Thierry MÜLLER / Quentin ROLLET – Langueur dérivative

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Thierry MÜLLER / Quentin ROLLET – Langueur dérivative
(ReQords 016)

En 2011, Dominique GRIMAUD a publié dans sa collection Zut O Pistes (sur le label Gazul, catalogue impressionnant), un album compilatoire et jubilatoire de treize morceaux intitulé Veterans of the french Underground meet la Jeune Garde. Y figuraient quelques pionniers des années 1970 et la vague du renouveau des années 2000 qui se mêlaient gentiment et avec une once de respect de deux côtés, (depuis, les jeunes gardiens sont devenus à leur tour des nouveaux vétérans ou ont tout bonnement disparu corps et biens et âmes).

Depuis quelques années Thierry MÜLLER, autre passeur avisé et pas tout à fait vétéran : en effet un vétéran par définition est un soldat qui n’a pas forcément rendu les armes, qui a des réserves (qui est sur sa réserve sans être réserviste) et qui garde des étincelles, des flammèches incandescentes et des oreilles bien ouvertes, a cumulé des collaborations diverses et variées (avec Patrick son frère et producteur pour PTM en 2022 chez TrAce Label (cf. https://rythmes-croises.org/ilitch-ptm-works-2/), le duo PEPE WISMEER en 2024 chez Klanggalerie (cf. https://rythmes-croises.org/pepe-wismeer-thierry-muller-curieuse-quietude/), Philippe DORAY, etc.).

Le musicien toujours prolifique (jamais prolixe), profane et protéiforme a également réactivé son tout premier projet et grand amour ILITCH, en sommeil depuis 2010/2011 (cf. https://rythmes-croises.org/ilitch-dark-summer/), pour trois magnifiques albums: White Light chez Bisou Records en 2021 avec des morceaux au violoncelle de Milena DRITHER-LERRU envoûtants, I Love You But You’ve Chosen Darkness (2021) et Seuls les Anges ont des Ailes en 2024 chez Astres d’Or en tirage très/trop limité.

En parallèle (il y a toujours eu des œuvres et des démarches parallèles chez Thierry MÜLLER) notre musicien fidèle poursuit sa collaboration (duo/duette, trio/triplette) avec Quentin ROLLET saxophoniste prolifique également et créateur des éditions ReQords avec en 2015 (chez Bisou, premier numéro du label, vous suivez) On Your Body’s Landscape, sorte de musique de film dénaturé et recomposé et collage impromptu et organisé, suivi par Correspondant à une lettre en version quatuor en 2024 (Bisou Records aussi) avec Patrick MÜLLER, frère producteur et Paul COLLINS (moog) ainsi que Night in Red Satin (ReQords 2024, forcément), performance (avec Jérôme LORICHON), enregistrée en mai 2016 dans le cadre d’un festival très underground.

En 2025, notre musicien toujours en grande forme et toujours pas vétéran, se replonge dans ses archives récentes et donne une seconde chance à ce petit bijou intitulé Langueur Dérivative, suite lexicale à Curieuse Quiétude (curieuse qui es-tu ?) si l’on veut (un bisou, un caillou, un hibou), ou plutôt langueur dérive hâtive diffusé (2021) en numérique-only, second duo avec ROLLET, sorti des oubliettes et publié en CD avec un remixage et sans bonus, musique de film (Champ de batailles, documentaire fiction d’Edie LACONI sorti en 2018, mais dont l’auteur a finalement décidé de ne pas mettre de musique et de garder le son brut du film).

Douze morceaux aux guitares, synthés et saxes de ROLLET (pas de contrepèterie en vue). Peut-être un clin d’œil multiple à ce joli morceau de l’album Oh Really de MILLER/COXHILL (1974) intitulé Soprano Derivato ainsi que de toutes les impros de Lol COXHILL, roi incontesté du saxo courroucé, celui qui a sauvé Kevin AYERS & THE WHOLE WORLD sur le plus joli album de ce dernier, Shooting at the Moon, paru en 1970, et qui, bizarrement, a approché plutôt de loin que de près la scène des amis de SOFT MACHINE.

On commence avec Fallen Angel et une ambiance qui rappelle, sans s’y frotter, un peu le Zuckerzeit de CLUSTER (compliment) avec de belles percussions qui n’explosent pas, une ligne de basse électronique somptueuse et du piano qui installent peu à peu de plus longs morceaux aux accents répétitifs. Tout cela faisant un mélange abrasif (morceaux courts), épisodes assagis et mélodiques avec toujours le bruissement chaud et froid du saxophone et la guitare électrique et ses pédales toutes en improvisations dignes des plus beaux atours de la musique électronique expérimentale d’où n’est d’ailleurs vraiment jamais sorti Thierry MÜLLER (compliment à nouveau, même si les épisodes Ruth et leur pop allègre sont une des facettes taquines du musicien toujours facétieux).

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One More Nightmare poursuit par petites touches jusqu’à Dérive, très beau morceau avec violoncelle et « keyboards » répétitives dans lequel ROLLET enveloppe en les hachurant les arpèges montantes et descendantes (toujours CLUSTER et ce piano un peu out of tune), les morceaux sont encore courts (c’est vraisemblablement le principe des musiques de films qui accompagnent des séquences et s’arrêtent avec les changements de plans), Look at Yourself s’installe davantage dans la durée avec des nappes qui indiquent bien cette langueur, et on est loin de l’album de 2024 des quatre « vétérans » qui eux s’en donnaient à cœur joie dans l’impro en session désordonnée.

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Avec le sixième morceau, on se dit que Thierry MÜLLER (fan de) rend son hommage révérent à Brian ENO avec percussions et guitares « atmosphériques », mais ça n’est pas que ça et notre homme, a sans nul doute, navigué (et inspiré) pas mal de monde depuis longtemps entre Robert FRIPP (oui, oui on peut le dire), et d’autres compositeurs des galaxies expérimentales.

Le septième morceau Fallen Angel Variation voit réapparaître Quentin ROLLET qui accompagne un piano sage et met un peu de discorde dans cet ensemble apaisé. Puis vient le très « clusterien » The Sigmund Translation perturbé (mais comme il faut) par des interventions aigues et parfois miaulantes du saxophone, que les synthés évacuent vers les cinq minutes pour que celui-ci puisse renaître dans le morceau suivant, le Broyeur d’Ames, bien nommé et bien tordu, qui s’interrompt pour laisser la place à un Schizo Conversation magnifique tout en enroulements (4’46 mn) et en voix de fond de studio (là c’est Quentin ROLLET qui prend la place du brave Marcel qu’on entendait tout de même plus distinctement sur PTM 2).

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Le douzième et dernier morceau Soft Thoughts est un retour (bienvenu et logique) vers l’univers de CLUSTER et ses synthétiseurs hachés et presque sautillants avec du saxe (ou saxello ?) très opportun.

Une belle réussite, les notes de pochette indiquent que les huit premiers morceaux ont été retravaillés pour la parution en 2021 de l’album numérique et que les parties de saxophone des quatre derniers morceaux ont été enregistrées à part (sauf erreur), dans un studio très professionnel (Pierre SCHAEFFER), et ce morceau empli de guitares tissées avec une belle intensité et beaucoup de précisions, conclut ce joyau de quarante minutes ressorti des limbes et des archives de ce faux vétéran (belle carrière, peu de médailles, mais immense admiration), toujours proche de jolies mélodies, à la fois intime et extraverti, toujours à l’affût, qui ne cesse de raconter et de mettre en sons ses affres amoureuses (voir le polaroid de l’album) et ses rencontres hors normes avec une belle bande d’artistes français et européens, pour voyager et nous faire rêver, remplir nos oreilles d’étincelles et continuer à combler nos âmes sans trop les broyer.

Xavier Béal

Page : https://ilitchmusic.bandcamp.com/album/langueur-d-rivative

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