AGITATION FREE
They Play (again) for us Today !
En ces temps menacés de sclérose artistique, quoi de plus réjouissant que de voir réactivée cette « agitation libre » qui a marqué la scène allemande des années 1970 ? Rappelé par la légende le temps de quelques documents live et d’un nouveau disque en 1999, retombé en léthargie puis réveillé pour quelques dates au Japon en 2007 et la réédition de sa discographie chez SPV à partir de 2008, le groupe AGITATION FREE est revenu sur les scènes européennes en 2012 – chez lui en Allemagne, et en France – suite à la parution du CD Shibuya Nights, consacré à ces concerts japonais d’il y a maintenant cinq ans !
À petits pas, le groupe le plus négligé de cette mouvance space-rock psychédélique et électronique (dont il fut cependant l’un des pionniers avec ASH RA TEMPEL et TANGERINE DREAM) refait surface. TRAVERSES/RYTHMES CROISÉS s’est donc décidé à rappeler l’histoire d’AGITATION FREE, ses productions discographiques et est allé à la rencontre de deux « agités libres », Lutz ULBRICH et Michael HOENIG, à l’occasion du concert aussi unique qu’exceptionnel que le groupe a donné à Paris, au Point Éphémère, fin mars 2012.
Dans l’immense scène Krautrock des années 1970, AGITATION FREE a occupé une place manifestement difficile à situer autant qu’à tenir qui lui a valu d’être quelque peu négligé par les faiseurs de mythe et les entreteneurs de culte par rapport à ses pairs TANGERINE DREAM et ASH RA TEMPEL, ou encore ses cousins CAN, NEU !, CLUSTER et FAUST.
Même une « bible » officielle comme le Krautrocksampler de Julian COPE zappe complètement l’existence du groupe ! Et pourtant, AGITATION FREE est bel et bien au carrefour de cette nébuleuse musicale allemande, quelque part entre rock psychédélique, planant et progressif et musique électronique cosmique.
Cependant, l’évolution artistique d’AGITATION FREE ne s’est pas écrite en un jour, ni en sept, et a tracé des volutes plutôt que des lignes droites. Et tout comme il y a eu un AMON DÜÜL avant AMON DÜÜL II, il y a eu AGITATION avant AGITATION FREE ! Le groupe est né en septembre 1967, formé d’un batteur (Christopher FRANKE), d’un bassiste (Michael GUNTHER), de deux guitaristes (Lutz ULBRICH et Lutz KRAMER) et d’un chanteur occasionnel (Michael DUWE) qui ne restera que jusqu’en décembre. Le groupe est devenu AGITATION en 1968, à la faveur d’un index pointé au hasard sur une page de dictionnaire (comme pour le mouvement Dada…). Il fait des reprises des STONES, du JEFFERSON AIRPLANE avant de s’enthousiasmer pour le répertoire de PINK FLOYD, alors une référence majeure pour les amateurs de musique psychédélique planante. Et bien sûr, le groupe a déjà une fâcheuse tendance à étirer les morceaux et à improviser de nouvelles sections…
● Turbulence communautaire
AGITATION s’est très vite libéré de ses reprises, mais s’il s’adjoint le terme FREE en 1969, c’est parce qu’il a un jour joué dans une salle dont l’entrée était « libre », comme indiqué sur la porte d’entrée, juste en dessous du nom du groupe…
AGITATION FREE… le groupe était de toute manière prédisposé à porter un nom pareil ! Depuis ses débuts et au fil des ans, des concerts et des événements, le groupe a vu circuler pléthore de musiciens en son sein. Les citer tous serait fastidieux, mais il n’est pas inintéressant de remarquer que certains d’entre eux sont passés ensuite dans d’autres groupes devenus mythiques : ainsi de Christopher FRANKE, qui a rejoint TANGERINE DREAM en 1971, du guitariste Axel GENRICH, qui a opté pour GURU GURU, tandis que le chanteur Michael DUWE s’est retrouvé chez ASH RA TEMPEL. On le voit, l’« agitation libre » était aussi un credo en interne…
Il faudra attendre 1971 pour que la formation d’AGITATION FREE se stabilise à peu près autour de Lutz « Lüül » ULBRICH (guitares), Michael « Fame » GUNTHER (basse), Michael HOENIG (claviers), Jörg « Joshi » SCHWENKE (guitares) et Burghard RAUSCH (batterie). Au passage, il n’aura échappé à personne qu’AGITATION FREE a résolument choisi d’être un groupe de musique instrumentale, échaudé par l’expérience vécue en 1969 avec le chanteur John L., spécialiste des strip-tease sur scène, des peintures sur pénis et des suspensions aux lampes de plafond… Lui aussi a fini par rejoindre ASH RA TEMPEL le temps d’un album uniquement.
De 1967 à 1971, AGITATION FREE a écrit son histoire à travers les événements tant politiques qu’artistiques qui ont secoué l’Allemagne de cette époque. Le pays est alors en proie à une situation tendue entre un gouvernement de coalition chrétien-socio-démocrate et une extrême-gauche réfractaire à la sclérose conservatrice et autoritariste. C’est l’apparition des communautés, notamment la fameuse K1 (Kommune 1) berlinoise, qui deviendra l’antre « underground » par excellence, celui des expérimentations culturelles les plus débridées où le cocktail sexe, drogue et rock n’roll est décliné dans toutes ses variations. Peintres, poètes, musiciens, comédiens, baba-cools et révolutionnaires rouges y échangent un peu de tout… Jimi HENDRIX n’y a fait que passer, mais les membres d’AMON DÜÜL s’y sont installés et AGITATION FREE y est aller répéter courant 1969. Lutz KRAMER y restera plus longtemps, manifestement plus préoccupé de politique que de musique.
● Du club au studio
Dans le domaine artistique, à côté des voies académiques balisées s’ouvrent des sentiers de traverse, propulsés dans l’art contemporain par les mouvements Fluxus et Dada dans sa version néo, et dans la musique contemporaine par des empêcheurs de penser en rond comme Karl-Heinz STOCKHAUSEN, qui inspirera CAN, KRAFTWERK et les BEATLES. La musique minimaliste américaine (Steve REICH, La Monte YOUNG, Terry RILEY, Philip GLASS…) trouve aussi droit de cité chez les jeunes musiciens pratiquant un rock expérimental. La porosité entre les deux mondes musicaux – avant-gardiste et populaire – s’accroît et trouve un prolifique terrain d’expression avec l’ouverture, à Berlin-Ouest, du Zodiak Free Arts Lab (ou Zodiak Club), créé fin 1967 par Boris SHAAK, Hans-Joachim ROEDELIUS et Conrad SCHNITZLER et où sont organisés des rencontres entre musiques free jazz, pop, électronique, improvisée… Bon nombre de musiciens de la future scène krautrock et de la kosmiche musik s’y croisent (KLUSTER est né ici), et bien sûr ceux d’AGITATION y ont leurs entrées, au même titre que ceux de TANGERINE DREAM, PSY FREE (Klaus SCHULZE), ASH RA TEMPEL, EMBRYO ou encore Peter BRÖTZMANN…
Si AGITATION FREE a traversé l’histoire du Zodiak Club puis celle de la Kommune 1, il a assurément écrit celle du Beat Studio. Par l’entremise de la mère de Christopher FRANKE, AGITATION FREE s’est en effet retrouvé subventionné par la Volksmusikhochschule (école publique de musique) de Berlin-Wilmersdorf. C’est ainsi que, fin 1969, une salle de répétitions est transformée en studio d’enregistrement, supervisé par un compositeur renommé, Thomas KESSLER. Ce dernier se lie très vite d’amitié avec les membres d’AGITATION FREE ; le Beat Studio est né et devient la base opérationnelle d’AGITATION FREE.
Dans ce studio, KESSLER dispense au groupe des cours sur la musique expérimentale. Les musiciens d’AGITATION FREE y découvrent la musique électronique « live », bientôt suivis par Edgar FROESE (TANGERINE DREAM), Manuel GÖTTSCHING (ASH RA TEMPEL), Klaus SCHULZE, et un certain Michael HOENIG, jeune musicien de formation classique passionné par les premiers instruments électroniques. De fait, le Beat Studio a écrit lui aussi l’histoire d’AGITATION FREE en permettant à HOENIG d’intégrer le groupe, conquis par ses prouesses sur les premiers synthétiseurs. À l’électricité rock, AGITATION FREE s’adjoint donc les nappes et les spirales de la musique électronique.
● Performances transdisciplinaires
Mais compte tenu du fait que la période est, comme on l’a dit, propice aux créations pluridisciplinaires, l’initiation artistique d’AGITATION FREE ne se limite pas à la musique. (À moins que ce ne soit le type de musique que joue AGITATION FREE qui le prédispose à des expérimentations qui dépassent le cadre du simple concert de rock…) Sous l’impulsion du plasticien Folke HANFELD (c’est lui qui avait pointé son index sur le mot « Agitation » dans la page d’un dico… et qui s’est également occupé des éclairages scéniques du groupe), AGITATION FREE a aussi versé fin 1969 dans son projet Intermedia en intégrant la vidéo, la projection de films super-8 et de diapositives et les light-shows « water-color » à ses performances. Cellophane, gels liquides, pneus de camion et lombrics faisaient aussi partie de ce dispositif de « spectacle total »…
En 1970, Thomas KESSLER a aussi présenté le bassiste Michael GUNTHER à un compositeur tchèque, Ladislav KUPKOVIC. Ce dernier lui a demandé à plusieurs reprises de participer à ses « concerts errants » (« Wandelkonzerte »), sorte de performance durant laquelle les spectateurs peuvent vagabonder (« wandel ») parmi les musiciens, ou bien parler, fumer, etc. AGITATION FREE y a aussi participé une fois au grand complet : ce fut la dernière performance avec Christopher FRANKE.
De 1971 à 1973, AGITATION FREE s’est impliqué à plusieurs reprises dans des pièces radiophoniques de l’auteur Alfred BERGMANN. L’une d’entre elles a même été consacrée au groupe : AGITATION FREE, einer Porträt Musikgruppe (« AGITATION FREE, Portrait d’un groupe de musique »).
Aucun disque ne documente les 4/5 premières années pourtant fort délurées d’AGITATION FREE. C’est un mal pour un bien, certaines expériences, aux allures de happenings et de repoussoirs de limites, valent surtout dans l’instant où elles sont vécues, pour les musiciens comme pour les auditeurs. Les graver obligerait à les tronquer, à les polir, à en amoindrir l’impact et de leur faire perdre leur essence. En revanche, peut-être qu’un film, même court, pourrait au moins permettre de restituer le contexte, sans forcément non plus favoriser une immersion totale.
Toujours est-il que la production discographique d’AGITATION FREE n’a démarré que tardivement. Mais avant cela, il a fallu que le groupe vive une aventure déterminante.
● Pas de panique !
En 1972, suite à une proposition d’un consul de l’ambassade allemande en Égypte à laquelle il n’avait pourtant pas trop cru, le groupe AGITATION FREE part jouer sur les rives orientales de la Méditerranée, une tournée financée par l’Institut Goethe ! L’Égypte (Le Caire, Alexandrie), la Lybie (Tripoli), la Chypre (Nicosie) et la Grèce (Athènes) sont l’occasion de rencontres hallucinantes et hallucinées, de sensations forcément fortes, d’impressions colorées et de judicieuses captations sonores qui marqueront la conception du tout premier album qu’AGITATION FREE se décide à enfin à enregistrer quelques semaines après son retour de cette improbable virée.
Enregistré en juillet 1972, Malesch s’affiche à la fois comme un disque singulier dans l’univers du rock expérimental allemand et comme celui qui, forcément, pose les bases de la signature AGITATION FREE. Les guitares (celles de Lutz ULBRICH et Jörg SCHWENKE) alternent leur plaidoiries libertaires dans un esprit imprégné de psychédélisme « west-coast », rappelant les éclats de Gary DUNCAN et John CIPPOLINA dans QUICKSILVER MESSENGER SERVICE, la basse de GÜNTHER joue de ses rondeurs, la batterie navigue entre Terre et ciel, les percussions de l’invité Uli POPP raniment quelque esprit tribal et les synthétiseur et orgue de HOENIG (auxquels se joint occasionnellement l’orgue de Peter Michael HAMEL, convive avisé) connectent le tout avec l’hyper-espace intérieur.
Climats lunaires ou sablonneux, atmosphères enfumées, mélodies fluides, soli veloutés, envolées cosmiques, grooves percussifs et pulsations synthétiques troublantes (écoutez la vibration science-fictionesque de Pulse) forment les contours moirés d’un espace parsemé de palpitations et de méditations.
Du titre de l’album (Malesch, qui signifie quelque chose comme « pas de panique ! » en égyptien) aux titres des morceaux (Sahara City, du nom d’un bâtiment au Caire, Ala Tul qui peut se traduite par « droit devant », Khan El Kalihi, du nom d’un bazar du même nom toujours au Caire), jusqu’à l’écriture arabe et la photo du groupe au pied de ruines pyramidales sur la pochette, tout dans ce disque est imprégné d’un orientalisme diffus, à la fois hallucinatoire et hallucinogène.
Les séquelles que la tournée orientalo-méditerranéenne a laissées sur les musiciens sont palpables de bout en bout. Seul le dernier thème, Rücksturz, évoque le voyage de retour, avec son riff étourdissant. De plus, des extraits d’enregistrements de terrain (bruits d’aéroport, de circulation, de musique traditionnelle orientale, voix diverses…) ont été disséminés entre les pièces, reliant celles-ci à la manière d’un prisme narratif évoquant les étapes de l’expédition d’AGITATION FREE aux portes du Grand Orient.
Ce sont sans doute ces incrustations d’ambiances, ajoutées aux gammes modales et sinuosités mélodiques vaguement orientalisantes, qui ont valu à Malesch d’être parfois présenté, à la faveur d’un raccourci analytique qui tient lieu de mirage intellectuel, comme un prototype de « world music ». (Dans ce genre de métissage, EMBRYO a tout de même été plus loin.) Mais il est indéniable que l’on n’avait pas encore entendu de musique électrique planante aussi teintée de parfums d’ailleurs.
● Seconde Communication
Tout juste un an après l’enregistrement de Malesch, AGITATION FREE enregistre à Munich (juillet 1973, donc) son deuxième LP, judicieusement nommé Second. La formation du groupe est sensiblement la même, si ce n’est que Jörg SCHWENKE, devenu un boulet parce qu’il est trop accroc à l’héroïne, est remplacé par Stephan DIEZ. Les numéros de guitares jumelles entre ULBRICH et DIEZ sont donc plus que jamais au programme du nouveau répertoire et font la leçon à l’auditeur dès le premier morceau, First Communication, cadre idoine pour une virée improvisée qui démarre lentement, s’anime et s’enflamme au fur et à mesure, toute fluidité devant. Voilà comment on s’y prend pour engendrer un classique du krautrock !
On a souvent remarqué que Second se distinguait de son prédécesseur par l’effacement des références orientales. On dira plutôt qu’elles ne servent plus de faire-valoir et ne sont plus affichées en exergue des morceaux (il n’y a plus de transitions à base d’enregistrements de terrain), mais qu’elles sont digérées dans le discours global, où le son « west-coast » de l’ALLMAN BROTHERS BAND et GRATEFUL DEAD s’impose encore tout en se colorant d’accents jazzy par le biais de gammes modales. Et paradoxalement, c’est le seul morceau à la référence toute orientale, Laila, qui décline une orientation jazz-prog-fusion du meilleur effet, avec, dans sa seconde partie, une mélodie qui accroche l’oreille par son allure jubilatoire et sa résonance lumineuse.
Propulsées par une section rythmique au diapason, les guitares s’envolent littéralement dans cette pièce devenue emblématique du répertoire d’AGITATION FREE, quasiment un « tube » puisqu’il existe pas moins de cinq versions de Laila officiellement publiées aujourd’hui !
Les synthétiseurs de Michael HOENIG ont toujours leur mot à dire, parfois avec discrétion, avec de simples nappes diaphanes mais essentielles, parfois en imposant une présence étrange, voire dérangeante, avec notamment ce Dialogue and Random bourré de distorsions extra-terrestres. Avec pareille abstraction, la déconnexion terrestre est assurée ! Elle ne fait que s’amplifier dans la face B du LP, qui se démarque de la face A par ses plages globalement plus évanescentes.
Des titres comme In The Silence of the Morning Sunrise et A Quiet Walk illustrent clairement la volonté du groupe de nous faire goûter aux délices de la sérénité pastorale, via une coloration plus folk donnée par le bouzouki que joue Lutz ULBRICH.
Et cette fois, ce n’est pas par des bruits de circulation que commence le premier morceau cité de cette face B, mais par des gazouillis d’oiseaux. Ça peut paraître assez cliché de prime abord, mais la new-age de relaxation n’existait pas encore et c’est véritablement une sensation de dépaysement qui s’empare de l’auditeur, convié à scruter un horizon une fois de plus inattendu chez AGITATION FREE, l’ « ambient (quasi) acoustique ». Du reste, dans le second morceau cité, le groupe parvient à une symbiose parfaite entre les cordes d’ULBRICH et de DIEZ et les sons de synthétiseur et d’orgue de HOENIG.
Et en clôture, c’est une autre surprise qui attend l’auditeur puisque une voix se manifeste, celle de Frank DIEZ (frère de Stephan). Il ne chante pas vraiment, il récite du Edgar Allan POE (Terre de songe) avec une voix un peu trafiquée. Le morceau s’intitule justement Haunted Island, et c’est, dans toute la production discographique d’AGITATION FREE, celui qui porte le plus les stigmates structurels du rock progressif, avec ses alternances de thèmes, son tempo mesuré et… son passage de mellotron ! Ce n’est pas le morceau le plus marquant du disque, mais il termine pertinemment une face à l’inclination résolument onirique.
Plus abstrait que Malesch pour certains, plus abouti pour d’autres, Second offre à la fois de somptueux embrasements et de délicates rêveries dans un équilibre subtilement dosé. On comprend pourquoi il figure parmi les indispensables de cette vague allemande planante et expérimentale des années 1970.
● Alive at Last
Malgré l’intégration d’un nouveau guitariste, Gustav « Gustl » LÜTJENS, en lieu et place de Stephan DIEZ, juste après les sessions d’enregistrement de Second, AGITATION FREE a mis un terme à sa carrière en juin 1974, après un ultime concert en France, à Saint-Cloud. Dommage, le groupe était en passe de se produire à l’Olympia, grâce aux efforts soutenus du manager, Assaad DEBS, que le groupe avait rencontré à Beyrouth lors de son périple proche-oriental. DEBS avait littéralement flashé sur la musique du groupe et lui a permis de faire de nombreuses dates en France lors de l’année 1973. Cette année-là, AGITATION FREE a certainement plus joué sur le sol français que sur son sol natal ! C’est peut-être aussi pour cette raison que le groupe n’est pas cité en priorité dans les manuels du Krautrock… Mais les Hexagonaux savent ce qu’ils doivent à Assaad DEBS, qui a fait jouer en France toute la crème de cette scène « kosmische » allemande : ASH RA TEMPEL, AMON DÜÜL, Klaus SCHULZE, sans oublier le mythique concert de TANGERINE DREAM et de NICO à la Cathédrale de Reims…
C’est donc avec Second que s’achève la production discographique d’AGITATION FREE, du moins de son vivant. Car la légende engendrée par le temps s’est chargée de garnir la discographie du groupe, il est vrai un peu chiche au regard du parcours effectué.
En fait, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que paraisse le premier rétroviseur audio sur AGITATION FREE. Deux ans après la dissolution de ce dernier, c’est un label français, Barclay, qui publie Last, dont le titre laisse penser qu’il s’agit du troisième album annoncé par le groupe le soir même de son dernier concert. Il s’agit en fait du premier disque du groupe à caractère d’archive.
Last a deux faces très distinctes : la face A comprend deux improvisations typiquement Space Rock, Soundpool, qui s’achève sur le thème de Rücksturz, et Laila II, captées lors du passage du groupe à l’émission de TV française Rock en Stock en 1973. Sur la face B s’étale Looping IV, une pièce à base de boucles (comme son titre l’indique) pré-enregistrées que le groupe avait conçu avec le compositeur de musique contemporaine Erhard GROSSKOPF en novembre 1973. Deux faces, deux visages distincts de la démarche d’AGITATION FREE. À l’époque, la face B en a déconcerté plus d’un, mais elle témoigne de l’esprit d’ouverture et d’aventure dont le groupe savait faire preuve, jonglant plus que jamais entre rock psychédélique et électronique cosmique.
Pendant plus de vingt ans, Last fut le seul document d’archives disponible d’AGITATION FREE, son titre donnant l’illusion qu’il était l’ultime roue du carrosse, et qu’on avait ainsi fait le tour de la question. Mais à partir de 1995, les musiciens, rattrapés par le mythe, ont dû céder à la tentation de la spéléologie et exhumer des bandes inédites.
C’est ainsi que le modestement titré Fragments dévoile la véritable fermeture de rideau d’AGITATION FREE : c’était en novembre 1974, à Berlin. Pour marquer le coup, tous les musiciens passés dans AGITATION FREE avaient été conviés à cette « réunion finale » et ils y étaient presque tous : Lutz ULBRICH, Michael HOENIG, Michael GÜNTHER, Jörg SCHWENKE, Gustl LÜTJENS, Burghard RAUSCH, Mickie DUWE, Bernhard ARNDT, et même Christopher FRANKE ! L’atmosphère est bon enfant, genre jam entre potes, les pièces jouées sont inédites, moyennant un clin d’œil à CHICAGO avec ce We are Men qui fait écho au I am a Man du groupe américain. Le disque d’origine contient aussi une pièce enregistrée en studio en juillet 1974, et la réédition CD de SPV GmbH/Revisited Records ajoute un inédit de 1971 et une piste vidéo filmée au Beat Studio la même année.
En 1998 est sorti At The Cliffs of River Rhine (rebaptisé Live ’74 lors de sa réédition en version remastérisée en 2008), comprenant une bande live tiré d’un concert de 1974 radiodiffusé sur la WDR. Le répertoire joué (et transcendé) est tiré de Second, avec un inédit en introduction, l’improvisation contemplative Through the Moods. Doit-on ajouter que le groupe y apparaît en grande forme et que la prise de son est excellente ? C’est assurément le live que le groupe aurait dû sortir à l’époque pour affirmer son statut de figure de proue du rock avant-gardiste allemand.
En 1999, un disque d’allure plus marginale s’est proposé de nous faire découvrir The Other Sides of AGITATION FREE, que l’on pourrait ironiquement sous-titré « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur AGITATION FREE »… Mais ce CD reste un document utile à la reconstitution du puzzle historique du groupe puisqu’il illustre la période de l’après-dissolution de la formation « classique » et la tentative de reprise en main par GUNTHER et LÜTJENS de 1974 à 1975 dans un registre plus jazz-rock-fusion, avec plusieurs invités. L’initiative n’a pas duré, elle a juste existé. Enfin, elle a essayé. Et a été oubliée.
● Retour par la rivière
Mais l’année 1999 offre bien plus qu’une parution d’archives « alternatives », elle offre surtout un nouvel album d’AGITATION FREE ! Après 16 ans de silence, Lutz ULBRICH, Michael GÜNTHER, Gustl LÜTJENS et Bernard RAUSCH rallument la flamme et retournent en studio enregistrer de nouvelles compositions. Bénéficiant d’une prise de son plus claire et d’une production plus léchée que ses lointains prédécesseurs, River of Return donne à écouter un AGITATION FREE au son plus moderne, aéré, moins enfumé ou ensablé, mais toujours fondé sur les préceptes de base du groupe.
Les duos de guitares sont toujours bien présents, mais toutes ne sont pas électriques. C’est même l’acoustique qui prédomine dans plusieurs morceaux, surtout de la part de Lutz ULBRICH, qui joue aussi du ukulele, laissant apparemment les cordes électriques à LÜTJENS. La basse de GÜNTHER n’a pas perdu sa qualité hypnotique, mais la batterie de RAUSCH, saillante et mise en avant dans le mix, révèle une matité un peu usante sur la durée.
Mais surtout, il manque à cet album un élément essentiel du son AGITATION FREE : l’attirail électronique de Michael HOENIG. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de synthétiseur : au contraire, ULBRICH et LÜTJENS se les approprient à tour de rôle, mais il manque la pâte et l’identité sonore de HOENIG.
Pour pallier ce manque, le quartet a donc opté pour un son ouvert et renouvelé, en conviant d’autres musiciens et en disséminant ça et là d’autres sons d’instruments « ethniques », réels ou virtuels (présence de samples).
Le morceau éponyme alterne ainsi plusieurs séquences, la plupart acoustiques (avec cependant un passage plus électrique), sur lesquels se manifeste un saxophone comme sorti tout droit de SUPERTRAMP ! La greffe a de quoi déconcerter, d’autant que les breaks entre les séquences sont un peu gros. L’intervention éclair d’un didgeridoo laisse également dubitatif.
Mais d’autres surprises attendent l’auditeur : 2 Part 2 vire ainsi funk, avec ces cuivres virtuels qui arrivent en contrepoint du solo de guitare électrique. En revanche, Fame’s Mood fait la part belle à un solo bluesy appuyé par un beau thème de basse de GÜNTHER.
Dominé par des mandoline et ukulélé aux accents « slide » et aux rythmes chaloupés, Das Kleine Urhwerk nous entraîne droit dans des îles aux paysages sémillants et grisés de suavité. Nomads est appuyé par un rythme tribal aux percussions sur lequel un solo de cordes électrique se fraye un chemin contorsionniste à travers des couches de cordes acoustiques raffinées qui finissent par prendre le dessus.
The Obscure Carousel présente une tonalité plus dramatique. Le saxophone est revenu, mais passe mieux quand il double le thème de la guitare.
Enfin, deux pièces dominent l’album par leur durée, supérieure à dix minutes. La première est sans doute la plus impressionnante. En dépit d’un titre en forme de boutade (Susie Sells Seashells at the Seashore), elle évolue au sein de nappes glaçantes et angoissantes sur lesquelles se posent une cornemuse et un chant diphonique sépulcral du meilleur effet qui achèvent d’installer une tension délétère. On retrouve là un AGITATION FREE aux élans cosmiques mais moins « cool » qu’à l’époque…
177 Spectacular Sunrises développe lui aussi une veine musicale ambient, avec son lot d’improvisations cosmiques et d’effets minimalistes, et perd l’auditeur entre deux suspensions. Le « bonus track », Keep On, vient rompre cette léthargie avec un son rock très direct et urgent sans pour autant laisser de traces mémorables…
River of Return reste toutefois une bel essai de renouvellement et de mise à jour du son kraut-space-rock à travers de belles tirades de guitares ouvragées, des échos de world music grinçante ou caverneuse, de jazz coulant et des horizons ambient plus ou moins troublés.
● Nuits tokyoïtes
Malgré cet opus prometteur, AGITATION FREE est retourné « dans le silence… » pour quelques années avant de réapparaître au pays « …du soleil levant » en février 2007, pour trois concerts au Shibuya-O-West de Tokyo. Mais il a fallu attendre encore quatre années pour que l’écho de ces soirées parviennent au reste du monde sous la forme d’un CD live. Entre temps, le groupe a quand même réédité son catalogue discographique sur le label allemand SPV/Revisited Records.
Tous les opus du groupe, studio et archives live, sont ressortis en version remastérisée dans de luxueux digipacks comprenant des livrets plein de photos, d’articles, d’interviews, et des pochettes retravaillées ou même parfois différentes… Et chaque album s’est vu augmenté d’au moins un titre bonus – principalement des enregistrements live de 1971, 1972 et 1974 – mais aussi des films réalisés au Beat Studio (sur Fragments) ou en Égypte (sur Malesch).
Depuis 2011, la discographie d’AGITATION FREE accueille donc un nouvel album, Shibuya Nights – Live in Tokyo (Esoteric Recordings). On retrouve dans ces enregistrements de 2007 exactement la même formation que sur le Live ’74, à savoir Lutz ULBRICH, Michael GÜNTHER, Michael HOENIG, Gustl LÜTJENS et Burghard RAUSCH, enfin réunis sur une même scène 33 ans plus tard. L’aspect événementiel que revêt cette série de concerts japonais se traduit évidemment par une revisite du répertoire des deux principaux albums d’AGITATION FREE : cinq morceaux de Malesch et cinq de Second.
Presque tous les classiques y sont interprétés. Le set démarre avec un You Play for us Today de circonstance (avec ses bruitages préliminaires évoquant le voyage méditerranéen de 1972), suivi comme sur le disque Malesch par un Sahara City aux allures de mirage, hélas écourté (le concert tient sur un CD simple, non un double). Des notes magiques et rêveuses se promènent en apesanteur dans In The Silence of the Morning Sunrise. First Communication ne manque évidemment pas à l’appel, avec les envolées duelles des guitares de LÜTJENS et ULBRICH qui font une fois de plus mouche, suivi comme de coutume par un Dialogue and Random aussi perturbant que radical.
Non moins intense mais plus aérien, A Quiet Walk déroule une atmosphère cotonneuse grisante. À l’autre bout du spectre climatique, Ala Tul s’avère encore plus énergique et turbulent qu’il ne l’était dans sa version studio originelle, tandis que Malesch bénéficie lui aussi d’un traitement roboratif, sans parler de la véritable montée orgasmique à l’œuvre sur Laila, qui soulève l’enthousiasme général.
La grande surprise vient de la présence de deux morceaux tirés de River of Return : Das Kleine Urhwerk reste assez proche de sa version studio mais bénéficie du concours d’un musicien additionnel, Issey OGATA, dont le ukulele distille un parfum idoine à l’ambiance acoustique et rêvasseuse du morceau, et Nomads se trouve revitalisé avec son rythme tribal mis en avant-plan et les nouveaux habillages synthétiques de HOENIG (qui, à la base, n’avait pas participé à sa composition).
Cerise sur le gâteau, Shibuya Nights offre même deux inédits : le morceau éponyme évoque à merveille l’Extrême-Orient nippon, avec ses frappes rythmiques vigoureuses et ses sons flûtés plus aériens ; tandis que le second, Drifting, ouvre une ultime béance cosmique garantie 100 % onirique avant la déferlante survitaminée de Rücksturz, qui, comme d’habitude, clôt cette exceptionnelle randonnée sonique sur des chapeaux de roue.
Ces Shibuya Nights sont d’autant plus marquantes que le set proposé, outre qu’il réanime en bonne partie la fibre nostalgique, a été pensé de manière à présenter une variété de climats très contrastés d’un morceau à l’autre et ainsi faire le tour du panorama sonore d’AGITATION FREE, entre rock psychédélique, expérimentations électroniques, rêveries cosmiques et vagabondages exotiques perpétuellement réinventés à partir des mêmes thèmes. L’essence de la musique du groupe n’est pas seulement préservée, elle est réactivée.
Ce Live in Tokyo montre combien cette musique n’a non seulement pas pris une ride, mais se révèle étonnamment vivante, revitalisée par de nouveaux arrangements et vivifiée par des improvisations mûries. Elle est également servie par une production léchée et une prise de son somptueuse, remarquablement claire, précise et puissante qui restitue toute l’atmosphère de ces concerts japonais, céleste et intense. C’est l’album à conseiller tant aux amateurs de longue date qu’aux néophytes curieux.
Depuis la parution de ce disque live, AGITATION FREE a repris, sporadiquement mais sûrement, la route des concerts, bien décidé à rappeler tout le rôle qu’il a joué dans l’émergence de la nébuleuse Krautrock, mais également prêt à en raviver la flamme et à imprimer sa marque ici et maintenant.
● Entretien avec Lutz « Lüül »ULBRICH et Michael HOENIG
Vous donnez de nouveaux concerts en Europe cinq ans après ceux du Japon qui ont abouti à l’enregistrement du CD Shibuya Nights. Qu’est-ce qui a motivé ce retour ?
Lutz ULBRICH : Nous avions eu un contact au Japon, un gars nommé Gen FUJITA, qui est un grand fan de notre musique et du vieux Krautrock. Il dirige aussi un musée de cire à la Tokyo Tower, où l’on trouve des figures de cire de plein de personnalités du monde entier, des politiciens, des acteurs, des musiciens. Quand je l’ai visité il y a six ans, il m’a demandé de faire venir un groupe au Japon. Comme il envisageait d’avoir Michael HOENIG en figure de cire, l’idée est venue de demander la reformation d’AGITATION FREE pour faire quelques concerts au Japon à cette occasion. J’ai donc demandé à Michael et il m’a répondu « Oui, bien sûr, bonne idée ! » On a alors demandé aux autres, ils étaient aussi d’accord et on s’est retrouvés ensemble pour jouer trois concerts. Ils ont été enregistrés et on en a fait un CD qui est sorti à l’automne 2011. C’est pourquoi nous refaisons actuellement une tournée. Enfin… quelques concerts !
Michael HOENIG : Shibuya Nights donne une très bonne image de là où nous en sommes aujourd’hui. Ce disque contient au mieux l’esprit de ces jours-là. Les interprétations sont neuves, on joue avec plein d’entrain et de joie… C’était franchement plaisant de se réunir… Personnellement, je n’avais vu les autres membres du groupe depuis 35 ans ! Je ne savais même pas où ils étaient, comment ils allaient. Je ne pensais plus à la musique rock depuis longtemps. De fait, pour moi, ça a vraiment été une aventure d’y retourner. Mais je pense que l’esprit était étonnamment encore très vivant. Après quelques répétitions, ça a vraiment fonctionné.
Le plus étrange est qu’on a eu des réactions de gens qui disaient que cette musique est aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’avait été hier. Elle tient toujours le coup !
Vous vous étiez déjà reformés quelques années auparavant pour enregistrer l’album River of Return. Aviez-vous donné quelques concerts à cette époque ?
LU : Non, on a juste donné un concert pour mon 45e anniversaire à Berlin. J’avais demandé aux anciens membres, comme Michael GÜNTHER (le bassiste), Burghard RAUSCH (le batteur) et l’autre guitariste, Gustl LÜTJENS. On s’est bien amusés sur scène, et l’idée a germé qu’on pourrait enregistrer à nouveau. On a bien essayé de solliciter Michael HOENIG, mais il vivait à Los Angeles à ce moment-là et n’a pas pu se déplacer.
MH : « Lüül » m’avait en effet contacté pour étudier les possibilités d’une réunion dans les années 1990, mais j’étais trop occupé à réaliser des bandes originales de films pour Hollywood.
LU : On a donc enregistré en 1999 le disque River of Return, mais il n’y a pas eu de tournée. On a juste fait le disque, et c’est tout.
Vous n’avez pas eu envie de poursuivre à ce moment-là ?
LU : Non parce que j’ai toujours pensé que Michael HOENIG devait être un membre de nos performances scéniques. Comme il ne pouvait être là, ça n’aurait pas eu de sens de jouer sans lui. Il nous a donc fallu attendre les concerts au Japon, et maintenant nous sommes à nouveau là !
Shibuya Nights est donc un assemblage de ces concerts japonais ?
MH : Oui, mais ce n’est pas nous qui les avons enregistrés. Ce n’est que plus tard que nous avons découvert un enregistrement sur 24 pistes et j’ai compilé ces trois jours d’enregistrements pour faire un CD, en respectant l’ordre des morceaux que nous avons joués. J’ai juste dû les raccourcir un peu en raison des limitations de durée du CD.
C’est donc un document assez précis sur ce que nous avons joué lors de ces concerts. Et ça donne en même temps une bonne représentation de ce que nous faisons maintenant.
Votre répertoire actuel pioche donc dans vos vieux albums…
MH : Il s’agit surtout de morceaux du début des années 1970, à l’exception de deux morceaux provenant de River of Return et deux inédits. Mais c’est principalement des pièces tirées de nos premiers albums.
LU : Quand nous sommes allés au Japon, on s’est dits qu’ils aimeraient sûrement entendre nos vieux morceaux. Et en plus on aime les jouer ! Surtout les morceaux de Malesch, comme Rücksturz, et aussi ceux de Second.
MH : Parfois, ça peut être assez ennuyeux d’écouter des choses de cette époque ! Or, il semble que ces morceaux soient aussi pertinents aujourd’hui qu’ils l’ont été hier. Ils ont bien vieilli. Ce qui est amusant, c’est que deux morceaux tiennent toujours le coup, alors que c’était des improvisations à la base, et nous les jouons toujours comme telles, avec juste quelques motifs… toujours dans l’esprit de l’époque, mais dans un nouvel environnement. Nous utilisons des motifs, des canevas de ce qui était sur ces disques. Et entre eux, l’espace est rempli par des improvisations. En fait, nous revisitons de vieilles idées, nous les réinterprétons.
Et les nouveaux morceaux ?
MH : Il y en a deux. Ils sont venus lors de répétitions pour le Japon. Nous avions décidé de faire quelque chose avec plus de percussions appuyées, quelque chose de développé dans un court laps de temps. Nous avons joué ces morceaux sur scène au Japon et les avons gardé pour nos nouveaux concerts.
Ce vieux répertoire a donc bénéficié d’une relecture avec de nouveaux instruments ou les nouvelles technologies ?
LU : Oui, pour la bonne raison que nous n’avons plus ces vieux instruments qu’on utilisait à l’époque. C’est toujours amusant, quand on réécoute les anciens albums, d’essayer de se rappeler comment on a produit tel son. Alors oui, avec la technique du sample, on peut faire revenir ces anciens morceaux. Nous n’avons plus ces vieux synthétiseurs. Avec ceux-ci – Michael en sait quelque chose – on ne pouvait reproduire deux fois le même son, ça a toujours été un peu accidentel (rires). On ne savait jamais ce qui pouvait arriver ! Bon, cela dit, ça reste plaisant de rejouer cette musique et d’improviser. Parce que normalement, dans notre business musical, plus personne n’improvise tellement. On va sur scène avec une idée bien précise de ce qui doit être joué. Quand on s’appelle AGITATION FREE, on se doit d’être assez ouvert, on doit écouter ce que font les autres musiciens pour réagir, inter-agir… c’est plutôt aventureux.
Les morceaux qui sont sur Malesch et sur Second proviennent-ils d’improvisations live ou sont-ils des produits de studio ?
MH : Tous les morceaux sont venus en studio. On a rarement eu d’idées préconçues ou préformées avant d’entrer en studio ! Je crois que tout est vraiment venu dans l’instant. On a dû rester deux semaines en studio…
LU : Non, une semaine seulement ! On n’est pas restés longtemps…
MH : Une semaine seulement pour Malesch ? Et pour Second ? Il me semble que c’était deux semaines…
LU : Oui, oui.
MH : Donc on était assez stricts à ce moment-là sur le fait de ne pas enregistrer de thèmes ou de chansons. On voulait enregistrer ce qui était fraîchement improvisé, c’était notre concept. Ces deux disques sont vraiment nés en studio sans idées préconçues.
Donc vous n’aviez jamais joué ces pièces auparavant en concert ?
MH : À part Rücksturz. Je crois bien que c’est la seule que nous avons joué avant. Tout le reste est arrivé… comme ça !
LU : Je me souviens d’une session où nous avons commencé par méditer, par faire une séance de relaxation, allongés sur le sol. Et nous avions convenu que si l’un d’entre nous se sentait prêt à jouer, alors il pouvait commencer. Nous avions dit à l’ingénieur du son de mettre en route la machine. Un premier musicien a commencé à jouer, très lentement… un autre a enchaîné… Tout s’est combiné parfaitement, il y a eu une atmosphère fantastique, très intense, qui s’est étalée sur une dizaine de minutes.
Et là, on a entendu la voix de l’ingénieur du son sortir des haut-parleurs : « C’est bon, vous y êtes ? Vous pouvez commencer ? Je peux faire tourner la machine ? » (rires) C’était tellement inhabituel d’enregistrer de cette façon. Il a donc fallu tout recommencer ! On s’est dits : « Oh non ! »
Je me souviens également qu’un ami à nous, Peter Michael HAMEL, un très bon musicien, nous a été d’une aide précieuse. Il est venu juste un après-midi jouer de son orgue, et ça a été une grande inspiration pour quelques morceaux.
Une chose également très intéressante, c’est quand on s’est retrouvés en tournée en Égypte, quelques mois avant l’enregistrement de Malesch. On avait cette « tape machine » et on a enregistré des sons environnementaux au Caire : la circulation, les danses du ventre, etc. et on les a mixés dans le disque Malesch. C’est la première fois que ces deux cultures – occidentale et orientale – se retrouvaient mêlées dans un même disque. C’était assez amusant.
Malesch a été enregistré juste après cette tournée ?
MH : Oui, Nous avons fait cette tournée méditerranéenne, et Malesch est vraiment un souvenir d’impressions de ce voyage. Il y a réellement un petit parfum d’orientalisme… Sans forcer, c’est vraiment ce qui est arrivé dans le studio, car nous étions encore imprégnés de ces impressions.
Lorsque vous étiez en Égypte, avez-vous rencontré des musiciens du cru ?
MH : Un peu. Nous avons rencontré des musiciens traditionnels qu’on nous avait présentés, mais il n’y a pas vraiment eu d’atmosphère créative entre nous. On a été présentés, on les a écoutés jouer, mais il n’y a pas eu de collaboration. Tout le monde se regardait… avec beaucoup de curiosité. (rires)
Pas de rencontre musicale, donc ?
MH : Non, pas à ce moment-là.
Il vous est pourtant arrivé d’utiliser des instruments acoustiques sur certains morceaux ?
LU : Je joue effectivement du bouzouki sur le morceau A Quiet Walk, dans l’album Second. Pour ce voyage, j’avais amené un bouzouki, que j’ai cassé l’autre jour. Je l’ai heureusement réparé. Mais à part ça, nous n’avons pas utilisé d’instruments acoustiques, nous étions un groupe électrique. Peut-être as-tu vu ce petit film que nous avons fait, AGITATION FREE at Sakkara Pyramids ? Il est sur youtube. Regarde-le. On nous voit la-bas avec nos synthétiseurs assez futuristes – même en Europe, c’était des instruments assez modernes ! Je jouais d’une guitare-orgue avec trente boutons et nous sommes allés au Sahara City, qui est le plus haut immeuble au monde. Les gens qui vivaient là étaient très pauvres, comme venant d’un autre siècle. On les a filmés, on se regardait fixement, du genre : « Mais d’où sortez- vous ? D’où venez-vous ? » Ce choc des cultures a été très impressionnant !
MH : Ah ! c’est sûr, c’était une friction des cultures, pas une collaboration ! (rires)
Avez-vous été marqués par cette musique traditionnelle, ou par ces instruments traditionnels ?
LU : Nous n’avons pas tant été influencés par ces musiques traditionnelles que par ces atmosphères, ces impressions… Nous étions très jeunes – nous avions 18/19 ans – et aller en Égypte, c’était franchement… l’air, les odeurs, les gens, cette culture, tout cela a été très impressionnant pour nous tous ! Il y avait tellement d’impressions dans nos têtes, et ces rencontres avec tous ces gens vraiment très intéressants. Tout cela était dans nos esprits. Je pense que ce n’était pas tant la musique de ces pays qui nous a influencés, mais ces cultures…
MH : C’était des impressions soniques ! Il ne faut pas perdre de vue qu’à cette époque le terme « world music » n’existait pas. Personne en ce temps-là ne fusionnait quoi que ce soit avec ces musiques. Il y a eu des tendances dans la musique avant-gardiste pour étudier certaines musiques ethniques, mais ça ne faisait que commencer. La transe que l’on trouve dans la musique contemporaine américaine, la musique minimaliste – Terry RILEY étudiant le bouddhisme, Steve REICH étudiant les percussions africaines – tout cela ne faisait que démarrer en ce temps-là.
Ce n’est qu’en 1972 que Steve REICH a sorti Drumming, c’était la première fois que ces choses confluaient vers un nouveau « produit ». Donc on a vraiment atterri en terrain inconnu !
Comment est venue cette tournée aux portes de l’Orient ?
LU : Un jour, on était en concert à Berlin et on a rencontrés un type étrange qui s’est présenté comme étant un consul ou un ambassadeur du Caire. Il nous a demandés si on voulait jouer au Caire. On s’est dits qu’il était vraiment bizarre ! En fait, il travaillait bien pour l’Ambassade allemande au Caire et nous a contactés trois semaines après. Il a de même pris les contacts avec l’Institut Goethe et a organisé la tournée.
Personne n’a voulu nous croire parmi nos amis ! Ça a pris un peu de temps – quelque chose comme une année pour tout organiser – mais on fut le premier groupe électrique à aller là-bas. Nos promoteurs sur place ne savaient pas du tout comment nous faire de la pub ! De plus, ils ne connaissaient rien à notre équipement, au P.A. System. Ils avaient juste la stéréo ! On a dû faire venir notre propre équipe.
Ils n’avaient jamais vu vos instruments, en somme…
LU : Non ! Ça a été une grande aventure ! Mais ça a marché !
MH : Ça a marché et le public était incroyablement curieux et reconnaissant d’être exposé à quelque chose de nouveau. C’était bien avant que GRATEFUL DEAD aille jouer à Gizeh également. Bref, pour ces Égyptiens, c’était une expérience totalement nouvelle ! Leurs réactions ont démontré cela. Il y avait une profonde reconnaissance, une profonde curiosité chez eux. Ils nous ont posé des questions plus détaillées sur notre musique que celles auxquelles on était habitués parce qu’ils écoutaient avec beaucoup plus d’attention que le public rock qu’on avait dans les villes européennes. C’était très gratifiant, merveilleux.
Et avant cette tournée, vous aviez tourné juste en Allemagne ?
LU : Oui, oui. On n’avait même pas encore tourné en France. C’est pendant cette tournée en Méditerranée orientale qu’on a rencontré Assaad DEBS, qui est devenu notre manager à l’époque. Il nous avait vus à Beyrouth et a eu envie de nous programmer en France. Il a été aussi une grande influence.
Au début, le groupe s’appelait juste AGITATION et avait commencé fin 1967. Il y avait Christopher FRANKE, qui a rejoint ensuite TANGERINE DREAM. C’était un vieil ami à moi, on se connaissait depuis l’âge de 4 ans. On allait au jardin d’enfants ensemble. On a donc commencé ce groupe tous les deux, avec un bassiste. Puis Christopher est passé dans TANGERINE DREAM, alors il a fallu reconstituer le groupe, avec Michael HOENIG, Burghard RAUSCH. Il y a eu aussi un autre guitariste, Axel GENRICH, qui est resté peu de temps puisqu’il a rejoint GURU GURU, que tu connais sans doute.
À ses débuts, AGITATION FREE ne versait donc pas encore dans l’électronique. C’était un groupe purement électrique, avec uniquement guitares-basse-batterie. Les synthétiseurs sont venus après…
LU : Tout à fait. En 1967, il n’y en avait pas encore. Enfin, sans doute que si, mais on n’avait pas dû en entendre parler. Ça n’a dû se répandre qu’en 1969.
MH : Je crois qu’on a dû être le premier groupe à jouer sur scène avec des synthétiseurs. Il y en avait dans les studios, vers 1969-70, mais je crois bien qu’on fut les premiers à en jouer en concert. Tout est venu d’une suggestion d’un mentor du groupe nommé Thomas KESSLER. Il était professeur à la Volksmusikhochschule, l’école publique de musique de Berlin-Wilmersdorf, et il leur a dit : « Pourquoi n’essayez-vous pas de faire quelque chose avec ce gars qui expérimente avec les sons ? » Et j’ai été présenté au groupe ! C’est ainsi que ça s’est passé. Il m’a dit : « Vu ce que tu fais, ce serait parfait que tu sois présenté à un groupe de rock expérimental. » Ça m’a intéressé, et tout est parti de là ! Et tout s’est arrêté au bout de quelques années seulement…
LU : C’était en 1974. Notre dernier concert fut à Saint-Cloud, près de Paris, en juin ! Le guitariste Stefan DIETZ nous avait quittés, un autre a débarqué mais il a aussi quitté le groupe, et finalement il y a eu Gustl LÜTJENS, qui joue toujours avec nous.
Chacun d’entre nous avait son idée sur la façon d’évoluer et sur la direction à prendre. Le bassiste, par exemple, était un grand fan de musique West-Coast, Michael était très porté sur l’avant-garde, le batteur est plus versé dans le hard-rock. Nous avons essayé de combiner tout cela, mais ça devenait de plus en plus difficile… Je me souviens que je tenais un agenda à cette époque ; nous discutions énormément. Et à la fin nous avons décidé de nous séparer. C’est ainsi que le groupe s’est dissous. Mais nous avons toujours gardé contact durant toutes ces années. Nous sommes toujours amis, ce qui est une bonne chose. C’est pourquoi il y a eu quelques albums d’archives qui sont parus sur le tard…
LU : Exact. Il existe six CD d’AGITATION FREE : Malesch et Second, bien sûr, qui sont nos albums studio. Après le split, j’ai habité en France avec NICO et j’ai su qu’il y avait toujours un intérêt pour le groupe. Alors je suis allé chez Barclay négocier un contrat pour l’album Last, qui contient sur une face l’enregistrement de Rock en Stock, une émission TV de Pierre LATTÈS dans laquelle on avait joué. Sur l’autre face, il y a un enregistrement qu’on a fait avec Erhard GROSSKOPF, un compositeur avant-gardiste de Berlin.
Les années passant, il y a eu d’autres demandes, alors on a fouillé dans nos affaires, à la recherche de vieilles bandes, etc. C’est ainsi que sont parus Fragments et le Live ’74, où figure l’enregistrement d’un concert à Cologne qui fut diffusé à la radio. En 1999, il y a donc eu l’album studio River of Return, sans Michael, et maintenant il y a Shibuya Nights. Voilà où nous en sommes. (NDLR : Lutz ULBRICH et Michael HOENIG ne mentionnent pas l’existence du CD The Other Sides of AGITATION FREE. Normal, ils ne jouent pas dedans – voir notre article plus haut.)
Y a-t-il d’autres archives qui pourraient sortir ?
LU : Non !
MH : Je pense qu’il y a assez d’archives comme ça ! Ce qu’on a fait en live a été remarquablement documenté. Trois albums studio et quatre albums d’archives, c’est plus qu’il nous en faut ! Je pense qu’il est temps de créer du neuf !
LU : Il y a quelques années, nous avons ressorti tout notre catalogue : nous avons cherché d’anciennes photos pour illustrer les livrets, nous avons retrouvé des morceaux qu’on avait oubliés. On a même trouvé un petit film que l’on ne connaissait pas, provenant de l’école de musique le Beat Studio, où nous avons vraiment commencé, et on l’a ajouté en bonus sur Fragments. C’est un gros travail que nous avons effectué, et maintenant on est fiers de ce catalogue. Il a de la gueule ! Il y a le design tel qu’on l’a toujours voulu, c’est vraiment bien. On a mis beaucoup d’énergie là-dedans.
Votre « back catalogue » s’est-il bien vendu ?
MH : À notre grande surprise, oui ! J’étais honnêtement très sceptique, mais la maison de disques SPV a fait du très beau boulot. En matière de packaging, ils ont fait les choses exactement comme je leur avais demandé. Ils ont fait de gros efforts en termes de production pour chaque CD. Tout cela est très bien fait. Et ça s’est curieusement bien vendu. Il y a eu une bonne collaboration. Et c’est toujours plaisant de recevoir par la poste un chèque qu’on n’attendait pas ! (rires)
LU : Dorénavant, on se concentre sur les performances live, et on verra bien ce qu’il adviendra.
Y a-t-il également des enregistrements de l’époque où le groupe s’appelait uniquement AGITATION ?
LU : Non, non, non ! Je sais que Christopher FRANKE a réalisé un disque en un seul exemplaire qu’il a offert en cadeau à sa mère. C’était une improvisation sur le Carmen de Georges BIZET ! Je sais que ça existe, mais j’ignore où ça peut se trouver !
MH : Il n’en existe qu’une copie ?
LU : Oui, une copie seulement ! (rires) Et la semaine dernière, quand on a joué à Berlin, un gars est venu nous dire : « Eh !, vous savez où vous avez joué à Berlin le 24 mars 1972 ? Au TU Alte Mensa ! J’ai un enregistrement ! » J’ai écouté ça…
MH : Oui parce que bien sûr les gens enregistraient tout le temps à cette époque ! Mais je pense qu’on a assez d’enregistrements d’archives.
LU : Oui. Concentrons-nous sur le présent !
Vous attendiez-vous à avoir encore un public pour cette musique dans les années 2000 ?
MH : Je n’avais aucune espèce d’attente. Je n’avais aucune idée. À Berlin, je ne pensais pas trouver autant de gens. Je me disais : « Qui peut bien vouloir venir nous écouter aujourd’hui ? » Et pourtant, c’était bien rempli. Mais j’avais les mêmes doutes au Japon, en 2007, et c’était plein pendant les trois soirs ! Après les concerts, des douzaines et des douzaines de gens sont venus avec leurs vieux LP… Comment pouvait-on s’y attendre ? C’est merveilleux d’être étonné !
J’imagine… D’autant que lorsque vous avez commencé, le contexte culturel et politique était fort différent d’aujourd’hui…
MH : Oui, c’était complètement différent. Le contexte culturel à Berlin… c’était la période post-guerre du Viet Nam, politiquement très tendue, à la fin des années 1960, début des années 1970. La musique avant-gardiste à Berlin était très vivante à ce moment-là, pas seulement dans ces groupes, TANGERINE DREAM, ASH RA TEMPEL, AGITATION FREE, qui jouaient ensemble dans le même studio. À Berlin, l’esprit qui présidait à la musique d’avant-garde était très développé. Il y avait un climat très fécond qui a généré de grandes idées.
Vous attendiez-vous alors à ce que ces idées musicales puissent durer autant ?
MH : Non. Ce qui est important, c’est que tout s’est fait sans considération d’image de marque. Nous avons juste fait ce que nous pensions avoir envie de faire, ce qui était plaisant à faire. Personne n’a jamais parlé d’argent, ou de carrière, ou de ce qu’il fallait faire après. Nous avons juste fait ce que nous pensions être approprié à ce moment. Personne ne tirait de plan sur la comète. Aujourd’hui, tout est marqué, dirigé, produit, etc. Ça n’existait pas avant. Je pense donc que ça a été assez libérateur pour nous. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que tout le monde fait du business tout de suite. Quand un groupe veut faire du rock maintenant, il fait tout de suite du business. À l’époque, on n’a jamais fait ça pour le business.
Il s’agissait de trouver une nouvelle forme d’expression musicale pertinente et qui doit d’une façon ou d’une autre à la perception des gens. Il fallait générer une sorte de processus de force pour permettre un éclairage différent. Il s’agissait d’inspirer les gens. Maintenant, il s’agit juste de les divertir. C’est une approche très différente.
Pensiez-vous que des groupes comme TANGERINE DREAM et ASH RA TEMPEL dureraient aussi longtemps ?
MH : Je n’y ai jamais pensé. Je ne pensais pas que ça se produirait. Je suis très heureux du succès que rencontre encore TANGERINE DREAM, que leur musique ait encore un public. Il y a cinq ans, quand AGITATION FREE s’est reformé pour le Japon, je n’ai pas pensé que ça se reproduirait. On n’avait rien planifié du tout.
Après que j’ai mixé l’album Shibuya Nights, je me suis moi-même étonné de voir à quel point cet enregistrement était magnifique. Ces concerts ont marché parce qu’ils ont eu beaucoup de bonnes réactions du public et de la presse. Ces concerts étaient avant tout des expériences pour voir si ça fonctionnait encore.
Le fait d’avoir écrit de nouvelles pièces pour ces concerts japonais vous donne donc envie de continuer ?
MH : S’il y a un public, s’il est prouvé qu’il y a encore des gens intéressés, alors bien entendu nous ferons de nouveaux morceaux, de nouveaux thèmes, de nouvelles improvisations. Créer du nouveau matériel n’est pas un problème, il faut juste décider de le faire. Nous verrons bien…
● Discographie AGITATION FREE
○ Malesch (LP, 1972, Vertigo – réédition CD 1992, Spalax ; 2008 Revisited Records/SPV GmbH)
○ Second (LP, 1973, Vertigo – réédition CD 1992, Spalax ; 2008 Revisited Records/SPV GmbH)
○ Last (LP, 1976, Barclay – réédition CD 1992, Spalax ; 2008 Revisited Records/SPV GmbH)
○ Fragments (CD, Musique intemporelle, 1995 ; Spalax, 1996 ; 2009 Revisited Records/SPV GmbH)
○ At The Cliffs of River Rhine (CD, 1998, Garden of Delights – LP, 2005, Amber Soundroom) /
Live ’74 (CD, 2008, Revisited Records/SPV GmbH)
○ River of Return (CD, 1999, Prudence Cosmopolitan Music ; 2009 Revisited Records/SPV GmbH)
○ The Other Sides of AGITATION FREE (CD, 1999, Garden of Delights)
○ Shibuya Nights – Live in Tokyo (CD, 2011, Esoteric Recordings ; 2xLP, 2014, MIG)
○ Last, Fragments & Live ’74 (Coffret 3xCD + 1 DVD Live Im « Kesselhaus » Berlin, 2016, MIG)
○ Momentum (CD/2xLP/digital, 2023, MIG)
● AGITATION FREE au Point Éphémère, Paris, 27 mars 2012
Le groupe n’avait pas joué en France depuis 1974 ! Mais la plupart de ceux qui les avaient vus à l’époque étaient sûrement là, fidèles au rendez-vous, comme s’il avait eu lieu le lendemain du dernier concert à St-Cloud… C’est dire si ces retrouvailles étaient chargées d’émotion et que la tension due à l’attente était à son comble. Alors certes, Lutz ULBRICH, Michael GÜNTHER, Michael HOENIG, Gustl LÜTJENS et Burghard RAUSCH n’ont plus vingt ans, mais tous sont restés dans le monde de la musique au cours des années (même si pas forcément dans le rock, comme c’est le cas de HOENIG) et n’ont donc pas eu à craindre la rouille. Et l’album Shibuya Nights – Live in Tokyo nous avait rassuré quand au caractère intact de leur passion pour cette musique qu’ils ont forgé dans les années 1970, et ce même s’ils n’ont plus les cheveux aussi longs (la métamorphose est particulièrement saisissante pour Gustl LÜTJENS et Burghard RAUSCH !)
Quatre ans ont passé depuis la tournée japonaise documentée par Shibuya Nights et, avant ce concert parisien, AGITATION FREE avait juste entamé son retour sur scène à Berlin. Et tout s’est passé comme si le groupe venait simplement de commencer à faire la tournée promo de ce CD live ! Car c’est l’intégralité du répertoire inclus dans le Live in Tokyo, et dans le même ordre, qui a été remisée sur le « tapis » du Point Éphémère, cette salle à l’apparence de squat installée le long du Canal St-Martin. De You Play for us Today à Rücksturz en passant par Shibuya Nights, First Communication, Ala Tul Laila, Nomads, Drifting et tous les autres inclus dans son dernier CD, mais cette fois joués en version intégrale, sans « edits », AGITATION FREE n’a eu aucun mal à enthousiasmer le public parisien, constitué de tranches d’âge variées (disons de 25 à 60 ans…) et à confirmer tant l’importance historique que l’actualité de sa musique aux confluents du rock psychédélique et de l’électronica cosmique.
En guise de rappel, le groupe a tenu à rendre hommage à l’une de ses influences majeures des 70’s en proposant une version d’une dizaine de minutes du monument « floydien » Interstellar Overdrive, qui passe pour être l’une des premières improvisations instrumentales dans le monde du rock. AGITATION FREE se l’ait appropriée comme un gant.
Et après le concert, séance obligatoire de dédicaces au stand de CD (certains fans avaient même ramené leur LP d’origine, aujourd’hui très cotés), discussions et retrouvailles… Ces musiciens ont fait du chemin mais sont restés très accessibles. Il est vrai que, grâce à leur manager Assaad DEBS, la France était devenue dans les années 1970 leur seconde terre d’accueil. Elle l’est manifestement restée. Auf Wiedersehen, et à bientôt, les gars !
Article, entretien, traduction réalisés par Stéphane Fougère
Photos live: Stéphane Fougère
Autres photos : collection Agitation Free
Site Web : https://agitationfree.com
(Article original publié dans
TRAVERSES n°32 – septembre 2012 ;
discographie mise à jour en 2023)