HEDNINGARNA – Kaksi !

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HEDNINGARNA – Kaksi !
(Silence / Northside)

Fondé en 1987, HEDNINGARNA s’était affirmé, avec son premier album paru deux ans après, comme un jeune et prometteur espoir pour la musique folk suédoise, en réhabilitant notamment d’antiques instruments qui n’étaient plus utilisés dans le mouvement folk moderne et en en inventant même de nouveaux. Ressuscitant des sons grinçants et grisants évoquant une ancienne culture nordique auréolée de rustiques mystères, le trio composé d’Anders STAKE, Hallbus Totte MATTSSON et Björn TOLLIN a engendré une musique que certains ont perçu comme « païenne ». Le nom du groupe était donc tout trouvé : « Les Païens » (traduction de Hedningarna) sont entrés en scène… d’abord locale.

L’accroissement du groupe – avec le recrutement, en 1989, de deux chanteuses finlandaises – et la signature avec un nouveau label (Silence) ont eu tôt fait de faire basculer HEDNINGARNA dans une catégorie plus large bien qu’aux contours aussi flous que peu définis, celle d’une world music scandinave tribale sans réel équivalent mais dont le groupe est devenu une figure de proue. Et c’est avec l’album Kaksi ! (« Deux » en finnois) que la réputation de HEDNINGARNA a vraiment décollé. Soudain, on découvrait une forme sinon inédite, au moins peu commune, de musique de transe acoustique liée à une forme de danse ensorceleuse, la « polska ».

La panoplie d’Anders STAKE, qui comprend un violon « hardanger », une cornemuse suédoise (säckpipa), un « e-violin », une « harpe courbée » (Strackharpa), une vièle à archet (moraharpa, ancêtre du nyckelharpa), une guimbarde, et plusieurs flûtes, combinée aux luths, violon et vièle à roue de Hallbus Totte MATTSON et à l’attirail percussif de Björn TOLLIN a évidement de quoi sidérer et séduire tout à la fois les oreilles en quête de résonances tellement archaïques qu’elles en deviennent d’une modernité subversive.

Là où d’autres groupes se contentent de troquer la lutherie antique contre une lutherie toute électrique et de pousser le volume sans lui donner plus de consistance ni de profondeur, HEDNINGARNA préfère convoquer les saveurs hypnotiques d’instruments à cordes et à bourdons et les amplifie, leur donne des contours plus saillants, des reliefs plus sauvages, de même qu’il fait subir aux tambours et aux diverses percussions à peaux et à cordes des traitements sonores tout en usant de pads et de samples live. Bien lui en pris, car il a engendré un son éminemment original que Kaksi ! conjugue à une belle variété de climats.

Si une partie des pièces strictement instrumentales (Chicago, Pal-Karl, Omas Ludvig, Kings Selma) s’inscrivent dans le sillage printanier, primesautier ou moelleux – mais subrepticement expérimental – de celles présentées sur le premier album, d’autres font montre d’une audacieuse modernité un rien mordante, comme le capiteux Viktorin avec son motif en boucle joué sur cordes grinçantes et bourdons boisés.

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Et surtout, il y a le vrai-faux enregistrement live de Fulvalsen, véritable manifeste métal-folk soutenu par un riff de luth amplifié qui sonne à s’y méprendre comme une guitare électrique, et sur lequel Anders STAKE se métamorphose en « Jimi HENDRIX du bagpipe » le temps d’un solo ébouriffant.

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Et bien sûr, la grande impression que provoque Kaksi ! tient à la présence électrisante des chanteuses Sanna KURKI-SUONIO et Tellu PAULASTO, dont les voix à l’unisson, amples et hautes, transforment par exemple le traditionnel Votikaalina en ressort épileptique. Jouant les prêtresses imprécatoires, elles déploient également de saisissantes stances sur le morceau d’ouverture Joupolle Joutunut, aussi martial qu’inquiétant.

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Sur Aivoton, elles adoptent en revanche un ton d’abord mielleux qui devient bientôt plus impérial et éclatant, et que la cornemuse enveloppe de ses stridences.

Dans le registre vocal, il ne faut pas non plus sous-estimer les performances d’Anders STAKE, dont le ton acéré et rocailleux contraste avec celui, plus tamisé, des chanteuses sur Kruspolska et apporte une touche ambiguë à un morceau joyeusement dansant comme Kaivonkansi.

Que les rythmes soient lents ou frénétiques, que les atmosphères soient rêveuses ou cauchemardesques, que les chants soient suaves ou survoltés, HEDNINGARNA prodigue dans chacun de ses morceaux une sensation de griserie extatique qui envoûte littéralement les corps comme les esprits.

En 1993, Kaksi ! a été érigé « album folk de l’année » en Suède, et a atteint des chiffres de vente anormalement élevés pour ce genre musical. Les polskas anamorphiques de HEDNINGARNA ont manifestement contaminé un public allant au-delà du seul cercle des amateurs de folk scandinave. Le DJ et producteur gallois SASHA a sans doute contribué à cette hémorragie en livrant plusieurs remixes de Kruspolska sur un CD single qui a envahi les dance-floors les plus avisés. Mais la grande force de HEDNINGARNA est d’avoir imposé une sorte de « techno-bio » aux racines lointaines et viscérales.

Stéphane Fougère

Site : https://www.facebook.com/hedningarnamusic/

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