Festival Interceltique de Lorient 2022 – Année des Asturies, Seconde Partie : Entretien avec Jean-Philippe MAURAS (directeur artistique du F.I.L.)
Jean-Philippe MAURAS n’est pas un inconnu dans le milieu de la culture bretonne ou celtique. Il a été musicien au sein de différentes formations et il a dirigé le Festival de Cornouaille à Quimper entre 2001 et 2013. Nommé Directeur Artistique du Festival Interceltique de Lorient en avril 2021, il a ainsi succédé à Lisardo LOMBARDIA à l’automne de la même année.
Après une édition 2021 vécue en qualité d’observateur, Jean-Philippe MAURAS a appréhendé en 2022 une première édition du FIL pleine et entière.
Entretien avec Jean-Philippe MAURAS
Vous êtes Directeur Artistique. Votre prédécesseur, Lisardo LOMBARDIA, était Directeur Général. Quelle est la différence entre les deux notions ?
Jean-Philippe MAURAS : Lisardo avait la direction générale du Festival, c’est-à-dire qu’il abordait tous les sujets. Moi, au niveau de la direction artistique, je me consacre quasi-essentiellement sur la programmation et sur tout ce qui va s’y rattacher, notamment la communication et ce qu’on appelle la ligne artistique. J’ai des collaborateurs qui vont se charger des aspects plus techniques, administratifs ou financiers, ce qui me permet d’avoir plus de temps pour concevoir la programmation du Festival.
Le Festival retrouve cette année l’ampleur qu’on lui connaissait. Nous ne sommes pas pour autant sortis de la pandémie du Covid-19. Un plan B avait-il été prévu en cas de situation sanitaire délicate et de nouvelles restrictions ?
J.-P. M. : Bien sûr ! On a commencé à travailler sur le Festival 2022 dès le mois de septembre l’an passé suite à l’édition 2021 qui avait eu lieu sur dix jours mais qui avait été réduite. Il y avait moins de sites et on n’avait pas non plus toutes les délégations étrangères.
On a commencé à travailler en se disant : « Mais comment sera-t-on en août 2022 ? Est-ce qu’on aura encore besoin d’un passe sanitaire, d’un passe vaccinal ? ». Il y avait quand même beaucoup d’interrogations. On a travaillé en se demandant comment faire une édition pleine et entière même avec cette exigence ou ce besoin d’un passe pour rentrer sur les sites.
On a aussi travaillé par rapport aux sites du centre-ville. On a beaucoup de sites de concerts, le Quai de la Bretagne, les différents pavillons des Nations Celtes, qui ces dernière années étaient avec une entrée libre simplement avec le badge. On a remplacé le badge par un bracelet, un système de forfait qui permet d’avoir une puce. C’est la même puce qui sert pour le Celticash, pour la restauration ou les bars, et sur lequel on aurait pu rajouter le passe sanitaire ou le passe vaccinal si on avait eu besoin.
Fort heureusement, on n’en a pas besoin pour cette année. Les accès sont beaucoup plus libres mais on a quand même maintenu cette idée de forfait.
On a commencé à travailler dès septembre, on a commencé à annoncer la programmation et ouvert la billetterie dès le mois de décembre. Si on se souvient bien, à cette époque, on était encore sous passe vaccinal et les salles de spectacles venaient juste de rouvrir. Mettre en action un festival comme celui de Lorient nécessite des mois de préparation, donc on ne peut pas décider quinze jours avant ce qu’on va faire. Les enjeux sont assez énormes.
Il n’y avait pas de restrictions pour la venue des autres Nations Celtes ?
J.-P. M. : On en a toujours. Par exemple, cette année, nos cousins acadiens n’auront pas de pavillon, car ils sont sortis beaucoup plus tard des restrictions.
En revanche, on aura quelques artistes et notamment Dominique DUPUIS. Cela fait quelques années qu’elle n’était pas venue. On se souvient il y a vingt ans, à l’époque de Jean-Pierre PICHARD, Dominique DUPUIS venait régulièrement et elle avait participé aux grandes Nuits Celtiques qui avaient eu lieu au Stade de France.
C’est aussi une édition qui pour nos cousins écossais, gallois, cornouaillais et mannois est la première post-brexit.
Le brexit est arrivé sur 2019-2020 et, du coup, il y a des petits changements. On a bien évidemment des délégations de chaque nation, mais on a fait un pavillon gaélique qui regroupera l’Irlande, l’Écosse et l’île de Man. C’est aussi un lien avec la langue gaélique.
On a un autre pavillon qui regroupe les Cornouailles et le Pays de Galles.
Sinon, on a toujours un pavillon galicien et bien évidemment le pavillon de la nation à l’honneur cette année : le pavillon asturien.
Pour ce qui est de l’Australie, il y aura des représentants ?
J.-P. M. : Notre délégué australien sera présent. On aura également un pipe-band et des groupes folks. On est assez content qu’ils puissent être là. Il n’y a pas de pavillon en tant que tel.
Comment vous sentez-vous à quelques jours du démarrage de votre toute première édition ?
J.-P. M. : Je me sens relativement bien ! Je me sens plutôt enthousiaste, très impatient de vivre une édition pleine et entière.
Je suis venu sur ce festival régulièrement depuis des décennies, mais jamais en pensant que j’en prendrais la direction artistique. Je le connais bien, je connais l’atmosphère, l’ambiance, la convivialité, la ligne artistique, mais je n’étais jamais allé forcément voir ce qu’il y avait en coulisses. Ce sont des choses qu’il est nécessaire de connaître pour pouvoir construire un festival.
Je suis très impatient de pouvoir regarder ce sur quoi on a travaillé pendant des mois, comment il va se dérouler, savoir si c’était de bonnes décisions, s’il y a des choses à abandonner, des choses à améliorer pour travailler de manière plus sereine pour l’édition 2023.
On peut déjà noter des changements dans la dénomination des scènes ou des spectacles. Vous vouliez imprimer votre marque dès le départ ?
J.-P. M. : Sur le projet artistique pour lequel j’ai été recruté, il y avait deux fondamentaux qui sont importants pour moi.
Le festival avait fêté ses cinquante ans et donc on travaillait sur la cinquante-et-unième édition, mais j’avais souvent tendance à dire qu’on travaillait sur la première année des cinquante prochaines années pour aller jusqu’au centenaire.
Mon prédécesseur, Lisardo, disait qu’on allait fêter un siècle d’interceltisme. Je lui répondais qu’à moins qu’on trouve l’élixir de jouvence, qui se cache peut-être quelque part, on n’y sera pas forcément à la centième édition. Il est donc important de toujours penser que ce festival est pluriel, intergénérationnel et de penser que pour les générations qui arrivent, ce festival soit le leur et pas celui de leurs parents ou grands-parents. Sur des manifestations qui peuvent « vieillir », peut-être que ça tourne en rond.
Il est très important de laisser une place aux jeunes générations et aux suivantes de sorte qu’elles s’approprient le Festival.
Le premier changement, c’est la création d’un nouveau lieu, qui prendra place sur la place de l’Hôtel de Ville qui s’appelle le Kleub et qui est une sorte de SMAC, une scène de musiques actuelles celtiques pour présenter des concerts de groupes et d’artistes des différentes nations celtes, qui sont réellement dans leur celtitude mais dans une celtitude très contemporaine.
Comment vit-on notre celtitude aujourd’hui, en 2022 ? Comment les artistes, en général assez jeunes ou dont on entend parler depuis quelque temps, peuvent exprimer leur celtitude sur scène ?
On va retrouver des formations comme ELEPHANT SESSIONS, NOON ou FLEUVES, qui à mon sens correspondent aussi à ce qui se fait de bien sur la planète celtique en concert, mais pas sur des concerts où on est assis et où on écoute mais plutôt sur des concerts ou on danse, où on participe et où on vit pleinement cette musique.
Il y a peut-être une attente de la jeune génération ?
J.-P. M. : Je pense ! J’ai eu beaucoup de demandes par rapport à ça. Ce type de programmation existait déjà sur le Festival. Il était programmé au Quai de la Bretagne ou à l’Espace Marine. Là, c’est vraiment un lieu dédié, à tel point qu’il y a deux propositions artistiques par soir et à l’issue du deuxième groupe, il y a un set de DJs qui prend le relai jusqu’à l’heure de fermeture. On est sur un lieu qui ouvre à 21h jusqu’à 2 ou 3h du matin, selon les jours, pour vraiment vivre sa celtitude et faire la fête jusqu’au bout de la nuit.
Au Stade du Moustoir, les Nuits Interceltiques deviennent Horizons Celtiques. Il s’agit seulement d’un changement de nom ou on peut s’attendre à des modifications du spectacle lui-même ?
J.-P. M. : Horizons Celtiques restent évidemment la suite des Nuits Interceltiques et des Nuits Magiques d’origine. Cela reste le son et lumière du Festival Interceltique de Lorient. C’est l’occasion de voir toutes les délégations présentes, les pipe-bands, les groupes de danses des différentes Nations Celtes dans une grande ciné-scénie.
J’ai souhaité y apporter deux choses, que les huit Nations Celtes d’Europe soit présentes, que l’on fasse vraiment le tour, et ensuite que le spectacle soit, non pas réduit, mais condensé, de manière à ce qu’il soit moins long. Tout le monde en sortait ravi, mais souvent il était 1h30 du matin. Là, on va commencer un peu plus tôt, il n’y aura plus d’entracte et aux alentours de minuit, le spectacle prendra fin avec le feu d’artifice après deux heures et demie très denses.
La programmation est très éclectique. Elle sort aussi parfois de la musique celtique.
J.-P. M. : Elle peut en sortir de temps en temps. Il y a toujours un lien de toutes manières. Qu’est-ce qui ne serait pas celtique cette année ? Je pense à Murray HEAD. On est dans le mouvement folk des années 1970 avec un album qu’il va reprendre qui est Say it ain’t so de 1975, qui a marqué des générations de guitaristes folk aussi bien en Bretagne qu’en Irlande ou en Écosse. Il reste toujours une référence. L’opportunité était belle de pouvoir l’accueillir.
Un autre artiste qui n’est pas vraiment breton ou celte, c’est Gaëtan ROUSSEL. Là, c’était en lien avec l’émission qu’il anime sur France Télévision qui s’appelle Abers Roads, un road-trip où il va à la rencontre d’un autre artiste qui habite en Bretagne, qui lui fait partager ses coins, ses goûts et avec lequel il partage aussi de la musique. Je trouvais l’idée de cette mise en avant de notre région très intéressante. J’ai posé la question à Gaëtan sur le fait d’organiser un concert un peu particulier où on pourrait l’accueillir sur son set habituel mais aussi avec des invités qu’il a déjà reçus lors de cette émission. Il a répondu « Bingo ! ». Donc, on aura Nolwenn LEROY, YELLE, Dominique A, Kevin CAMUS qui seront également présents ce soir-là. Une soirée exclusive puisque il y a simplement un seul concert comme ça et je trouvais le clin d’œil assez intéressant.
Un festival doit aussi apporter ça, des choses un peu inattendues pour pouvoir plaire au plus grand nombre.
Un des marqueurs forts du FIL, ce sont les créations. Une création semble ambitieuse, il s’agit de Celtic Odyssée. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J.-P. M. : J’y tiens beaucoup à cette Odyssée Celtique, qu’on a appelé Celtic Odyssée pour pouvoir être compréhensible dans les différentes langues. Je disais que le contexte inter-générations était quelque chose d’important et de transversal. Remettre l’accent sur l’interceltisme. C’est le Festival Interceltique de Lorient. C’est ce qui fait sa singularité. Cet interceltisme, je pense qu’on le retrouve aussi au niveau des créations.
On le retrouve dans Horizons Celtiques avec tous les pipe-bands, bandas, qu’on peut avoir au stade, mais je souhaitais qu’on puisse refaire une création avec une sorte de voyage musical à travers les différentes nations celtes. Pour cela, j’ai demandé à un pilote s’il acceptait de mener cette aventure, cette odyssée, et ce pilote, c’est Ronan LE BARS. Il a dit « ok » et depuis septembre 2021, on a travaillé, il a écrit. On a joint les uns et les autres. Il a été très fédérateur. C’est un artiste breton, grand joueur de uilleann pipe, qui est reconnu partout sur la planète celtique. Donc ça n’a pas été difficile de « recruter ».
Il y a dix-sept artistes qui le rejoignent pour l’occasion, des artistes bretons et de chaque nation, des artistes de prestige. Je ne vais pas pouvoir les citer tous mais, pour l’Écosse, Karen MATHESON et Donal SHAW seront là ; pour l’Irlande, on aura Dónal O’CONNOR, Karan CASEY, cette fantastique chanteuse du groupe SOLAS ; Cerys HAFANA pour le Pays de Galles ; Lauren CHANDLER pour la Cornouailles ; Tomas CALLISTER pour l’Île de Man ; José Manuel TEJEDOR pour les Asturies ; Fransy GONZÁLEZ pour la Galice et Denez PRIGENT pour la Bretagne. Je ne vous raconte pas la difficulté de réunir et de faire travailler tout ce monde à distance depuis des mois.
J’ai eu la chance d’entendre les enregistrements qui ont pu être faits des différents titres et ça va être un très grand moment, un très beau moment. Certains me demandent si c’est le nouvel HÉRITAGE DES CELTES. Le but n’est pas de créer un nouvel HÉRITAGE DES CELTES, cette aventure qui était absolument extraordinaire, mais de créer une aventure de rencontres, une aventure interceltique portée par le Festival. On est complètement légitime pour porter ce type de créations. On le fait deux soirs d’affilée au Théâtre pour être sûr que toutes les personnes qui veulent entendre et découvrir cette création puissent être là.
C’est un spectacle qui va être redonné au Celtic Connections à Glasgow en janvier 2023. On a également des touches pour le jouer dans d’autres pays celtes courant 2023. On va le rejouer à l’Olympia à Paris le 8 juin 2023.
C’est un spectacle assez ambitieux mais qui le mérite réellement, et ça fait quelques années qu’on n’avait pas eu un grand spectacle pouvant montrer la richesse musicale de nos différentes nations celtes.
On pourrait retrouver ce spectacle sur un support, CD ou DVD ?
J.-P. M. : Ce n’est pas en projet pour l’instant, mais ce sera à voir. Comme on sait qu’on pourra rejouer ce spectacle donc on aura peut-être l’occasion.
C’est un concert qui va peut-être pouvoir aussi évoluer avec d’autres invités.
Il y a aussi une autre création le dernier jour sur le Quai de la Bretagne. Elle s’appelle Lorient chante.
J.-P. M. : C’est un clin d’œil ! Un des incontournables du Festival, c’était la fin avec le groupe DJIBOUDJEP. J’ai toujours trouvé extraordinaire des fins avec ce groupe, ces chants de marins, avec Mikaël YAOUANK. C’est aussi une réalité : Lorient est un port, Lorient est une ville où l’on chante !
Mikaël est parti sur une autre rive et en travaillant avec son neveu, Guillaume YAOUANK, on s’est demandé ce qu’on pourrait faire pour garder ce symbole du chant. Et c’est là que Guillaume a eu l’idée de créer un collectif d’artistes Lorientais, juste pour faire un moment comme ça pour le Festival : Lorient chante ! Chanter des chansons pour les Lorientais mais des chansons lorientaises, car il y en a réellement.
La dernière soirée sur la grande scène de l’Amphi est consacrée à l’Irlande. Est-ce un indice sur la nation à l‘honneur en 2023 ? (1)
J.-P. M. : Comment je me transforme en point d’interrogation (rires) ?
Peut-être ! En tout cas, on a évidemment déjà travaillé sur 2023. On va dévoiler le tout pendant le Festival. On peaufine encore des petites choses. L’Irlande est une nation très importante pour Lorient. Un festival Interceltique de Lorient sans Irlandais, ça ne le ferait pas.
Sur l’édition 2020, le groupe THE CHIEFTAINS était programmé. Il devait se produire à l’occasion du 50e Festival. Le Covid en a décidé autrement. Il se trouve qu’avec mon ancien métier j’étais le producteur et le tourneur des CHIEFTAINS pour la France. Avec le leader, Paddy MOLONEY, on s’était dit qu’on le ferait en 2021. On n’a pas pu non plus. J’avais dit à Paddy que ce sera pour 2022 ! La vie en a décidé autrement. Paddy nous a quittés en octobre 2021. Paddy étant absent, les CHIEFTAINS clôturaient ce livre d’un groupe mythique ouvert pendant plus de soixante ans.
Au niveau de la programmation, je me suis demandé si on faisait un hommage ou quelque chose d’autre. Pour une grande soirée irlandaise, j’ai remplacé les CHIEFTAINS par les deux groupes peut-être les plus symboliques qui les suivent et qui sont aujourd’hui sur les scènes du monde, DERVISH et LÚNASA. On a demandé aux danseurs irlandais qui sont présents à Lorient d’être-là pour faire une très belle soirée pour tous les amoureux de la musique irlandaise et de l’Irlande !
Il y aura un CD officiel du FIL 2022 ?
J.-P. M. : Il n’y aura pas de CD officiel cette année ! Ce n’est pas lié au Festival de Lorient, mais c’est un support qui disparaît au fur et à mesure. Il y a des playlists qui sont établies.
Faire un CD du Festival, c’est aussi beaucoup de travail, c’est être en lien avec des partenaires distributeurs, des partenaires producteurs, des labels. On s’apercevait que de moins en moins de public était intéressé ou en achetait, non pas parce qu’il n’était pas intéressé par la musique qu’il y a dessus, mais parce qu’il n’avait plus de lecteur CD dans la voiture ou à la maison. Les jeunes générations nous regardent avec des points d’interrogation en nous demandant ce qu’est cet objet collector.
On évolue aussi. Il y a plein d’autres objets, plein d’autres choses en produits dérivés, en merchandising en lien avec le Festival. Je pense qu’il y aura quand même des groupes qui auront des CD.
C’est comme la notion des supports papiers qu’on a fait évoluer cette année. On a justement essayé d’utiliser moins de papiers, de condenser aussi les supports. On a un support dépliant qu’on peut mettre facilement dans la poche. On a un support programme le plus complet possible qu’on peut aussi mettre dans la poche. On a surtout l’application sur les smartphones sur laquelle on a tous les renseignements, toute la programmation, les liens vers le vidéos des groupes. À part le café, je pense qu’on peut tout faire avec cette application (rires).
Qu’évoque pour vous cette notion d’interceltisme ?
J.-P. M. : Cela évoque énormément de choses pour moi. J’ai la chance d’être né au cœur d’une famille qui était très impliquée culturellement, essentiellement autour de la culture bretonne. J’ai toujours baigné dans le milieu de la danse, de la musique, du chant. Je suis né à Vannes et j’ai toujours entendu du chant et de la musique bretonne, j’ai toujours entendu parler breton. Ma famille était très impliquée au sein du cercle celtique de Vannes.
Je suis arrivé au Festival Interceltique dès 1976. Il y a quelques années où je ne suis pas venu, mais je n’ai pas dû en louper beaucoup entre 1976 et maintenant.
Le symbole de ce festival a toujours été cette rencontre avec les autres Nations Celtes. C’était l’occasion de voir des Irlandais, des Écossais, des Galiciens. Plus tard, quand j’avais onze, douze, treize ans et que je faisais déjà de la musique, c’était de venir à Lorient pour rencontrer et pour écouter ces musiciens.
À l’époque, il n’y avait pas internet, on n’avait guère que des vinyles. C’était la seule occasion qu’on avait dans l’année pour écouter réellement comment sonnaient les instruments et plus tard, en vieillissant, en étant adolescent, pour commencer à jouer, pouvoir partager, essayer de communiquer en anglais. Il y avait des gens de nos âges aussi.
Lorient a toujours été pour moi cette plateforme, cet endroit où on pouvait rencontrer nos cousins celtes. Ҫa a toujours été très important. On avait plein de rendez-vous toute l’année et on en a toujours plein sur la culture bretonne, mais Lorient a cette singularité.
Vous avez appris la langue bretonne ?
J.-P. M. : J’ai appris tardivement. Mes grands-parents parlaient breton, pas mes parents puisque il ne fallait pas le parler. J’ai donc eu une éducation en français avec dans la tête des sonorités bretonnes en chant et dans le langage de mes grands-parents. J’ai appris le breton plus tardivement en cours du soir. Paradoxalement, je suis de Vannes et j’aurais dû apprendre le vannetais. J’ai appris le KLT (2) puisque je suis parti sur Quimper.
Après, je ne me ferai pas vendre en breton. Je ne communique pas suffisamment à travers mes différentes occupations. En tout cas c’est très important une langue, et notre langue bretonne est très importante comme toutes les langues. Notre musique vient de la langue. C’est elle qui donne le chant, qui donne ses caractéristiques. Elle en est indissociable. Notre culture est complètement liée à notre langue.
Vous avez joué dans différents groupes, FOLLEN, DRUMLIN, AMAŇ. C’est une activité que vous aimeriez reprendre ?
J.-P. M. : C’est une activité que j’ai commencé étant très jeune. Je pense qu’avec FOLLEN, je devais avoir treize ans. Le groupe a duré quasiment trente ans. C’est déjà un beau parcours.
Durant les années FOLLEN, j’ai joué avec DRUMLIN plus en musique irlandaise. Ensuite, j’ai joué avec AMAŇ. J’ai arrêté de faire de la scène en 2018. Volontairement ! Je n’arrivais plus à travers mes activités de diffuseur et de producteur de musique celtique, que j’ai menées pendant plusieurs années et qui m’ont amené à beaucoup voyager, à être outre-Manche ou outre-Atlantique et de revenir pour assurer un fest-noz. C’était très compliqué. J’aimais bien, mais je n’avais plus le temps de répéter. Les semaines ne font que sept jours et les journées vingt-quatre heures. J’ai une famille, j’ai des enfants. Il fallait que je fasse un choix.
D’ailleurs, la dernière date que j’ai faite sur scène avec AMAŇ, c’était un pur hasard, c’était au FIL en août 2018. Je savais que c’était la dernière après trente-six ans de scène et de musique. Je n’ai pas de regrets. Je continue à faire de la musique, pour moi, avec mes enfants, avec des amis, mais plus sur scène.
Vous avez également été directeur du Festival de Cornouaille à Quimper. Les deux festivals s’appréhendent-ils de la même manière ?
J.-P. M. : Ҫa reste deux grand rendez-vous de la culture bretonne. Pour être resté très longtemps à la direction du Festival de Cornouaille, c’est un festival très lié à la culture bretonne, à ses traditions. En plus, on est sur Quimper, dans le bassin cornouaillais qui est très breton bretonnant. Lorient est plus vaste, plus ouvert aux autres Nations Celtes.
Au-delà de la taille, de la durée, ça reste des festivals urbains. Donc, ça s’appréhende de la même manière si ce n’est que Lorient est beaucoup plus gros.
On peut le constater à Lorient mais aussi à Quimper ou aux Filets Bleus à Concarneau, de nombreux festivals sortent de la musique purement bretonne ou celtique. C’est une volonté d’ouverture ou est-ce qu’il est aujourd’hui plus difficile de trouver des artistes « celtes » pouvant attirer un large public sur leur seul nom ?
J.-P. M. : C’est un vrai questionnement. Je crois réellement qu’il ne faut pas perdre son âme en faisant une programmation comme on en voit partout. Il faut trouver des idées, une originalité. Si on invite tel ou tel artiste, il faut vraiment qu’il y ait un lien. Un festival n’est pas simplement un catalogue. Il y a vraiment une ligne artistique. J’y tiens.
On peut programmer des choses qui sont un peu en dehors des clous, mais il y a toujours un lien et ce lien, on doit pouvoir l’expliquer et pas simplement les programmer parce que c’est « bankable ». Le Festival Interceltique a un ADN très fort et il faut le garder.
Il est sûr que le questionnement par rapport aux jauges, à la popularité, peut se poser parce qu’on a aussi la difficulté de communiquer ou de voir comment on rencontre les musiques celtiques aujourd’hui. On n’a pas une diffusion nationale. On ne peut pas dire qu’on rencontre de la musique celtique à chaque émission de télévision sur les chaînes qu’on a à disposition en France. C’est en général une démarche volontaire. C’est les gens qui aiment ça ou alors quelquefois le hasard des amis, des rencontres, d’échanger et de se dire « Tiens, mais ça c’est bien ! ».
On est toujours sur ce questionnement de comment on fait pour mieux diffuser nos musiques, les musiques celtiques d’aujourd’hui. Je m’aperçois qu’il y a un large public qui est persuadé que la musique bretonne comme les musiques celtiques, ça correspond toujours à la même chose alors qu’il y a une évolution considérable. Il y a autant de richesse dans les musiques celtiques que dans les musiques jazz, métal ou hip-hop. Il y en a pour tous les genres, tous les styles. Il y a des choses qui sont très traditionnelles ou très contemporaines et le FIL se doit de pouvoir représenter le tout dans cette ouverture.
Comme le FIL est un grand rendez-vous et qu’on a la chance d’avoir énormément de festivaliers, énormément de monde, c’est aussi une occasion de présenter ce qui se fait sur la planète celtique mondiale de manière à provoquer des rencontres et que des gens, parce qu’ils sont curieux, vont à un concert et se disent que c’est extraordinaire et qu’ils ne pensaient pas que ça pouvait exister et qu’on pouvait prendre son pied comme ça. C’est le rôle du Festival.
Pour revenir à la question initiale, c’est vrai qu’il y a toujours un questionnement. On a des têtes d’affiche, heureusement, mais on a encore un gros travail pour continuer à appréhender et à vulgariser nos musiques.
L’après Alan STIVELL, TRI YANN, Gilles SERVAT, Dan AR BRAZ, ça vous inquiète ?
J.-P. M. : Il est vrai que pendant les cinquante dernières années, on a eu les têtes de pont qui sont restés en haut de l’affiche et qui sont toujours là. Mais on a une richesse en Bretagne qui est assez extraordinaire. On peut parler de Denez PRIGENT, d’Annie EBREL ou de Ronan LE BARS et de groupes comme FLEUVES ou NOON qui fonctionnent très bien et qui sont d’une autre génération. Peut-être qu’ils n’ont pas eu la même place dans les médias et peut-être qu’on n’a pas su leur laisser plus de place.
Maintenant, à eux de durer, à nous, festivals et fêtes, de les programmer et aux médias de les diffuser aussi de manière qu’un plus grand public puisse découvrir des groupes assez extraordinaires. En tout cas, il y a un vrai travail à faire.
C’est le même phénomène qu’on va retrouver également en Galice ou aux Asturies et en Écosse ou en Irlande. On n’a jamais eu autant de médias qu’aujourd’hui. On peut tout découvrir à travers les plateformes et en même temps peut-être que trop de choix tue le choix. J’espère que le Festival est un rendez-vous pour faire confiance en se disant que si telle chose ou telle autre est programmée, c’est que ça vaut le coup !
ALVAN & AHEZ, candidat hélas malheureux au concours de l’Eurovision, c’est selon vous une vitrine malgré tout ?
J.-P. M. : Ҫa a déjà été une vitrine pour la langue ! C’est toujours bien quand la langue bretonne existe sur des rendez-vous comme ça. Elle est là, elle continue à être enseignée. C’est vraiment primordial.
Après, je n’étais pas dans la partie. Pour en avoir discuté avec eux, il n’y avait pas une heure et quart ou une heure et demie de concert avec un répertoire à deux. Il y avait surtout un titre, ce titre qu’ils ont défendu dans le cadre de l’Eurovision. C’est toujours bien quand ça interpelle et ça l’a fait d’une manière positive et négative, mais ça n’a laissé personne indifférent.
Vous avez aussi fondé l’agence artistique Lenn Production. Vous pouvez nous en parler.
J.-P. M. : En parallèle de mes activités de directeur de festivals et de ma carrière de musicien, j’ai toujours été intéressé par la diffusion de nos musiques, en me disant qu’il y avait un travail à faire au niveau de cette diffusion en Bretagne, mais aussi à l’échelle nationale ou internationale.
C’est à ce niveau-là que je commençais vraiment à m’intéresser à ce travail de production, de diffusion et d’organisation de tournées. Dans un premier temps, c’était avec une structure qui s’appelait Kerne Production et ensuite, après mon départ du Festival de Cornouaille, avec ma propre agence qui s’appelle Lenn Production.
On a généré l’organisation de concerts et de tournées sur le territoire national pour beaucoup de groupes, notamment irlandais, écossais ou nord-américains et également pour quelques groupes bretons. C’est devenu progressivement au cours de la décennie 2010 la première agence française de diffusion des musiques celtiques.
C’est un travail passionnant. C’est important, au-delà des grands rendez-vous, d’envoyer de la bonne musique un peu partout sur le territoire. On travaille aussi bien avec des salles, des associations, des festivals, dès qu’ils sont intéressés pour faire jouer des groupes comme LÚNASA, TALISK ou beaucoup d’autres qu’on a pu faire tourner au cours des dernières années.
L’an dernier, le cinquantième FIL était dédié à la Bretagne, cette année ce sont les Asturies qui sont à l’honneur. Pourrait-on voir des nouvelles nations faire leur entrée dans la famille interceltique ?
J.-P. M. : C’est une question ! Il est vrai qu’entre les nations dites initiales qui étaient la Bretagne, l’Irlande, l’Écosse, le Pays de Galles, l’Île de Man et la Cornouailles se sont ajointes la Galice et les Asturies. On a adjoint, au niveau de la diaspora, l’Acadie, la Louisiane, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. Je dirais que la planète celtique est mondiale. À travers les diasporas, on trouve des Celtes partout sur la planète. J’ai souvenir d’avoir vu à Lorient un pipe-band japonais. Il y a toujours eu des clins d’œil.
Je reste très ouvert à toute proposition. Je trouve intéressant de bien entretenir et de maintenir les liens qu’on a déjà avec nos cousins proches avant d’aller chercher encore plus loin à travers le monde, de pouvoir renforcer les liens qui nous unissent. C’est comme dans un couple, ça s’entretient. Il faut donc continuer à travailler ensemble, tisser de nouveaux liens et trouver encore de meilleures manières de pouvoir échanger et communiquer.
L’Acadie fait partie de la famille celtique. Le Québec pourrait aussi la rejoindre.
J.-P. M. : Tout à fait ! D’ailleurs, cette année on a une grande soirée Acadie/Québec avec Dominique DUPUIS et LE VENT DU NORD. On reçoit nos cousins d’Amérique.
Il existe aussi un festival Off qui ces dernières années avait plutôt tendance à se détacher de la musique celtique. Comptez-vous nouer un dialogue avec les responsables du Off ?
J.-P. M. : On a déjà un dialogue d’un point de vue organisationnel. On est sur la même ville ! Le Off existe parce que le In est là. Il y a un travail qui est fait avec la ville de Lorient et la sous-préfecture. Je ne sais pas si j’aurais le temps, j’en aurai en tout cas des échos, mais j’attends de voir ce que le Off va programmer. J’espère quand même qu’il y aura toujours un lien avec la thématique. On n’a pas d’ingérence à avoir. C’est le Off, ça porte bien sa définition.
Je sais qu’il y a eu des dialogues par le passé. S’il y a des moyens d’inciter à ce que le Off soit plus en lien avec la thématique du Festival, bien entendu qu’il faut le faire. La porte reste en tout cas ouverte pour pouvoir en discuter.
L’édition 2023 est-elle déjà pensée ?
J.-P. M. : La réponse est « oui » (rires) ! Évidemment pas dans son ensemble ! Au niveau de la programmation, on a déjà commencé à travailler, on a déjà des pistes sur certaines choses. Il faut bien compter en général une année et demie pour pouvoir faire une programmation léchée.
L’édition de cette année va permettre de pouvoir affiner certaines choses, peut-être abandonner d’autres, avoir de nouvelles idées. On travaille toute une année pour un festival éphémère même s’il dure dix jours. On travaille sur plans, sur papiers, on essaie d’imaginer.
L’imprégnation que l’on prendra cette année permettra de se nourrir pour pouvoir travailler sur l’édition 2023. J’espère bien que l’on pourra annoncer les premiers noms dès décembre prochain et peut-être quelques nouveautés.
Vous procéderez donc de la même manière que cette année en annonçant la programmation en trois étapes ?
J.-P. M. : C’était une nouveauté, on n’a pas attendu avril. Dès décembre, on annoncera effectivement les premiers noms pour finir sur la programmation totale fin mars-début avril, sans doute en deux ou trois étapes.
Je tire mon chapeau à mon prédécesseur qui pouvait annoncer en une fois une programmation aussi riche, mais je sais la difficulté que vous aviez au niveau des médias pour pouvoir résumer des centaines de noms et expliquer au grand public ce qu’il en était. Le fait de l’avoir annoncé cette année en trois fois a permis de disséquer un peu plus la programmation.
J’en étais plutôt content parce que ça permet de rentrer plus dans le détail d’une programmation qui est riche, plurielle, et j’aimerais que chaque proposition trouve son public et que les gens soient curieux pour aller gratter un peu et voir ce qui peut leur plaire et là où ils peuvent, j’espère, passer un très bon moment.
Votre prédécesseur y tenait : une Maison du Festival verra-t-elle enfin le jour à Lorient ?
J.-P. M. : Grande question ! Je ne sais pas si on peut parler d’arlésienne, mais c’est une question qui est récurrente depuis longtemps. Je dirais : « Oui, pourquoi pas ! ». Après, on peut toujours se dire « pour faire quoi ? ». Quelle peut être la finalité ? Une visibilité à l’année très certainement.
Je pense aussi que ça va être à travers d’autres micro-évènements qu’on va pouvoir faire à l’année sur Lorient et également au niveau national. On refait par exemple un spectacle à l’Olympia en juin 2023. C’est l’occasion d’avoir une soirée du Festival Interceltique de Lorient à Paris. On ne va pas refaire des Stades de France pour autant, mais c’est aussi avoir des moments qui ponctuent l’année pour pouvoir parler de l’évènement du mois d’août.
En tout cas, à suivre !
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Notes :
(1) L’entretien a été réalisé avant que ne soit annoncé le pays à l’honneur en 2023.
(2) La langue bretonne possède ses propres dialectes, le vannetais ainsi que le cornouaillais, le léonard et le trégorrois. Ces trois derniers sont réunis au sein d’un même groupe appelé KLT.
Entretien réalisé le 27 juillet 2022 par Didier Le Goff dans les studios de RCF Sud Bretagne à Lorient en collaboration avec Claude, journaliste et technicienne. Un grand merci à elle.
Lire la première partie de l’article en cliquant sur le lien suivant : https://www.rythmes-croises.org/festival-interceltique-de-lorient-2022-annee-des-asturies-premiere-partie/
Un grand merci à Victoria de l’agence de communication HEYMAN ASSOCIES.
Site du Festival : https://www.festival-interceltique.bzh