Cécile CORBEL
La Voix du bout des doigts
Dans un conte merveilleux bien relié au réel, on pourrait décrire Cécile CORBEL comme la fille du barde Alan STIVELL, pour son jeu de harpe, et de la déesse Loreena Mc KENNITT, pour la beauté de son chant. Cependant la splendide jeune femme aux longs cheveux roux dont je parle doit plus à son talent personnel qu’à l’imitation docile, même si elle a fait la première partie d’Alan STIVELL à Reims, ce qui fut un peu son sacre, et même si on l’a vue à Paris au premier rang d’un concert de Loreena Mc KENNITT. Cécile CORBEL connaît certes ses racines et qui elle est en devoir d’admirer, tout autant qu’elle a son style propre et impose avec brio une vision très actuelle de la harpe, de la telenn en breton. Depuis ses débuts sidérants en solitaire, qui remontent à 2002, beaucoup ne jurent plus que par elle en ce qui concerne le renouveau de la musique celtique. Et c’est avec de bonnes raisons. Car Cécile CORBEL, avec son timbre de voix si particulier et sa remarquable ouverture d’esprit, redéfinit d’une manière passionnante les contours actuels de la chanson bretonne. Que chacun juge à sa manière. Toujours est-il que dès qu’on l’a entendue, on ne l’oublie plus.
Cécile CORBEL est née en 1980 à Pont-Croix d’un père instituteur et d’une mère peintre. Toute jeune, dans le Penn ar bed où elle a grandie, elle a suivi ses parents sur les routes lors des spectacles de marionnettes qu’ils donnaient. Durant ses études, d’abord au collège, à Douarnenez, puis au lycée Brizeux, à Quimper, elle apprend à jouer de la guitare et rêve déjà de concerts et d’albums.
Toutefois, c’est à Confort, dans le Cap-Sizun, que va se déterminer son destin de musicienne. Là, à 17 ans, pendant un concert d’Elisa VELLIANITI, elle découvre la harpe, la pureté de sa sonorité et la magie de ses harmonies. C’est un tel choc émotionnel qu’elle ne tarde pas à prendre des cours de cet instrument auprès de la harpiste grecque. Parallèlement, en jeune femme sérieuse et travailleuse, elle poursuit ses études et, après l’obtention de son bac S, elle intègre l’École du Louvre, à Paris, et y approfondit ses connaissances en histoire de l’art jusqu’au DEA.
Néanmoins, son amour pour la harpe ne fait que s’amplifier. À présent, c’est seule qu’elle continue son apprentissage sur cet instrument et s’y montre extrêmement douée. Pourtant, c’est d’une manière presque anecdotique qu’elle fera les premières preuves de sa maîtrise de la harpe, d’abord dans la rue, sur le marché Daguerre, puis dans des cafés et des pubs irlandais. En 2002, elle donne son premier concert au Ti Jos, dans le coeur du quartier breton de la capitale. Pour l’assistance, c’est une révélation. Et ce coup de foudre va s’étendre encore et encore, concert après concert. Remarquée par la Harp Society, elle est invitée à jouer en Louisiane cette même année 2002, ainsi que la suivante. Et comme cette année 2002 fut décidément bien remplie pour Cécile CORBEL, elle est conviée à jouer au sein de TORNAOD, groupe dans lequel elle ne fera qu’un passage éclair, préférant très vite se consacrer à sa carrière solo.
Un premier tour du monde à la harpe
Car Cécile CORBEL chante également, et on dit même que sa voix ressemble à celle, troublante, de Kate BUSH. Elle arrange aussi avec maestria, et compose tout aussi merveilleusement. La suite ne se fait pas attendre. En 2004, elle auto-produit son premier album, qui comprend six titres. Pour bien apprécier la profondeur de sa démarche musicale, il est utile de se pencher sur la teneur de ces six titres. Le plus simple, voire l’évidence, aurait été de choisir six titres bien connus dans le genre celtique et de les utiliser pour en faire un album. Cécile CORBEL refuse apparemment ces procédés trop marchands.
Certes, son premier album, intitulé Harpe celtique et Chants du monde, commence par An Hini a Garan, une gwerz (une complainte en breton) très connue. Le titre qui vient après, Bran, est un air traditionnel celtique déjà moins célèbre. Mais c’est avec les trois chansons suivantes qu’on peut juger de l’éclectisme très maîtrisé de Cécile CORBEL. En effet, il n’était pas évident de trouver sur un premier album des titres aussi inattendus que Shir al Etz, un chant venu d’Israël, que Hija Mia, une balade galicienne, et que Je m’endors, un air importé de Louisiane. Et la réussite est totale.
Cette réussite a impliqué, notons-le, que Cécile CORBEL chante en hébreux et en espagnol en addition, c’était bien normal, du breton et du français. Comme je disais précédemment, ce n’était certainement pas le premier album plus aisé à enregistrer et il faut saluer l’audace du concept et l’effort impliqué. Et pour clore son opus, Cécile CORBEL a dès lors beau jeu, si je puis dire, de nous interpréter l’une de ses propres compositions à la harpe, la superbe Valse des ondines.
Cette autoproduction sera louée par une critique enthousiaste. Toutefois, notre harpiste ne s’endort pas sur ses cordes et continue de faire courir ses doigts encore et encore sur sa telenn afin d’élever toujours plus haut son niveau. Ce travail de tous les jours sera bientôt récompensé. Son jeu de harpe lui vaudra d’être Lauréate du prix Paris Jeunes Talents Musique 2005. Dès lors, elle multiplie les concerts, en France, en Europe et dans le monde entier. Cependant, c’est d’avoir joué en première partie d’Alan STIVELL à Reims au printemps 2006 qui restera comme l’une de ses plus grandes joies scéniques. Simple et reconnaissante, elle en dira ceci : « C’est une étape très importante dans mon parcours. Que de chemin parcouru de mon côté depuis l’adolescence où je découvrais avec bonheur sa musique pour la première fois ! »
Cécile CORBEL n’est pourtant pas au bout de ses joies en cette année 2006. Car le prestigieux label Keltia Musique la signe, lui propose de distribuer à grande échelle son premier opus et même d’en sortir très vite un autre.
Cahiers de couleurs
Ce second album, paru en octobre 2006, sera baptisé Songbook.1. Son nom et son thème en seront décrits ainsi : « J’ai pensé Songbook.1 comme un cahier de chansons traditionnelles que je me serais appropriées en donnant à chacune une couleur originale, un peu espiègle et moderne. »
À la fois plaisant et accessible autant qu’intime et réfléchi, cet album nous mène au travers d’une grande palette de climats. On y passe sans transition d’un air enjoué à une chanson mélancolique avec un rare souci de la mélodie. Remarquons aussi les arrangements inventifs et variés co-signés par Simon CABY. On navigue également entre langue anglaise, française, gaëlique et bretonne.
Dans les titres figurant sur Songbook.1, les célèbres Suil a ruin, She Moved Through the Fair et A Stor mo Chroi se mêlent à des airs moins connus mais cependant très beaux tels que Ar C’hoant Dimein, Bemnoz et The Burnt of Auchindoun (chanson qui tire son origine de l’incendie par le clan MacIntosh, en 1592, du château d’Auchindoun, situé tout au Nord de l’Écosse).
On y trouve aussi The Three Ravens, un air tiré d’un des recueils de compilation de chansons anciennes de Thomas RAVENSCROFT. On trouve également A Red, Red Rose, une chanson tiré d’un poème du grand poète écossais Robert BURNS. On y trouve même l’horrifique comptine traditionnelle Dellum Down avec son invincible et terrifiant sanglier sauvage « qui mangera ta chair et sucera ton sang ». On y trouve encore, et tout naturellement, une fort belle chanson entièrement écrite par Cécile CORBEL intitulée Le Vent m’emporte, preuve s’il en faut qu’elle sait très bien toute seule nous ravir les oreilles.
Bref, Songbook.1 est un album parfait, sans défaut, sans temps mort, à la fois consommable comme une friandise musicale et plus profond qu’il n’y paraît a priori. Des esprits chagrins et tatillons ont pourtant fait remarquer, et malheureusement à juste titre, que Songbook.1 tendait à mettre plus en avant la voix de Cécile CORBEL que son jeu de harpe. Elle-même n’est pas loin de penser qu’elle est désormais plus chanteuse que harpiste et déclare que « la voix est une découverte de tous les jours avec des possibilités encore plus vastes qu’avec la harpe ». Faut-il pour autant s’en alarmer ? Oui, peut-être, pour ce qui sera de sa future discographie, encore qu’elle reste la seule à pouvoir décider de la place qu’elle accordera à sa telenn dans ses prochains albums.
En revanche, pour ce qui est de son jeu de harpe lors de ses concerts, rien, par bonheur, ne laisse présumer qu’il se réduira. C’est donc avec plaisir qu’on continuera de la voir caresser sur scène les cordes de son instrument et à faire corps avec lui. Et il aurait été en effet dommage qu’elle remise les harpes d’exception dont elle se sert, l’une sculptée dans le merisier et ornée d’une tête de diable, et l’autre, œuvre du luthier quimpérois Marin LHOPITEAU, unissant le soleil et la lune à l’étoile de la déesse Ishtar. Comme quoi, Cécile CORBEL ne déteste pas un certain ésotérisme…
Fééries noctunes et vespérales
Et à propos de surnaturel, notre harpiste, en plus de ses deux albums, a aussi collaboré au coffret intitulé La Nuit des fées que vient de sortir l’excellent label Prikosnovénie. Et de tous les titres contenus dans ce coffret, son Sans faire un bruit, un inédit, est certainement le plus beau. Et des inédits, Cécile CORBEL semble en avoir beaucoup dans sa besace. On peut bien sûr déjà penser à deux titres, Yarim Gitti et Sally Free and Easy, dont des vidéos live circulent sur le web. Mais, toujours sur le web, et plus précisément sur son site officiel, Cécile CORBEL révèle, quand on la lit bien, l’existence d’autres morceaux encore plus excitants. Ainsi, dans son « Carnet de bord », elle évoque une composition pour plusieurs harpes dont le titre, assez énigmatique, est D’un soir. Autant dire que l’univers musical, sans conteste vaste et souvent surprenant, de Cécile CORBEL n’a été qu’à peine effleuré par sa discographie actuelle.
On ne connaît pas le nom des fées qui ont rendu Cécile CORBEL si douée. On connaît cependant le nom des grands artistes qui, les uns après les autres, rendent hommage à son talent et l’aident à gravir une à une les marches vers une juste reconnaissance. Un de ces artistes a été Laurent VOULZY qui le 12, le 15 et le 16 mai 2007 l’a fait jouer en première partie à l’Olympia. Un autre artiste, le musicien nantais Alan SIMON, est en train d’enregistrer un opéra-rock intitulé Anne de Bretagne, avec Angelo BRANDUARDI, Nilda FERNANDEZ, Didier SQUIBAN, l’Orchestre de Bretagne et le Bagad de Quimperlé. Mais devinez donc qui tiendra le rôle-titre d’Anne de Bretagne ? Eh oui !, ce sera Cécile CORBEL ! Autant dire que ce nouveau tremplin a toutes les chances de lui assurer un futur… royal !
Et c’est ainsi que s’accomplira sûrement l’un des vœux les plus chers de notre jeune harpiste. Car en quittant l’Olympia après ses concerts en première partie de Laurent VOULZY, Cécile CORBEL a croisé les doigts pour y revenir un jour. Ce jour viendra, n’en doutons pas. Et je suis même convaincu qu’il viendra très bientôt.
Article : Frédéric Gerchambeau
– Photos : Sylvie Hamon
Site : www.cecile-corbel.com
(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°38 – Printemps 2008)