BETWEEN – Free Music

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BETWEEN – Free Music
(Intuition / SCHOTT Music & Media GmbH)

Les deux ou trois dernières décennies ont vu le retour assez improbable de groupes plus ou moins obscurs qui n’ont été que des météores, n’enregistrant qu’un ou deux albums qui ont marqué leur temps et les esprits avant de disparaître, ou qui ont persisté pendant une décennie, enregistrant plusieurs albums mais restant dans l’ombre des projecteurs et dans la marge la moins médiatisée. BETWEEN entre assurément dans cette dernière catégorie. Voici en effet un groupe allemand qui naquit à la fin des années 1960 et qui a perduré jusqu’au début des années 1980, léguant à la postérité six albums. Quand on pense « groupe allemand », on pense généralement krautrock, kosmiche musik… Or, BETWEEN n’a quasiment jamais été classé sous ces étiquettes, ou bien de loin.

Formé en 1967 à Munich, terre d’AMON DÜÜL et d’EMBRYO, BETWEEN a rassemblé des musiciens d’origines diverses et venant de cercles musicaux bien différents. Malgré leurs différences de bagages culturels, ils se sont trouvés une compréhension commune de la musique, et une volonté partagée de créer une musique qui transcende les catégories « populaires » et « sérieuses », un son qui se trouve « entre » les mondes, d’où le choix du nom du groupe. Avec les encouragements d’un certain Carl ORFF, BETWEEN a engendré dès son premier album, Einstieg (1970), un univers sonore inédit comprenant autant d’échos de musique médiévale ou de la Renaissance que d’emprunts aux gammes modales des musiques classiques orientale et indienne et des expérimentations avant-gardistes, quelque part entre THIRD EAR BAND, GRYPHON, SONORHC, LIMBUS III ou OREGON.

La formation originale de BETWEEN était composée de Peter Michael HAMEL, claviériste versé dans le classique et le moderne, Roberto C. DÉTRÉE, guitariste mordu de bossa nova et de samba et inventeur d’instruments, Robert ELISCU, joueur de hautbois aux Müncher Philharmoniker et Müncher Bach-Orchester et passionné de musique médiévale, sans oublier le joueur d’alto Ulrich STRANZ, qui a, comme HAMEL, étudié la composition contemporaine au Musikhochschule München. À ce noyau déjà très hybride s’est bientôt joint le joueur de congas noir-américain Cotch BLACK, qui a joué avec de nombreux groupes rock et jazz, et le flûtiste nord-irlandais James GALWAY, à l’époque première flûte du Berliner Philharmoniker, et devenu depuis le musicien renommé que l’on sait, jouant pour divers dignitaires royaux et princiers comme pour des vedettes de musiques populaires comme Roger WATERS, Stevie WONDER, THE CHIEFTAINS, Ray CHARLES, Elton JOHN et dont la discographie a atteint des dimensions pantagruéliques.

C’est cette formation qui a engendré Einstieg en 1971, assurément un OVNI du même acabit que l’Alchemy du THIRD EAR BAND (paru deux ans auparavant), car offrant une sorte de musique de chambre effrontée et aventureuse jouée sur des instruments en grande partie classiques ou traditionnels (orgue, alto, hautbois, cromorne, flûte, congas, timbale), auxquels s’ajoutent piano électrique et guitare, voire des instruments inventés, comme le « motocello » de Roberto C. DETREE, le tout générant des paysages mi-acoustiques, mi-électroniques issus d’improvisations échevelées, mais aussi inspirées par la pédagogie musicale active initiée par la « méthode ORFF » et son concept de musique élémentale et intuitive. Avec Einstieg, BETWEEN a véritablement donné naissance à un « entre-monde » loin des formatages du rock n’roll, du jazz fusion, du psychédélisme ou même de la « kosmische musik » et ouvrant sur des dimensions spirituelles et métaphysiques.

Cinq autres albums ont suivi (And The Waters Opened, Hesse Between Music, Dharana, Contemplation, Silence Beyond Time), tous parus à l’époque sur le label Wergo, et à travers lesquels BETWEEN a continué à ciseler sa vision artistique au gré des allées et venues de musiciens provenant toujours d’horizons très différents (Tom Van der GELD, Peter MÜLLER-PANNKE, Gary Lyn TODD, Duru OMSON, Charles CAMPBELL, Walter BACHAUER, Al GROMER, Pandit Sankha Kumar CHATTERJEE, Peter MÜLLER, Jeffrey BIDEAU, Ilona PEDERSON, Roger JANOTTA…), le noyau restant toujours constitué de Peter Michael HAMEL, Roberto C. DÉTRÉE et Robert ELISCU. Chaque album de BETWEEN a ainsi son identité sonore, ne ressemblant jamais au précédent, tout en cultivant une dimension contemplative et méditative, mais qui ne peut être assimilée à de la musique « new age » (pas assez formaté). L’œuvre léguée par BETWEEN est de celles qui ne peut être appréhendée et ressentie que par des oreilles et des esprits curieux et ouverts, pleinement acquis aux « musiques nouvelles » qui traversent les siècles et les horizons culturels.

Comme toute exploration défricheuse, celle de BETWEEN a fini par prendre fin au tournant fatal des années 1980, et on était vraiment loin de penser qu’elle ferait l’objet d’une résurrection plus de quarante ans après. Quiconque suspecterait une intention purement mercantile serait résolument hors de propos, BETWEEN n’ayant jamais connu les faveurs du circuit « mainstream » et, de par sa nature trop revêche aux étiquettes stylistiques convenues, n’a jamais engendré de culte fanatique.

Plus de quarante ans après son arrêt et après que son premier album, Einstieg, a fêté ses cinquante ans, BETWEEN refait donc surface avec un nouveau disque qui paraît sur Intuition, le même label qui avait déjà joliment réédité en CD les précédents disques du groupe, avec de généreux compléments. Le titre de ce septième album est certes un peu banal de prime abord (Free Music), mais quand on connaît un peu l’éthique que le groupe a toujours professé, est évidemment à prendre dans une acception plus idiomatique : l’expression « free music » ne désigne pas un style, qu’il soit free jazz ou free rock, mais bien une démarche spécifique, soit une musique libre de se former, de se définir hors des cases usuelles ou des hiérarchies, même si, quarante ans plus tard, de plus en plus niches musicales ont fleuri…

Précisons cependant qu’il ne s’agit pas d’une reformation. Du groupe d’origine, il ne reste que Peter Michael HAMEL, véritable pilier et force créative du groupe, et Roberto C. DÉTRÉE, qui ne fait qu’une apparition ici. Ulrich STRANZ a pour sa part légué une pièce, mais ne joue pas sur le disque. D’autres membres originels ayant depuis disparu, ils ont été remplacé par de nouveaux musiciens. Le BETWEEN de Free Music est donc constitué, outre Peter Michael HAMEL à l’orgue et au piano, du joueur de hautbois Hansjörg SCHELLENBERGER, du chanteur et harpiste (n’goni) camerounais Njamy SITSON (à l’étonnante voix de haute-contre), et des deux fils de HAMEL, à savoir Johnny aux djembé, darbouka, congas, didgeridoo et autres percussions, et Thelonious à la clarinette et aux textures sonores.

L’éventail instrumental est une fois encore assez hybride et inhabituel, mais somme toute assez « conforme » à ce qu’on pouvait attendre de BETWEEN. Les dix morceaux qui exposent cette Free Music relèvent chacun d’une combinaison instrumentale différente, sans que cela nuise à la cohérence esthétique de l’album. On y trouve des morceaux joués en quartette associant orgue, percussions, hautbois et chant (Minimal Maximal, Licht) ou orgue, cor anglais, chant et percussion (Die Kampenwand Hoch i & II), un morceau joué en trio clarinette, voix/harpe et darbouka (Nkamsi), un autre en trio hautbois, piano et guitare + électronique live (Ferry), un duo de percussions avec voix (Invocation), un duo de djembé-didgeridoo-percussions et textures sonores (Traumzeit), un duo de djembé-darbouka-percussions et piano (Space in Between), et un solo de hautbois (Déjà Vu) qui s’étale somptueusement sur presque un quart d’heure.

D’une pièce à l’autre, les repères culturels, les frontières entre classique et populaire, entre sacré et profane, et entre méditation et action sont élégamment brouillés, et il se dégage de l’ensemble du disque une impression de sérénité flottante, de charme extatique qui agit à la fois comme un baume et comme un remontant sur les esprits endoloris.

Et surtout, cette « musique libre » est imprégnée d’une fraîcheur d’inspiration bienvenue et étend encore davantage les contours décidément élastiques de cet entre-monde dont BETWEEN s’est fait l’explorateur attitré. Quatre décennies de silence n’ont guère émoussé les ambitions et les valeurs de BETWEEN ; on ne peut que s’en féliciter et se laisser entraîner dans ces nouveaux territoires flottants distillant d’amples respirations.

Stéphane Fougère

Page label : https://www.schott-music.com/fr/between-free-music-no560348.html

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