KING CRIMSON – The Power to Believe

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KING CRIMSON – The Power to Believe
(Sanctuary Records)

Il devait s’appeler « Nuovo Metal », puis on nous a annoncé « EleKtriK », et c’est en fin de compte sous le titre The Power to Believe que sort le nouvel album studio du KING CRIMSON des années 2000. On ne sait pas si on y gagne au change (c’est plutôt le genre de titre qui sied à un album de soundscapes frippiens), mais cette valse des titres reflète bien l’aspect interchangeable des ingrédients structurels, mélodiques et rythmiques qui caractérisent la matière musicale de cette incarnation crimsonienne. Du reste, certaines compositions présentées ici étaient déjà connues auparavant des aficionados sous des titres différents.

Il n’y a donc paradoxalement rien de bien nouveau dans ce nouvel album, les trois quarts des morceaux ayant déjà été publiés, dans des versions vaguement différentes, dans l’honnête EP live Level 5 et dans le plus récent EP Happy With What You Have to Be Happy With, ramassis inconsistant de bouts d’essai et de versions éditées, acoustiques ou live qui faisait craindre le pire quant au futur album. Sans grande surprise donc, The Power to Believe s’affiche comme la synthèse des tendances exposées dans ces deux EP. On ne garantit pas toutefois que les versions des morceaux soient définitives ; elles auront encore le temps d’évoluer sur scène, et le prochain album live de KING CRIMSON (à parâitre d’ici 6 à 9 mois ?) se fera un plaisir de nous le confirmer…

La première moitié du disque est constituée de pièces représentatives jusqu’au stéréotype de ce nuovo metal revendiqué par KING CRIMSON. Elles s’inscrivent dans la stricte lignée de celles de l’album précédent, The ConstruKction of Light, et ont été conçues comme des pots-au-feu détonants dans lesquels on aurait mis des bouts de Lark’s Tongues in Aspic IV, de The ConstruKction of Light, de THRAK ou de FraKctured. D’un morceau à l’autre, il n’y a guère que le dosage des ingrédients qui change.

Level 5 présente la même martialité rythmique, la même tendance au « tout-heavy-noisy » avec surenchère de solis guitaristiques que Lark’s IV, mais il est plus concis et, partant, plus efficace. EleKtriK est le descendant de The ConstruKction of Light, certes digne mais redondant. Coincée entre ces deux blocs d’acide, l’indigente ballade Eyes Wide Open semble être décalquée sur Two Hands (album Beat), qui n’était déjà pas très crimsonienne.

Jouée en 2001 sous une forme instrumentale répondant au titre de Response to Stimuli, la chanson Facts of Life ne fait pas partie des meilleurs moments d’inspiration de KING CRIMSON, en dépit d’un solo de guitare de la mort qui tue : ça fait du bruit, pas forcément des étincelles. À ce stade, The Power to Believe aurait pu s’intituler «The Re-Cons-truKction of Light» ; ses compositions sont plus abouties que celles de son prédécesseur, mais la soupe est la même, à la seule différence que Pat MASTELOTTO, suite aux critiques concernant le « tout-électronique » de son « drumkit », s’est remis à la batterie acoustique.

Puis la seconde moitié de l’album (après Facts of Life) semble tirer davantage parti de la démarche et des acquis des ProjeKcts, avec ces pièces aux climats éthérés ou troublants dans lesquelles malaise et sérénité jouent à cache-cache en portant le masque de l’autre. La part belle est faite aux solis lancinants, aux suaves soundscapes de FRIPP, aux aliens sonores, aux haïkus récités par des voix vocodées, aux rythmiques sourdes, et même aux dialogues de percussions d’influence balinaise, autant d’éléments qui rendent le nuovo metal crimsonien moins unidimensionnel et plus aventureux.

Les parties II et III de The Power to Believe sont des déclinaisons respectives de Virtuous Circle et de The Deception of the Thrush, deux pièces maîtresses des concerts de 2001, et Dangerous Curves, sorte de cousin urbain et industriel de The Talking Drum, grise facilement les esprits avec son thème minimaliste et répétitif qui fait monter une indicible tension. Au milieu de tout cela se fait entendre un sympathique trublion typiquement belew-esque, Happy With What You Have to Be Happy With (conçu à partir du thème Heavy ConstruKction), qui est encore, de par l’humour dont son texte fait preuve, la plus réussie des chansons de cet album. On pourrait traduire ce titre par « Soyez heureux avec ce qui est censé vous rendre heureux ». Autrement dit, et avec toute la perversité que l’on imagine, « contentez-vous de ce que vous avez-là » ! Encore faut-il avoir la « force d’y croire »…

On aura donc compris que cet album est, dans l’absolu, assez convenable et crédibilise la démarche du CRIMSO actuel plus sûrement que le précédent CD studio. Il semble cependant que ce soit sa seule ambition. Sur le fond et au regard de l’histoire du groupe, The Power to Believe ne se porte pas nécessairement garant d’un nouveau départ et n’offre pas de perspectives réellement neuves, tout au plus des velléités un rien trop figées. Personnellement, je ne serais pas surpris que cet album soit le chant du cygne de cette incarnation crimsonienne. Il est temps pour ses musiciens de passer au chapitre suivant.

Stéphane Fougère

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J’irais droit au but : le dernier KING CRIMSON est un bon album. De là à en faire une pièce maîtresse de leur catalogue, il y a un pas que je ne franchirais pas. Mais plutôt que de perdre mon temps, et le vôtre, à décortiquer un album dont tout a déjà été dit, il me semble plus intéressant de s’attarder sur la symbolique que représente(rait) ce Power to Believe.

Une telle démarche nous écarte bien sûr du plaisir simple de l’écoute d’un album. Une démarche par trop intellectualisée qui est le fondement même des critiques à l’égard du progressif. Je le concède. Et je plonge dans cet écueil volontiers, car il me semble nécessaire. En effet, cette fois, il me paraît impératif d’y consentir ; beaucoup d’éléments – peut-être anecdotiques aux yeux du profane – pourraient faire songer à la mise en place d’une effrayante symétrie dont FRIPP, disciple de GURDJIEFF, s’avère être friand et qui ne saurait résulter d’une simple coïncidence. Car j’ai une théorie (aïe !)…

Vous n’êtes pas sans le savoir, le respect que suscite KING CRIMSON repose sur sa faculté à renaître à chaque fois pour nous livrer une salve de disques au concept commun, tout en s’écartant du modèle précédent, guidé sans cesse par cette volonté d’aller un pas plus loin. THRAK et, à sa suite, The ConstruKction of Light, semblaient faillir à cette logique implacable. Le dernier album permet de corriger le tir. Grâce à celui-ci, il devient évident à présent que nous sommes donc face à une suite de trois disques dont le dénominateur commun est le résumé de la carrière du groupe, mais à rebours ! Je m’explique : prenez THRAK. Il intègre la formation qui nous a livré Discipline et s’évertue, comme elle, à travailler sur les polyrythmies en introduisant de plus la notion du double trio. Ce disque en serait l’image miroir.

The ConstruKction of Light, en dépit de ses grosses lacunes, ferait de même avec la période bénie de Larks’ Tongues in Aspic (j’en veux pour preuve la présence d’une quatrième et ultime suite à ce titre, ainsi qu’un FraKctured en réponse à l’indétrônable Fracture). Autre image miroir. Vous voyez où je veux en venir ?

The Power to Believe serait donc, dans le cadre de cette trilogie, le reflet de la toute première période du groupe, sans pour autant perdre ses attributs qui restent en définitive la répétition, l’innovation et la puissance. Qu’est ce qui me fait dire cela ? A l’instar de In The Wake Of Poseidon, The Power to Believe s’ouvre et se referme sur de courtes pièces vocales dont le pendant instrumental vient se loger en plein milieu de l’album (souvenez vous de Peace : A Theme). La boucle est bouclée et KING CRIMSON mettrait ainsi un point final à son développement. Là où Larks Tongues in Aspic dût attendre deux décennies pour voir enfin graver sur disque sa quatrième partie, The Power to Believe nous livre ses quatre segments, dans l’empressement, sur le même album. Même Dangerous Curves nous rappelle au bon souvenir de The Devil’s Triangle…

Trois périodes gouvernées par une soif de recherche, et une quatrième, celle que nous vivons actuellement, qui n’aura servi qu’à regarder dans le rétroviseur par le biais des technologies nouvelles. Autrefois, à chaque sortie d’un de leurs albums, KING CRIMSON écrivait une page de l’histoire de la musique rock. Aujourd’hui, quand ils sortent un disque, c’est une page de KING CRIMSON qui s’écrit. Et celle-ci se tourne. Définitivement. Point final.

Domenico Solazzo

(Chroniques originales publiées
dans TRAVERSES n°13 – juin 2003)

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