VÄRTTINÄ – Miero
(Real World / Virgin / EMI)
Il n’est pas dans les habitudes du label Real World de signer un artiste ou un groupe qui a derrière lui 23 ans de carrière, comme c’est (déjà) le cas pour VÄRTTINÄ. Pour une fois, le label de Peter GABRIEL ne nous fait pas vraiment découvrir de talent méconnu perdu au fin fond d’une région qui ne le serait pas moins. De leur côté, les chanteuses et musiciens de VÄRTTINÄ n’ont pas attendu ce onzième album pour faire le choix d’une musique « world » à la fois inspirée par une tradition locale et ouverte à une inspiration plus internationale. À la base, la musique de VÄRTTINÄ (rappelons-le aux éventuels retardataires ou néophytes) a pour terreau originaire la tradition finlandaise, et notamment les « runos » de Carélie, à laquelle se sont greffées des influences « modernes », soit pop, rock, world et jazz.
Tout le talent de VÄRTTINÄ tient au fond dans sa capacité, d’un disque à l’autre, à entretenir cette inspiration au même niveau et à maintenir un équilibre entre tous ces éléments, de manière à engendrer un son qui soit à la fois accessible pour un public international (« global », comme on dit dans le milieu) tout en étant réminiscent du folklore finnois (local, comme on dit…). On ne garantit pas cependant que les amateurs de pur trad’ finnois s’y retrouveront, mais bien davantage les amoureux de voix fortes et hypnotiques qui savent allier dynamisme et rêverie, les férus de musiques populaires mais différentes, aux atmosphères bizarroïdes et aux mesures impaires, ainsi que les passionnés de mythologies et de langues nordiques.
De ce point de vue, Miero ne décevra pas. Vif et percutant, et même un poil effrayant, Riena (« Anathème ») ouvre le disque de façon saisissante, un peu à la manière d’Aijo sur Ilmatar.
Par conséquent, les morceaux suivants paraissent plus mollassons, et même les autres pièces censées être teintées rock, comme Mieronti et Synti, font pâle figure en comparaison de Riena, encore que la seconde intrigue avec ses notes répétitives et hypnotiques à consonance électro (apparemment faites à l’accordéon mais trafiquées) et les effets de voix type sorcières de Macbeth des filles au milieu.
Il y a aussi de belles ballades qui se démarquent au fur et à mesure des écoutes, mettant chacune en évidence l’une des chanteuses : Susan AHO sur Mataleena et Maaria (aux accents de complainte tzigane), Johanna VIRTANEN sur Mustat Kengät et Vaitan Valvoin, et Mari KAASINEN sur Lupaus.
Conformément à une tradition discographique typiquement « värttinienne », Miero contient aussi une pièce instrumentale (pas la plus marquante) et deux pièces chantées a capella : le morceau éponyme proprement dit (sur lequel une voix masculine, celle de Lassi LOGREN, se mêle à celles des filles, comme sur Potran Korean dans Iki) et Eerama, plus corsé.
La formule värttinienne reste donc la même (il est vrai que la formation est aussi identique à celle du disque précédent, le très réussi Iki), avec toujours un très beau travail sur les harmonies vocales et une production fort soignée. Cela dit, les colorations ethniques, les atmosphères chamaniques et les subtiles textures expérimentales que l’on pouvait trouver sur Vihma et sur Ilmatar ne sont plus trop à l’ordre du jour. Miero fait place à des arrangements plus concentrés sur le mode folk-pop-rock (avec notamment une batterie plus proéminente), ce qui est un comble quand on sait que Real World passe pour être quand même un label… « world » !
Côté textes, on notera quand même une dominante thématique plus sombre que sur Iki, puisque l’on croise dans ces chansons des serpents de la mort, des nids de vipères, une marâtre qui a trucidé ses trois lardons, on explore le monde souterrain, et comme d’habitude il est question de traîtrises sentimentales, d’amours abandonnés et de pulsions chaudes… Bref, tout le côté obscur et dramatique des mythes nordiques est dûment exhibé, la (splendide) pochette du disque tenant lieu d’avertissement, avec cette forêt lugubre, ses arbres piquants et son lichen envahissant… Et pour tout dire, le terme « miero » désigne en français les parias, les réprouvés, les exclus.
Il semble que cette inclination dramatique sur certaines pièces ait été consécutive à l’implication de VÄRTTINÄ (menée conjointement à l’enregistrement de cet album) dans un projet d’adaptation du Seigneur des anneaux conçu par le compositeur indien A.R. RAHMAN. Cette création a commencé à être jouée sur scène au printemps 2006. On attend donc qu’une trace discographique nous fasse entendre ce que VÄRTTINÄ a pu faire dans pareil contexte, en espérant quelques bonnes surprises.
Site : www.varttina.com
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°23 -juin 2006, et remaniée en 2018)