RHEINGANS SISTERS…

Stéphane Fougère

Site : www.rheinganssisters.co.uk/

Page : https://therheinganssisters.bandcamp.com/album/start-close-in

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