Keyvan CHEMIRANI – Avaz

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Keyvan CHEMIRANI – Avaz
(Innacor / L’Autre Distribution)

KeyvanChemirani-Avaz

Si l’expression des sentiments sont différemment codifiés d’une culture à l’autre, les affaires de cœur se ressemblent étrangement d’un territoire à l’autre. Les blessures sentimentales, la perte d’un être cher, les liens fraternels, la trahison, l’emportement des sens, toutes ces spirales liant l’amour à la mort sont autant de sujets vécus et partagés sur toute la surface du globe. Les différences résident seulement dans la façon de les raconter, sur le mode de la réflexion méditative comme sur le mode de l’élan lyrique ou épique. Mais ces modes d’expression peuvent eux aussi être développés conjointement au sein d’une même tradition, et conjugués dans le même sens au sein de traditions a priori aux antipodes, et sans que l’écart des siècles ne fasse bien entendu obstacle.

Dans ces conditions, qu’est-ce qui empêche d’imaginer que les mystiques persans les plus illustres, tels HÂFEZ, RUMÎ ou Omar KHAYYAM, puissent être considérés comme de remarquables auteurs de gwerzioù ? Et à quoi bon s’interdire de chanter ces complaintes armoricaines au son de la flûte orientale bansuri, du zarb du daf ou du luth târ persans ? C’est ce que ne s’est pas gêné de faire le percussionniste et maître ès rythmes orientaux et méditerranéens Keyvan CHEMIRANI, dont on connaît le goût pour les créations ouvertes aux rythmes, mélodies et harmonies des mondes musicaux usant de la modalité (Le Rythme de la parole, Battements au cœur de l’Orient…).

Avec Avaz, le frère aîné du TRIO CHEMIRANI propose donc de relier les poésies narratives et sonores de l’Iran et de la Bretagne. Il s’est entouré de deux voix féminines, chacune incarnant une tradition différente, Maryam CHEMIRANI pour le monde persan, et Annie EBREL pour la côte bretonne. Chacune chante évidemment dans sa langue vernaculaire, mais n’hésite pas à rencontrer l’autre et à croiser leurs histoires et leurs lignes vocales au sein d’une même pièce, comme on s’en rendra compte dans Me am eus ur feunteun / Emad, Ayrilik Hasretlik ou encore An teir rozenn – Rumî’s Vision, à charge pour les arrangements musicaux de brouiller les pistes culturelles.

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Les gwerzioù d’Annie EBREL bénéficient ainsi d’une enveloppe musicale qui étonnera (voire fera sursauter) plus d’un « Bretonnant », privilégiant les parfums orientaux prodigués par les percussions et le santour de Keyvan CHEMIRANI, ou encore le târ de Hamid KHABBAZI.

Comment donc, il n’y a pas un musicien breton dans la salle pour soutenir la pauvre Annie dans ces errances en terre lointaine ? Si, il y a Sylvain BAROU, mais qui passe son temps à bluffer son monde ! Ses flûtes (traversière en bois ou bansuri en bambou, sans parler du balaban – ou doudouk – arménien) jouent volontiers la carte de l’extension géographique vers le Grand Est, faisant ainsi cause commune avec ses collègues. De fait, les compositions instrumentales de l’album (Faotiti, Chaharmezrab Nava) font résolument la part belle au langage modal imprégné de couleurs persanes, incrustant les mélodies d’ornementations raffinées et de rythmiques chaleureuses, le tout étant porté à incandescence par la virtuosité bienveillante de chaque musicien.

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La musicalité du chant breton d’Annie EBREL ne le cède en rien aux tentations orientales, pas plus que les sinuosités vocales de Maryam CHEMIRANI, qui alternent contrition et véhémence, n’ont l’intention de « s’occidentaliser » pour amadouer la galerie. Chaque voix reste solidement enracinée dans son terreau, tandis que les musiciens s’amusent ouvertement à les faire gambader dans un espace orientalisant sans carton-pâte.

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Pour les amateurs de musique bretonne courante, le décalage horaire risque de prime abord de causer quelque dégât. On leur conseillera alors de lâcher prise et de se laisser porter par ces hallucinations musicales de haut vol alimentées par un ferment spirituel jamais pris en défaut. Quant aux connaisseurs de musique persane, on veut bien croire qu’ils ne s’offusqueront nullement de l’intrusion de cette rurale voix bretonne venue chanter des histoires dramatiques ou enjouées qui ne leur seront finalement pas si étrangères… Et pour ceux qui ont pris l’habitude de traîner leurs oreilles entre Orient et Occident, l’enchantement se fera instantanément à l’écoute d’Avaz.

Stéphane Fougère

Label : www.innacor.com

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