Maria MAZZOTTA rencontre Gregory DARGENT, Nora MULDER et Fanny LASFARGUES
Hybridations méditerranéennes
au Nouveau Pavillon à Bouguenais (44)
dans le cadre du Festival Eurofonik
le 15 mars 2019
Le festival nantais Eurofonik entamait en mars 2019 sa septième édition. Devenu festival plus local et itinérant depuis sa quatrième édition, sa philosophie est restée la même : mettre en valeur et permettre au public d’explorer les « musiques des mondes européens », se faisant fort d’illustrer tant la diversité culturelle que la création musicale. C’est pourquoi chaque édition d’Eurofonik propose en ouverture une rencontre créatrice entre des artistes issus de mondes folk différents. L’an dernier, c’était le groupe NØKKEN, qui célébrait une collaboration inédite entre musiciens bretons et chanteuses scandinaves. Cette année, la salle du Nouveau Pavillon, à Bouguenais (banlieue de Nantes), présentait un projet tout aussi inédit qui en a bousculé plus d’un !
C’est ainsi que le guitariste et oudiste Gregory DARGENT, déjà repéré au sein de formations évolutives comme ELEKTRIK GEM et l’HIJAZ’CAR, portées sur les musiques méditerannéennes, et de projets innovants tels que H, BABX, s’est vu donner carte blanche pour un voyage sonore qui devait mettre cap au Sud, en compagnie cette fois de la chanteuse italienne Maria MAZZOTTA, une voix de référence très remarquée au sein du groupe folk de référence CANZONIERE GRECANICO SALENTINO, mais aussi très portée sur les traditions balkaniques. Les deux artistes n’avaient pas encore eu l’opportunité de travailler ensemble et, pour tout dire, une semaine encore avant ce concert, ils ne savaient pas ce qu’ils allaient faire ! Gregory DARGENT avait cependant l’envie de pousser à bout la règle de base du festival Eurofonik, à savoir faire montre d’une ouverture esthétique totale. Quitte à transformer cette esthétique totale en esthétique… radicale !
Il a pour ce faire fait appel à deux musiciennes qui ne viennent pas vraiment d’un milieu folk. Nora MULDER est une pianiste de formation classique évoluant dans le domaine de la composition contemporaine et dans celui de la musique improvisée, avec cette particularité de jouer tant du piano que du cymbalum. C’est du reste sur ce dernier qu’elle a joué lors de ce concert. Fanny LASFARGUES, est pour sa part bassiste (et contrebassiste) et a tracé son parcours dans l’improvisation comme dans le rock bruitiste ou le groove hip-hop. Membre du collectif COAX, elle a croisé le fer avec des personnalités aussi différentes que Noël AKCHOTÉ, Akosh S., Naissam JALAL, Jérôme NOETINGER, Sophie AGNEL, Eve RISSER, MAGIC MALIK, Loïc LANTOINE, Karim ZIAD… DARGENT, MULDER et LASFARGUES ont pour point commun de mettre en exergue une approche non conventionnelle de leurs instruments, repoussant leurs limites sonores en exploitant des techniques étendues, faisant usage d’objets divers ou de traitements électroniques…
Ils ne se sont donc pas privés de pousser ces « hybridations méditerranéennes » dans leurs retranchements, faisant résonner des échos de musiques est-europénnes, moyen-orientales et bien sûr de tarentelle italienne tout en leur faisant prendre le large sur des mers souvent houleuses et faisant étape sur des rivages rocailleux, « bruts de fonte », non sans avoir traversé des brèches venteuses cinglant autant le visage que les oreilles, des anfractuosités aux relents de blues déglingué, des horizons flous et hypnagogiques sujets aux remous les plus flippants. Une esthétique ouverte, assurément, mais sans assurance de survie !
Et Maria MAZZOTTA ? Qu’est-elle allée faire dans cette galère, vous direz-vous ? Rien moins que ce qu’elle sait faire : interpréter des chants enracinés, donner le ton de sa voix forte et puissante, qui semble monter plus haut que les montagnes et s’engouffrer plus bas que les fonds marins, fixant le cap sans jamais se laisser démonter ou noyer par les assauts de cordes-aliens de ses complices explorateurs. Même dans les passages de forte tempête, elle ne perdait pas de sa superbe, imposant un coffre vocal véhément et possédé, en proie aux déchirures émotionnelles, et invitait même à des danses embrasées et hypnotiques avec son tambourin, tandis que les autres tiraient les rythmes à hue et à dia, fracturaient les esquifs mélodiques, poussaient des coups de boutoir, visaient en biais, « bringue-balayaient » les repères les plus évidents…
MAZZOTTA, DARGENT, MULDER et LASFARGUES ont proposé bien plus que des hybridations méditerranéennes : ils ont composé un imaginaire méditerranéen dont les ports d’attache ont été volontairement déplacés, effacés, transportés dans une autre dimension, aussi contemporaine qu’ancestrale, qui sentait autant les embruns du large que la poussière ensoleillée des chemins sur les côtes apuliennes.
Dans cette Méditerranée hybride et farouche, les pistes sont cahoteuses mais les vues n’y manquent pas de relief. Voilà en tout cas une proposition musicale qui mériterait d’être diffusée au-delà des rives folk ou world, et un son européen qui n’a rien de domestique et qui explose les cadres conventionnels. Bravo à Eurofonik d’avoir osé jouer cette carte blanche aux couleurs buissonnières.
Grégory DARGENT : oud, guitare, effets
Maria MAZZOTTA : chant italien, tambourin
Fanny LASFARGUES : basse, effets
Nora MULDER : cymbalum, effets
Texte : Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon
Diaporama photos :
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