BAMBOO ORCHESTRA : La Pulsation botanique

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BAMBOO ORCHESTRA

La Pulsation botanique

Un jour, il a rencontré le bambou…… « il », c’est Makoto YABUKI, musicien et compositeur japonais qui a élu domicile à Marseille. Créateur de nombreux instruments en bambou, il a, du Japon à la France, donné naissance à deux formations qui ne jouent que sur ce matériau.. Le BAMBOO ORCHESTRA est en quelque sorte la face artistique visible (et audible) d’un mouvement à la fois musical, éthique et écologique ayant pour base ce cousin de l’herbe qu’est le bambou.

Guidé par sa philosophie naturaliste, son implication environnementale et sa mission socio-culturelle, le BAMBOO ORCHESTRA tient une place à part dans l’espace des musiques innovantes, comme en témoignent aisément ses spectacles et enregistrements. Située au-delà des circonscriptions stylistiques, la « Bamboo Attitude » offre une déferlante de résonances botaniques qui évoquent les traditions du monde pour mieux les sublimer.

Nous avons rencontré Makoto YABUKI et l’actuelle branche française du BAMBOO ORCHESTRA alors qu’ils donnaient leur nouvelle création en exclusivité dans le Théâtre de verdure du Musée du Quai Branly, à Paris, dans le cadre des Jardins d’été 2008. Et contrairement à d’autres, partout où le BAMBOO ORCHESTRA passe, l’herbe repousse… 

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La musique par les plantes, ainsi pourrait-on malicieusement définir la démarche artistique du BAMBOO ORCHESTRA, si l’expression ne laissait planer quelque relent d’opiomanie psychédélique hérité du mouvement hippie. C’est en fait une philosophie bien plus ancestrale qui motive Makoto YABUKI, tête dirigeante du groupe pour qui les propriétés vibratoires et tonales et les facultés harmoniques du bambou plaident en faveur d’une considération naturaliste de l’acte musical.

Musicien rompu à l’art des flûtes traditionnelles japonaises shakuhachi et shinobue, ainsi qu’au luth shamisen, et architecte de formation, Makoto YABUKI a composé plusieurs années durant pour des spectacles théatraux et chorégraphiques, contemporains ou traditionnels. Sa réflexion artistique, volontiers imprégnée de shintoïsme, l’a vite poussé à envisager le bambou comme objet musical aux ouvertures sonores multiples qui font vibrer l’être humain de l’intérieur et éveillent sa conscience à son environnement. La voix du bambou dispose en effet de différents atouts pour se faire entendre : puissante ou suave, percutante ou rassérénante, elle se fait l’écho symbolique de Mère Nature. Le bambou est vite devenu pour Makoto YABUKI une vocation, pour ne pas dire un sacerdoce.

Écologie et (re)création

C’est que le bambou, plante monocotylédone de la famille des graminacées, qui compte également la céréale, la canne à sucre et… l’herbe (décidément !), a de solides arguments pour imposer sa valeur écologique, et d’autant plus à l’heure où l’environnement devient un sujet de préoccupation majeur. Il est d’abord un excellent matériau de substitution au bois, lequel est menacé par la déforestation. Le bambou est plus solide qu’un chêne et pousse bien plus vite qu’un arbre : en trois mois, il peut atteindre dix mètres de haut. La hauteur de certaines espèces peut aller jusqu’à 45 mètres.

On n’énumèrera pas ici les innombrables usages dont il est l’objet, mais rien que dans le domaine musical, la liste des instruments conçus avec du bambou est impressionnante. Des flûtes aux percussions, des anches de hautbois à celles des saxophones ou des clarinettes, caisses de résonance, orgues éoliennes, le bambou fait entendre sa musique un peu partout dans le monde. Rien d’étonnant à cela, puisque différents genres de bambous poussent sur tous les continents, à l’exception de l’Europe. Mais là encore, puisqu’il faut bien une exception à la règle, le Midi de la France peut se targuer de posséder un jardin unique en son genre, la Bambouseraie de PraFrance (ou d’Anduze), qui comprend une forêt de bambous géants plantés depuis le milieu du XIXe siècle. C’est cet endroit qui a particulièrement intéressé Makoto YABUKI lors de son arrivée en France en 1994.

Un an auparavant, en 1993, Makoto YABUKI avait fondé un ensemble musical jouant exclusivement sur des instruments en bambou de sa confection, le BAMBOO ORCHESTRA. Et, tout comme le bambou peut croître vite et sous diverses latitudes, le BAMBOO ORCHESTRA a repoussé l’année suivante en France, à Marseille, avec des musiciens percussionistes de la région. Résident régulier du site La Friche, la Belle de Mai, conçu à l’initiative de l’A.M.I. (Aide aux musiques innovatrices), Makoto YABUKI a reconstruit son orchestre et poursuit son investigation musicale au sein de son la-boratoire Sonore. La proximité de la Bambouseraie de PraFrance lui permet aussi de s’approvisionner en bambous.

Makoto YABUKI a ainsi fabriqué lui-même plusieurs instruments en bambou, s’inspirant pour ce faire d’instruments traditionnels asiatiques ou même d’autres continents, mais en repensant leurs structures sonores. Il a créé le bamboo-marimba dès 1980, qui se présente sous la forme d’un clavier couvrant un diapason à cinq octaves. L’instrumentarium du BAMBOO ORCHESTRA contient de plus le jegog, instrument d’origine balinaise en forme d’éventail géant, mais que Makoto a fabriqué dans la gamme chromatique ; le mauï est un instrument originaire des îles du Pacifique assemblé de plusieurs tuyaux et dont on joue en tapant les ouvertures avec des mailloches ; le bouchékéré est dérivé de cette percussion africaine en forme de calebasse, le chékéré ; les octoms sont des tambours fabriqués en moso-bambou dont le diamètre atteint quinze centimètres ; les stamps sont des tuyaux de bambous tapés sur le sol, en usage chez certaines tribus des Philippinnes. Sans oublier les angklungs d’origine indonésienne, les taïkos japonais, le shizuku (petit tuyau en bambou), le gender (métallophone en bronze mais avec des résonateurs en bambous), les flûtes shinobue et quéna, etc.

Une esthétique de transfiguration

La ligne artistique du BAMBOO ORCHESTRA s’inscrit dans une perspective dépassant largement le cadre des musiques traditionnelles, fussent-elles asiatiques, qui l’im- prègnent néanmoins. Ethnique dans ses fondements et de par son amplitude acoustique, le BAMBOO ORCHESTRA n’est lié à aucune règle d’écriture traditionnelle, quitte à diffuser les parfums d’autres cultures… Ses recherches sur les sonorités du bambou ont amené Makoto YABUKI à élaborer une esthétique de transfiguration des sources traditionnelles pour proposer des créations musicales ayant leur langage propre. Contemporain dans sa démarche, le BAMBOO ORCHESTRA ne l’est pas nécessairement dans ses formes, car il ne cultive pas non plus l’hermétisme atonal. Il s’agit d’une musique ouverte appréhendable par tout un chacun, à l’esthétique démocratique plutôt qu’ésotérique.

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La musicalité de l’instrumentarium si spécifique du groupe a ainsi été explorée en compagnie d’autres musiciens et compositeurs contemporains avec lesquels le BAMBOO ORCHESTRA a conçu divers travaux. Citons entre autres De mémoire d’eau, avec le joueur de shakuhachi japonais Özan SHIBATA, Invitation via… composée par Lucien GUÉRINEL pour le groupe accompagné de trois joueurs de flûte issus de la musique traditionnelle de gagaku, ou encore Terre d’eau, chronique de Siam, avec une installation musicale de Patrick PORTELLA. En 2005, Makoto YABUKI a de même assuré la composition et la direction artistique d’un ambitieux projet qui a réuni 600 interprètes (musiciens amateurs et professionnels, élèves et professeurs) sur des instruments classiques et des instruments en bambou, L’Opéra de bambou, haïku-haïku, qui fut programmé à l’Opéra de Toulon en 2006.

En dehors de ces spectacles exceptionnels, le BAMBOO ORCHESTRA se produit aussi en concert en formule trio ou quintette, en fonction des besoins. Outre le choc visuel et graphique que provoque la mise en espace de son instrumentarium, le groupe développe une mise en scène qui se déploie selon une optique tant théâtrale que chorégraphique. On a pu notamment le constater lors du dernier spectacle en date du groupe, habilement intitulé Un jour, ils ont rencontré un bambou… qui a été inauguré au Musée du Quai Branly, à Paris, en juillet 2008. À la richesse visuelle de l’instrumentation s’ajoute un foisonnement de timbres, de rythmes et d’harmonies qui, tout en puisant dans un héritage traditionnel, aboutit à une tableau sonore résolument inédit.

Si le BAMBOO ORCHESTRA fait preuve de générosité en matière de spectacles et concerts pour diffuser ses bonnes ondes végétales, il est singulièrement resté plus discret sur disque. À elles deux, les formations japonaise et française n’ont enregistré qu’une demi-douzaine de disques ! Le BAMBOO ORCHESTRA Japon en a enregistré quatre, absolument introuvables en Occident, et le BAMBOO ORCHESTRA France en a également enregistré deux. Le premier, Také, est paru en 1995 sur Stupeur et Trompette ! avec la notable participation du percussionniste marseillais d’origine égypto-burkinabé, Ahmad COMPAORÉ. Ce CD n’est guère plus disponible aujourd’hui. Le second, Tchi Sui Ka Fu, est autoproduit et contient la musique du spectacle créé en 2003 au Théâtre de la Minoterie à Marseille par Makoto YABUKI (voir chronique plus bas).

Le bambou pour les Nuls

Soucieux d’inscrire sa démarche artistique dans la perspective d’une nouvelle relation entre l’homme et la nature mais aussi entre les hommes, Makoto YABUKI aspire à rendre la pratique musicale sur instruments en bambous accessible à tous. Ainsi, outre les activités scéniques et discographiques de son groupe professionnel – lui-même à géométrie variable – Makoto YABUKI, avec son association Wa, a également monté des ateliers d’initiation musicale au sein de son laboratoire Sonore à La Friche La Belle de Mai de Marseille. Ces ateliers sont ouverts à tous les habitants du quartier, peu importe leur âge, leur nationalité… ou leur niveau de connaissance musicale. Des cours sont proposés aux adolescents à partir de onze ans, lesquels participent à des représentations publiques en tant que « Jeunes Pousses du BAMBOO ORCHESTRA ». Un autre atelier a de même été ouvert pour former des « Pousses adultes », ainsi qu’un atelier intergénérationnel. Le BAMBOO ORCHESTRA anime de plus un atelier à l’adresse des personnes handicapées physiques. Hors les murs, l’association Wa dispense également son enseignement artistique dans les hôpitaux en direction des personnes mentalement déficientes.

Pour Makoto YABUKI, l’expression musicale est une activité indispensable à l’humanité. Pédagogie et création sont deux activités conjointes au service d’une même grande idée, celle du partage musical en vue d’un accroissement de conscience relatif à la cohabitation de l’homme avec son environnement naturel. C’est en ce sens qu’il clame que le BAMBOO ORCHESTRA est somme toute moins un groupe qu’un mouvement musical. Et on peut compter sur le bambou, dont la forme équivaut justement à celle d’un tuyau, pour en diffuser toutes les subtiles et profondes résonances.

Entretien avec le BAMBOO ORCHESTRA

Qu’est ce qui a motivé la création du BAMBOO ORCHESTRA ?

Makoto YABUKI : C’est vraiment le bambou qui m’a donné l’inspiration de cette musique. À la base,
je fabriquais déjà de petits instruments, mais qui n’étaient pas en bambou. Quand j’ai découvert ce
dernier, plein de possibilités se sont offertes à moi. J’ai ainsi créé une formation mêlant des instruments traditionnels – certains d’entre eux, au Japon, sont faits en bambou, notamment plusieurs flûtes – avec des instruments de percussion que j’ai créés personnellement. Avec uniquement du bambou, il est possible de créer un orchestre ayant différents timbres, comme un orchestre classique, avec violon, contrebasse, instruments à vent… J’ai donc monté une formation BAMBOO ORCHESTRA au Japon, puis je suis venu en France.

Plusieurs raisons ont motivé ce voyage : d’abord, il y a eu une grande forêt de bambous dans le Midi de la France, la Bambouseraie de PraFrance (ou d’Anduze). S’il n’y avait pas eu cette matière première en France, je n’aurais pas eu de raisons de m’y rendre. Mais on trouve dans cette forêt la même qualité de bambous qu’au Japon. Il y a 1 200 espèces de bambous dans le monde entier. Or l’espèce japonaise pousse aussi en France. Je pouvais donc poursuivre en France le travail que j’avais commencé au Japon. Je m’étais dit que si ça n’intéressait personne, je rentrerais au Japon ; ce n’était pas un problème ! Mais j’ai trouvé des auditeurs et des spectateurs intéressés par le BAMBOO ORCHESTRA. Et ça fait quinze ans que ça dure…

Vous avez donc conçu seul tous les instruments dont vous jouez ?

MY : Oui, ce sont tous des instruments de ma propre création. Il faut savoir qu’au Japon, il n’y a pas de percussions en bambou. Depuis 2 000 ans, personne n’a pensé à en inventer ! Le marimba-bambou, clavier en bambou, que nous utilisons n’existait pas auparavant. Mais ce n’est pas spécifique au Japon ; dans les autres pays non plus, ça n’existait pas. C’est un instrument parmi d’autres que j’ai créé. Nous ne jouons donc pas de musique traditionnelle. J’ai bien sûr en moi un fond de musique traditionnelle japonaise, mais si je l’avais gardé tel quel, on n’aurait pas pu l’adapter facilement au système de la musique occidentale.

Mes percussionnistes français peuvent jouer et adapter ma musique parce qu’on utilise la gamme tempérée, des demi-tons, comme le piano. Des musiciens de formation classique, issus du conservatoire, peuvent donc adapter ces instruments, et la musique peut se partager plus facilement.

Vous avez tout de même conservé un peu de l’inspiration traditionnelle japonaise ?

MY : Étant Japonais, cette inspiration me vient naturellement, mais je ne veux pas rester dans la musique traditionnelle. Nous utilisons certes le taïko, qui donne une image déjà très japonaise, mais pas nécessairement les rythmes traditionnels japonais. On ne se prive pas de jouer des rythmes africains si on veut…

Les musiciens actuels étaient-ils tous des percussionnistes à la base ?

Laurent PIACENTINO : Oui, nous sommes tous issus d’une formation classique des conservatoires du Sud de la France, Marseille, Aubagne, Aix-en-Provence… On a tous eu des expériences professionnelles en tant que percussionnistes dans différents orchestres ou opéras, etc. Si on s’est tous retrouvés dans le BAMBOO ORCHESTRA, c’est par affinités puisque nous sommes tous issus grosso modo de la même école. On a eu un professeur en commun qui nous a appris les mêmes bases, et c’est ce qui nous a resserrés autour du BAMBOO ORCHESTRA.

Les compositions sont-elles conçues collectivement ?

LP : C’est en majeure partie Makoto qui compose toutes les pièces du spectacle. Cela dit, le champ reste ouvert à d’autres. Par exemple, Guillaume (BONNET) a écrit une pièce dans le nouveau spectacle. D’autres percussionnistes qui avaient intégrés le groupe avant nous ont également écrit des morceaux que nous continuons à jouer. Makoto fait un arrangement de tout ça, et on les interprète tous ensemble.

Guillaume BONNET : On participe plus aux arrangements qu’aux compositions, en fait. Makoto amène surtout la trame, l’idée, et nous participons à l’arrangement du morceau. Parfois, il amène le morceau carrément écrit sur partition, et nous jouons simplement celle-ci. Nous participons aussi à la mise en scène du spectacle ; mais pour l’essentiel, la trame, l’esprit, la création des instruments sont de Makoto. BAMBOO ORCHESTRA, c’est lui.

D’où vous vient l’inspiration de vos compositions ?

MY : C’est surtout la matière du bambou elle-même qui m’inspire. On pourrait bien sûr adapter des pièces de musique classique pour le marimba en bambou, mais ce n’est pas notre démarche. C’est indéniablement le son du bambou qui m’inspire. Chaque note de bambou est très riche, plus que celles des instruments occidentaux. Les compositions en soi ne sont pas très compliquées, comme dans la musique contemporaine. Nous ne sommes pas non plus sur ce chemin-là, même si notre démarche peut être qualifiée de contemporaine. Les harmonies sont donc simples, mais il y a derrière une grande richesse de sons, de timbres. C’est l’avantage de cette matière en bambou : elle a une grande musicalité.

La musique de gamelan a-t-elle joué un rôle dans l’élaboration de votre démarche musicale ?

MY : Oui beaucoup en effet, mais pas seulement l’aspect musical. C’est surtout l’idée d’une musique polyrythmique qui m’a retenu. Chaque musicien joue des motifs relativement simples, en tout cas pas très compliqués, mais quand on mélange, qu’on superpose ou qu’on enchaîne ces motifs, on génère toute une architecture mélodique, et ça devient très intéressant. Ce n’est pas une musique qui privilégie une attitude individualiste. Les musiciens d’un gamelan se distinguent par leur anonymat et développent plutôt une approche collective. J’apprécie beaucoup cette idée de la musique indonésienne. Du reste, j’ai travaillé également avec des musiciens traditionnels balinais ; j’ai composé pour eux. Avec le BAMBOO ORCHESTRA japonais, on a créé des comédies musicales avec des Balinais. Donc, je suis effectivement inspiré par la philosophie de la tradition musicale indonésienne.

J’imagine donc que le BAMBOO ORCHESTRA France fonctionne sur le même principe ?

GB : On fonctionne sur le principe de la polyrythmie. Chacun est dépendant des autres. Il faut qu’on soit tous ensemble. S’il y en a un qui n’est pas avec les autres, ça ne peut pas marcher. Ca ne marche que si l’on est tous sur la même longueur d’ondes et dans le même état d’esprit. C’est pourquoi il est très important de travailler à la fois dans la mise en scène, l’état d’esprit, la façon de
faire passer le message. C’est un tout, on ne peut pas faire ça individuellement, ça ne marcherait pas.

LP : Le partage en commun est la base de la musique. Pour revenir à ce à quoi Makoto faisait référence, nous avons justement une pièce qui s’intitule Kecak, en référence à ce chœur de percussions vocales de Bali. Dans cette pièce, sur de petites lamelles de bambou qui se rap-prochent un peu des claves, on joue des parties qui sont pratiquement similaires, mais décalées chacune d’une double-croche. Du coup, ces rythmes s’imbriquent les uns dans les autres pour parvenir à faire un rythme autre que celui que l’on joue individuellement.

Votre musique peut-elle accorder une place à l’improvisation ?

LP : Pas dans ce morceau-là, mais il y a quand même des places pour l’improvisation dans d’autres morceaux. Souvent, on a un thème exposé, puis une partie soliste, puis un petit outil qui nous réunit tous, puis un autre fait un solo, on refait le thème, puis il y a encore un solo, etc.

GB : Cela dit, « l’improvisation » dans ce genre de morceau se situe plus dans l’intention qu’on lui donne. On peut ralentir, accélérer, faire des nuances, donc faire quelque chose en quelque sorte d’organique. C’est une liberté qu’on a, on peut guider le morceau comme on veut, mais la partie rythmique est toujours la même.

En dehors de votre travail proprement artistique, vous animez également des ateliers d’initiation aux instruments en bambou ?

MY : Oui, nous animons des ateliers avec des amateurs, et des enfants handicapés ou non. Ce ne sont pas des membres du conservatoire, juste des enfants du quartier. Il y a notamment un groupe qui mêle enfants et adultes qui s’appelle « Les Pousses de BAMBOO ORCHESTRA ». Des fois, aussi je travaille en hôpital psychiatrique avec des handicapés et des malades mentaux. Avec cet ensemble, on peut partager la musique avec des gens de n’importe quel niveau, n’importe quelle ethnie, nationalité ou génération.

Nathanaël PINNA : La particularité des ateliers qu’on anime est que les gens qui y participent n’ont aucune connaissance du solfège. Tout l’enseignement est basé sur le même principe que le groupe professionnel, à savoir cette notion de musique collective que l’on retrouve dans les gamelans de Bali, etc., donc sur l’écoute, l’entraide entre les parties, le jeu intergénérationnel aussi, puisqu’il y a des gens âgés qui peuvent jouer avec des plus jeunes, et tous n’ont aucune connaissance musicale. Chaque personne réalise une partie assez simple et les parties s’empilent, et ça créé à la fin une mélodie très riche. Tout repose sur ce principe collectif, et sur l’interdépendance. Ce qui est amusant, c’est que ça se transmet de génération en génération au sein de ces ateliers. Il y a des gamins qui ont commencé très jeunes, comme c’est le cas de Marie, la fille de Makoto qui aura dix-huit ans bientôt, et qui transmettent aux plus jeunes qui arrivent. Tout se fait un peu à la manière du griot en Afrique. Il y a une transmission orale, visuelle…

Marie : Il y a un lien social très fort, en fait… Par exemple, notre groupe accueille des enfants de onze à dix-huit ans. La moyenne d’âge est assez large.

Et ces jeunes recrues jouent-elles sur les mêmes instruments que le groupe professionnel ?

Marie : Les tambours sont les mêmes, sinon, ce sont des instruments plus simplifiés. On n’a pas la base chromatique comme le piano. On a une seule gamme, la gamme de sol. Comme les morceaux sont assez simples, on reste sur cette gamme, et on a donc des marimbas plus petits. Pour ce groupe d’adolescents, on se concentre surtout les percussions, puisque les instruments à vents nécessitent davantage de pratique. Et ce groupe de jeunes tourne beaucoup sur la région de Marseille.

NP : Ce qui me paraît effectivement important avec la pratique de ces ateliers, c’est qu’il n’y a pas besoin du solfège pour faire de la musique, et qu’on peut en faire par la simple transmission orale et visuelle. Que ce soit dans les hopitaux psychiatriques, les écoles ou les collèges, des gens arrivent qui ne connaissent rien à la musique, ils font une semaine ou deux de stage avec nous et arrivent à faire un spectacle ensemble, à jouer deux/trois morceaux.

Y a-t-il déjà eu une réalisation discographique commune entre les deux formations, japonaise et française, de BAMBOO ORCHESTRA ?

MY : Non, on n’a pas encore fait ça. Ça pourrait être une bonne idée…

Article et entretien réalisés par Stéphane Fougère
Photos: Sylvie Hamon & Stéphane Fougère

BAMBOO ORCHESTRA – Tchi Sui Ka Fu
(Playa Sound)

Tchi Sui Ka Fu : chacun de ces quatre termes japonais désigne un élément naturel. « Tchi » correspond à la terre, « Sui » renvoie à l’eau, « Ka » au feu et « Fu » à l’air. Cette théorie, énoncée par l’un de splus éminents philosophes de la Grèce antique, ARISTOTE, expose une vision poétique de l »univers dont on retrouve la trace dans les traités alchimiques du Moyen-Âge (le mercure, le soufre et le sel ayant remplacé les éléments naturels), ou encore dans la philosophie bouddhiste, où elle est augmentée d’un cinquième élément phare, le vide. Cette ubiquité thématique a inspiré Makoto YABUKI, qui a cherché à en refléter la dimension tant alchimique que poétique avec les multiples sonorités des instruments en bambou (marimba, métallophones, tuyaux, lames, tambours, flûtes, shakers…)

La structure du CD, tout comme celle du spectacle dont il découle, est ainsi divisée en autant de tableaux sonores que d’éléments, comprenant douze compositions originales de Makoto YABUKI, de Hamid GRIBI, de Pascal MARI, et du violoncelliste Patrick BORONAT (présent sur scène, mais non sur ce disque). Ces compositions sont presque également réparties dans chacun des tableaux à raison de trois compositions par tableau, sauf un qui n’en contient que deux, tandis que le cinquième élément, le Vide (« Ku »), est repsentée par une seule pièce, la dernière du disque (Pas à Pas).

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La symbolique élémentale offre l’opportunité au BAMBOO ORCHESTRA de déployer un univers sonore aux indéniables résonances magiques et mystiques où rythmes et mélodies conjuguent leurs mouvements sinueux et ondulants pour générer une respiration au fort parfum rituélique. Les pièces prennent l’allure d’incantations oniriques souvent soyeuses, extatiques ou moelleuses, voire en apesanteur quand les flûtes s’invitent, et occasionnellement plus frénétiques notamment quand il s’agit de faire parler l’élément Feu. La musique du BAMBOO ORCHESTRA traduit à merveille les sensations épidermiques liées à ces éléments qui, à l’instar du matériau bambou, traversent les âges et les cultures.

Stéphane Fougère

DISCOGRAPHIE
BAMBOO ORCHESTRA

BAMBOO ORCHESTRA France :

Také (CD, 1995, Stupeur et Trompette !)
Tchi Sui Ka Fu (CD, 2004, Autoproduction ; réédition 2009, Playa Sound)

BAMBOO ORCHESTRA Japon :

Rivages d’autrefois (CD, 1993, Bellwood)
Fuga (CD, 1994, Athenes Corporation)
Bamboo Orchestra Japan (CD, 2001, Victor)
Best Selection (CD, 2006, Autoproduction)

(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°40 – hiver 2008-2009)

Page : www.facebook.com/bambooorchestra

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