URNA – Jamar
(PMP)
Comme dans toutes les cultures musicales, il y a en Mongolie des artistes qui ne savent pas se satisfaire du rôle de simple représentant musicologique appliqué et révérencieux. La chanteuse Urna CHAHAR-TUGCHI est de ceux-là. Pourtant, il n’y a nul doute à avoir sur l’origine de son répertoire et de son inspiration. URNA vient en effet du district d’Ordos, situé dans le Sud-Ouest de la Mongolie intérieure (en territoire chinois). Mais les quatre disques qu’elle a enregistrés jusqu’à présent se démarquent assez nettement des formations folkloriques usuelles qui illustrent d’ordinaire la tradition mongole.
Après Tal Nutag (Klangräume, 1995), Crossing (KlangRäume, 1997) et Hödööd (Oriente, 1999) Jamar s’affiche, à l’instar de ses prédécesseurs, comme un opus hors-normes qui tranche avec les formes strictement traditionnelles, et ce, en partie parce qu’il présente une majorité de compositions personnelles. Pourtant, il n’y a nul doute à avoir sur l’origine de son répertoire : c’est bien la poésie nomadique et naturaliste mongole, avec ses contes et ses légendes, qui, depuis son enfance paysanne (ses parents étaient éleveurs de bétail), a nourri la muse d’URNA.
Écouter Jamar, c’est pénétrer la vision personnelle d’un artiste à la fois sur ses racines ethniques et sur le parcours sensible qui a façonné son inspiration. Car URNA n’est pas restée dans sa campagne mongole. Adolescente, elle a postulé au Conservatoire de musique de Shanghaï et a éprouvé le désir de s’ouvrir à d’autres cultures musicales. C’est là qu’elle a rencontré Robert ZOLLITSCH, un artiste allemand qui s’est pris de passion pour les cultures asiatiques et s’est mis en tête d’apprendre à jouer le « guquin », une sorte de dulcimer version chinoise, dont il a par la suite développé une utilisation non traditionnelle.
ZOLLITSCH a évidemment apporté sa pâte dans la tonalité générale des albums d’URNA et, sur Jamar, il l’accompagne à la zither bavaroise, ce qui, en soi, est déjà une belle entorse aux préférences instrumentales de la musique mongole. Et si Robert ZOLLITSCH distille malgré tout de temps à autres des bribes de chant de gorge, la musique d’URNA – comme on l’aura compris – ne se préoccupe pas forcément de sonner « couleur locale ». Même le jeu de BURINTEGUS à la plus familière vièle morin-khuur prend un malin plaisir à ne pas toujours suivre un sillage rigoureusement traditionnel. Enfin, les percussions du musicien indien Ramesh SHOTHAM dessinent des figures encore plus ouvertes à d’autres mondes.
URNA n’a cependant eu nul besoin de tirer la corde facile de l’exotisme fusionnel à tout crin. Sa musique reste fidèle à l’esprit de la tradition de son pays et s’inscrit dans une veine on ne peut plus acoustique, mais fait preuve d’audace en termes d’aménagement de l’espace mélodique.
Surtout, les remarquables prouesses vocales d’URNA s’étalent sur pas moins de quatre octaves et promettent des surprises aussi surprenantes que séduisantes aux oreilles gourmettes. Ce sont elles qui subjuguent en premier lieu, tant elles explorent nombre de nuances d’un spectre émotionnel qui va de la mélancolie feutrée à la contemplation tendue, en passant par la liesse contenue. Force et fragilité substituent leurs ombres avec une finesse déroutante.
La palette instrumentale, bien que minimale, renforce brillamment les traits émotionnels de chaque morceau sans jamais sombrer dans la fioriture gratuite. On est aussi loin de l’imagerie folklorique que de la musique de relaxation. Le morceau éponyme à l’album est un exemple particulièrement probant de la volonté d’innovation qui anime le couple URNA/ZOLLITSCH.
La pièce finale, Banchan sömö, qui évoque la destruction d’un monastère, verse carrément dans l’expérimentation sonore sans concession et laisse l’auditeur en état d’hallucination catatonique.
Loin du catalogue folklorique de rigueur, la musique d’URNA opte pour une lecture ouverte de la tradition mongole et suggère des lignes d’horizon dont on n’a pas fini de voir le bout. On trouvera sans doute chez Urna CHAHAR-TUGCHI des résonances des options artistiques d’autres chanteuses irréductibles telle MARI BOINE. Il reste à attendre que la France daigne accueillir cette nouvelle ambassadrice des steppes.
Stéphane Fougère
Site : https://urna.com