MKF [trio] – Hürven
(Mustradem / L’Autre Distribution)
MKF, kezaco ? C’est un groupe de rap qui succède à NTM ? Que nenni, c’est un trio dont l’univers musical est élaboré à partir de deux accordéons diatoniques et de machines. Ah ? Alors c’est de l’« électro-trad » ? « Mais ça aussi, c’est ringard, dépassé, déjà-entendu, inepte, décadent, degré zéro de la création, etc. », proclameront les blasés. Sauf que… on imagine mal des musiciens aussi sagaces et expérimentés que Norbert PIGNOL (DÉDALE, OBSESSION…) et Stéphane MILLERET (OBSESSION, DJAL…) se contenter d’assurer un programme aussi minimal et, pour tout dire, paresseux. Et puis, les expériences mêlant lutherie traditionnelle et acoustique et machinerie électronique ont mûri et ont su s’émanciper des facilités attendues, comme en ont déjà témoigné les projets Cardelectro de RED CARDELL et les Meddled Times de M.A.M.
C’est la rencontre des deux accordéonistes diatoniques avec Daniel BARTOLETTI, guitariste et manipulateur de machines à l’œuvre dans le groupe ORTIE, qui a généré en 2010 la création de MKF, comprenez, en bon français, la Musical Kinetic Factory. Près de trois ans ont été nécessaires au trio pour accoucher de son premier album, et le résultat n’est, on s’en doute, pas de nature à complaire à toutes les oreilles, surtout les frileuses.
Énigmatique de par son titre, Hürven l’est tout autant par son contenu. Et dès le morceau éponyme qui ouvre le disque, on comprend qu’on a affaire à quelque chose de bien plus ambitieux et inédit qu’une simple plaquage de beats électro sur des mélodies folk. On se croit d’abord en plein trip indus-ambiant puis, à la faveur d’un bourdon de plus en plus insistant, les accordéons imposent leur son naturel, leurs mélodies d’un autre âge, et sont bientôt enrobés par une guitare abrasive qui les emmènent dans un « rock-road-movie ».
Quant à la dernière pièce, Rhesus, elle alterne passages complètement speedés et moments de suspension guère moins dramatiques, prenant l’allure d’une bande originale de course-poursuite cinématographique.
Entre les deux, on aura rencontré Nobody dans une allée aux couleurs western, un Hermès Baby aux allures de bad boy, et on sera passé par une Chambre bleue techno-trad’, un Merapi aux chants incantatoires, un Latnok percussif-bruitiste, un v8 qui atterrit aux confins du free-jazz, et d’autres détours encore…
Chaque composition dévoile des horizons variés en mutation perpétuelle, et certaines pièces bénéficient de l’apport de musiciens invités, notamment le groupe post-rock ORTIE, mais aussi un violoniste, un violoncelliste et un trompettiste qui viennent nourrir les pièces du MKF [trio] de discours solistes enflammés, les étirant aux confins du jazz et du rock avant-gardistes.
Hürven nous introduit dans une dimension empreinte de mystère, déroulant autour des accordéons tout un assortiment de bruits mécaniques, industriels, de voix échantillonnées, de chants caverneux, de scratchs crispants, de notes flottantes, de bourdons magnétiques, de percussions métalliques, de riffs de braise qui soutiennent, portent et transportent des mélodies « nues » jouées par des accordéons entrelacés.
C’est cette intrigante intrication de sons trafiqués et de sons organiques qui captive chez MKF [trio]. Les racines traditionnelles du jeu d’accordéon diatonique sont préservées et concomitamment projetées dans un environnement qui n’a plus rien de traditionnel, ni de folk. Enracinement et décontextualisation sont les deux pôles entre lesquels le MKF [trio] se fraye un sentier improbable, faisant montre d’une écriture inspirée qui fait prendre à ses compositions des détours inattendus, les transformant en fresques généreuses en rebondissements.
C’est du reste cette faculté à engendrer des émotions et des visions fortes qui rend le MKF [trio] fascinant. On passe au sein d’une même pièce par des climats et des ambiances différents qui raviront et déconcerteront tout à la fois les danseurs, qu’il soient orientés bals ou dance-floor. S’inspirant de structures de composition développées dans le post-rock, le rock progressif ou l’électronica expérimentale, flirtant ouvertement avec la grammaire de l’avant-garde, le MKF [trio] sculpte un son qui titille les pieds autant qu’il bouscule les ciboulots, offrant à l’auditeur attentif la promesse d’autres possibles musicaux à partir d’une matière folk et d’outils « modernes ».
De fait, tout en se situant à la pointe de l’évolution des musiques traditionnelles, la proposition musicale du MKF [trio] a suffisamment d’atouts pour attirer d’autres publics amateurs de grammaires plus actuelles, mais non fermés aux sons d’instruments plus « datés », qu’ils redécouvriront sous un angle sûrement inédit. Car MKF [trio] fait certes dans le dépoussiérage, mais assurément pas dans le lissage.
Avis aux amateurs d’excursions sonores sur terrains non balisés !
Stéphane Fougère
Site : http://www.mustradem.com/label/albums/mkf-trio-hurven