KERGUELEN
Entretien avec Alex WALLON
KERGUELEN… Quel est l’homme qui se cache derrière ce nom d’îles ?
Alex WALLON : Un musicien, auteur-compositeur-interprète, orléanais d’adoption.
Un nom est toujours signifiant pour celui qui l’adopte. Que signifie-t-il pour vous ?
AW : Je cherchais un nom pour ce projet alors que je finissais d’écrire les 5 titres qui forment le premier EP, Exile. J’ai hésité un moment à le sortir sous le nom d’un autre projet, BBH, mais ça ne me semblait pas cohérent. Je voulais quelque chose qui évoque le voyage et l’inconnu mais qui fasse rêver sans être rassurant. Une île, mais pas Tahiti. Je me suis rappelé les histoires que me racontait mon grand-père à propos d’une île perdue dans le sud de l’océan Indien. Mon grand-père était dans la marine nationale et a participé à diverses campagnes là-bas, notamment pour cartographier les îles Kerguelen.
Parlez-nous de vos racines, de vos tout débuts, de vos influences fondamentales…
AW : Faut-il remonter à l’enfance ? Mes premières écoutes marquantes furent des cassettes offertes par mon père et usées méthodiquement sur un petit magnétophone noir. Il y avait BACH, MOZART, Jean-Michel JARRE, des compiles de rock et de folk US (DYLAN notamment) et irlandais. J’ai ensuite pas mal pioché dans la discothèque familiale : jazz, classique, rock, et un peu de chanson française.
La musique était partout à la maison car mon père en jouait énormément. Folk, classique et jazz principalement. Il y avait des instruments partout et jouer de la musique était pour moi un passe-temps aussi normal que jouer au Lego ou faire du vélo.
Je me souviens avoir écouté, enfant, des chansons de Joe DASSIN, un peu de BREL, mais globalement je n’ai écouté de musique francophone qu’à l’adolescence avec la découverte du Hip-hop et de la nouvelle scène française (BIOLAY, LES TÊTES RAIDES…). Je suis tombé à ce moment dans l’électro (techno et pas mal de house), le reggae, le hard-rock… une vraie explosion. Ça a aussi été l’heure des premiers groupes, des amplis bricolés. Les rencontres suivantes m’ont entrainé vers les musiques du monde, terme pratique même si je ne l’aime pas trop. Je voulais écouter des sons de tous les types. Quoiqu’on me conseille, j’aillais jeter une oreille. Aujourd’hui j’aime toujours autant la musique baroque que la techno ou le jazz, le hip-hop ou le rock, le blues malien ou n’importe quel autre style de musique finalement. Je n’ai pas de limite a priori, mais certains artistes vont me parler, me toucher plus que d’autres.
Quel a été votre parcours jusqu’au projet KERGUELEN ? En développant le projet BBH…
AW : J’ai commencé par écrire des chansons, en anglais et en français, avec une couleur assez folk. Mon premier spectacle a finalement été construit autour des textes de BAUDELAIRE avec une couleur jazzy, mais le premier album que j’ai sorti, Noctambule, est un disque de chanson française. J’ai aussi lancé BEN ON THE MOON, des chansons folk en anglais, projet qui m’a fait beaucoup jouer et travailler. C’est un peu en réaction à ces chansons que j’ai voulu retourner au français avec BBH et l’album Big Bang Humain sorti en 2015. Du folk en anglais, je suis passé à l’électro en français, le virage était radical mais passionnant. Je voulais écrire des textes plus sombres, plus directs et qui soient compréhensibles pour le public français. Je me souviens d’un concert de BEN ON THE MOON en 2011 ou 2012, il y avait un titre vraiment drôle et j’entendais une personne rire à toute les vannes du texte. C’était un anglais de passage en France qui était venu parce qu’il accompagnait une copine. Ce soir-là j’ai regretté que mes textes ne puissent pas toucher le public français. Mais chanter en français n’est pas évident. Comme beaucoup d’autres j’ai adopté une sorte de parlé-chanté qui s’est transformé en parlé tout court pour KERGUELEN.
Comment en êtes-vous venu à ce nouveau projet au nom d’îles lointaines ?
AW : Par hasard. Comme beaucoup, j’ai été marqué par les histoires tragiques des migrants en Méditerranée et, l’été suivant, j’ai commencé à ressortir toutes ces émotions dans mon carnet de notes. En quinze jours tout était écrit et, la technologie portable aidant, la production était commencé avec les boucles principales de chaque titre sur mon iPad.
Il y a donc eu ce premier EP, Exile. Parlez-nous du déroulement de cette première réalisation, des cinq chansons que contient ce premier EP.
AW : Tout a donc été très vite. Moins de 2 mois après avoir écrit les premiers mots, l’EP était bouclé. J’ai travaillé toute la composition sur iPad et j’ai ensuite finalisé sur mon ordi en reprenant les samples, le mix et bien sûr les voix. Seul le premier morceau a une composition radicalement différente car il n’évoque pas les migrations d’aujourd’hui mais celle des français en mai-juin 1940. L’exode devant les chars allemands.
Et il y a donc à présent ce nouvel EP, Comme le froid. Juste une continuation ou déjà une évolution au travers de ces cinq nouvelles chansons ? Expliquez-les nous.
AW : Au départ, je le pensais comme une simple suite, mais j’ai réalisé en le construisant que c’était plus que ça. Le son s’est épuré car j’ai essayé de mettre le froid en musique. Le froid est silencieux, très sourd, il a donc fallu travailler dans ce sens. D’ailleurs, un chroniqueur m’a répondu qu’il trouvait l’album très bien écrit et produit mais trop froid pour lui. Une grande réussite en ce qui me concerne.
J’ai aussi travaillé avec un objectif de scène, ce qui n’était pas le cas d’Exile. Quand j’ai dû jouer le premier EP sur scène, pour le concours de la médaille d’or de la chanson à Saignelégier (Suisse), j’ai dû faire un gros boulot d’adaptation et de programmation pour pouvoir exécuter les morceaux. Suite au concours, j’ai gagné le droit de revenir jouer au SAS Delémont et chez Urgences Disk à Genève. Comme je n’avais alors que les 5 titres du premier EP, j’ai fait en sorte d’écrire Comme le froid pour le live. C’était vraiment super et je retournerai probablement jouer en Suisse avant l’été.
Avec Comme le froid, la thématique de KERGUELEN s’ouvre plus largement aux hommes qui osent partir vers l’inconnu. Aventuriers, chercheurs d’or, ces gens qui plaquent tout pour risquer leur vie dans des territoires franchement hostiles.
Le voyage, voulu, subi, rêvé, est le socle commun de toutes ces chansons. Parlez-nous de ce thème, si fondamental dans vos EPs.
AW : Je suis virtuellement un grand voyageur. Si j’ai eu la chance de faire quelques très beaux voyages, j’ai aussi une forte tendance à les rêver. Aussi ceux qui les font me font-ils particulièrement fantasmer. Un homme comme Jack LONDON par exemple me fascine. Plus largement, nous vivons dans un monde tellement connecté, relié par les moyens de communication et de transport, que les frontières semblent disparaître. Ce qui amène certains à vouloir les marquer d’autant plus. Les habitants des pays riches voyagent de plus en plus et cela cause même de nombreux problèmes, ceux des pays pauvres partent dans l’espoir de trouver mieux ailleurs quand certains n’ont d’autres choix que de quitter un lieu devenu invivable soit pour des raisons politiques soit, et ça va être de plus en plus le cas, pour des raisons climatiques. Quant à moi, je rêve. Tout est là.
Parlez-nous de l’avenir de KERGUELEN. Déjà un troisième EP en gestation ?
AW : Oui ! Les 5 titres avancent bien. Ce sera le dernier de la série, les trois formant un tout. Je préfère ne pas en dire trop pour l’instant, mais il sera nettement plus chaleureux que Comme le froid, peut-être même trop chaleureux. L’objectif est de le sortir le 2 décembre 2019 en digital, date anniversaire commune au deux premiers EP.
Au final, quel regard portez-vous sur ce projet KERGUELEN ?
AW : C’est assez étrange car depuis le début, je le considère comme un projet parallèle, une sorte de parenthèse, mais finalement, ça fait maintenant un an et demi que tous mes autres projets sont au ralenti à cause de lui. J’ai trouvé un bon premier écho en Suisse, mais j’ai pour l’instant du mal à trouver la même chose en France. C’est aussi un peu de ma faute car je n’ai pas encore pu prendre le temps de sortir la tête de l’eau pour vraiment démarcher. Tout c’est enchaîné tellement vite depuis la sortie d’Exile !
Créatif insatiable, vous menez d’autres projets musicaux en parallèle à celui de KERGUELEN. Parlez-nous en.
AW : Aujourd’hui, il y a BBH, c’est lui qui m’occupe le plus après KERGUELEN. J’ai tourné en acoustique avec de nouvelles chansons pendant 2 ans. L’occasion de les tester, de les retravailler avant de finaliser l’enregistrement. Le nouvel album devrait être prêt d’ici avril prochain pour une sortie avant l’été si tout va bien. Un nouvel album de BEN ON THE MOON est aussi dans les tuyaux. Même si ce projet est resté un peu en retrait depuis quelques années, il ne s’est jamais arrêté et c’est maintenant un duo avec le multi-instrumentiste Matthieu DELAGE. On a un peu de mal à coordonner nos agendas, mais on va y arriver. Il y a aussi toute la partie électro : KAAX, DPT STORE, NOISE IS A COLOR, des projets sur lesquels j’expérimente beaucoup. Contrairement aux autres dont la finalité est clairement d’être présentés au public notamment en live, là je ne fais que ce que je veux sans aucune contrainte. L’album de NOISE IS A COLOR a été construit intégralement à partir de sons enregistrés dans l’usine de verre Duralex par exemple. La production de Dpt Store (le premier EP est sorti en décembre 2018 et le second sortira en juin) est intégralement faite sur iPad, tandis que KAAX n’est travaillé qu’avec des synthés analogiques (enfin, ce n’était pas le cas sur les premiers disques qui mélanges synthés analogiques et instruments virtuels). Et un nouvel album de KAAX est aussi en cours de production pour une sortie à l’automne 2019. Tous ces projets sont essentiels car ils me permettent de trouver un équilibre et de ne jamais tourner en rond. Quand je prends une guitare folk pour composer une ballade, je retrouve le plaisir de mes débuts car je sors du mixage d’un album purement électro. Sur l’écriture des textes aussi : entre le français et l’anglais je n’aborde pas les mêmes thèmes ou pas de la même façon.
Enfin, vous avez créé la Division Records de Pink House Workshop. Parlez-nous de PHW et de PHW Records. A quel type de musique et de musiciens destinez-vous votre label ?
AW : Pink House Workshop a été créée avec Caroline LOWENBACH. Nous l’avons fait au départ pour pouvoir facturer notre travail de création quand c’est nécessaire. En ce qui me concerne pour des commandes en édition musicale, création musicale pour du spectacle ou du graphisme, et Caroline est décoratrice de théâtre, illustratrice et graphiste. Il nous arrive de travailler ensemble (comme par exemple sur la pièce de théâtre Libres ou presque de Jean FRANCO et Guillaume MÉLANIE dont Caroline a fait le décor et moi les bruitages). Comme je voulais structurer ma production de disques, j’ai créer une partie spécifique, PHW Records. Outre la structure, ça me permet aussi d’équilibrer les comptes du label car ce n’est pas évident aujourd’hui de s’en sortir avec les ventes de disques. Et depuis 1 an, la musique électronique sort à part sur le label No Wave No Remedy (aussi intégré à PHW) qui ne publie que sur Bandcamp. PHW Records garde une couleur plus généraliste. Étant donné le nombre de projet en cours et d’enregistrements à sortir, il n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour d’ouvrir le label à d’autres artistes !
Entretien réalisé par : Frédéric Gerchambeau
Photo : DR O. Hongsoak
Lire la chronique des deux EPs, Exile + Comme le froid.