Nik BÄRTSCH’s RONIN – SPIN
(Ronin Rhythm Productions / Neonstars Publishing)
Une publication du NIK BÄRTSCH RONIN CLUB est toujours un événement ! Encore peu connu hors de son terroir de prédilection, la Suisse, et notamment Zurich, où Nik BÄRTSCH et son groupe donnent un concert chaque lundi soir au sein du club Exil qu’il a créé il y a plus de vingt ans, Nik BÄRTSCH et ses formations commencent à s’exporter hors des frontières helvètes ! Tournées nord-américaine l’an dernier, européenne l’année précédente, concerts en Italie cette année, le groupe NIK BÄRTSCH’S RONIN vient d’enregistrer son tout dernier album, SPIN. Et c’est en même temps le tout premier du groupe dans sa formation actuelle puisque le bassiste Jeremias KELLER a pris le relais de Thomy JORDI au sein du quatuor zen-funk RONIN fondé en 2001 par Nik BÄRTSCH.
Ce nouvel opus poursuit la quête esthétique du groupe avec Kaspar RAST (batterie), SHA (clarinette basse/contrebasse à vent), Jeremias KELLER (basse) et Nik BÄRTSCH au piano. Nous avions pu, lors d’articles précédents, évoquer la démarche novatrice de Nik BÄRTSCH et de ses formations à géométrie variable (https://rythmes-croises.org/nik-bartsch-ronin/) et leurs fondements esthétiques tels que Nik BÄRTSCH les expose dans son ouvrage LISTENING, Music, Movement, Mind (https://rythmes-croises.org/listening-music-movement-mind-nik-bartsch/ )
Si le style du groupe ne se dépare pas dans SPIN de ce qui fait son originalité esthétique, minimaliste parfois mais intense, superposant métriques impaires décalées qui génèrent une dynamique tendant à la transe, accords en miroir, travail précis sur les timbres et les associations de couleurs, SPIN s’illustre cependant par la forte impression d’osmose qui s’affirme encore plus nettement dans cet album et ce dès le premier morceau, Modul 66.
Puisque Nik nous a amicalement proposé de réviser les notes de son livret, avant d’écouter cette pièce, voyons tout d’abord ce que nous dit justement ce livret sur cette pièce :
Modul 66 a été écrit par Nik Bärtsch spécialement pour le son de basse de Jeremias Keller et sa façon de jouer. Avec lui RONIN montre un nouvel aspect de sa sonorité de groupe, comparable au travail que Sha et Kaspar Rast ont exploré dans le groupe « Sha’s Feckel »: une attaque complète indie avec des ingrédients funk et pop-rock et des métriques inhabituelles. La structure astucieuse et le son du piano donnent à cette combinaison la couleur rituelle spécifique de l’ensemble RONIN, fraîche et authentique. Les développements harmoniques sont basés sur les concepts de Nik d’ « harmonies structurelles » et d’accords en miroir qu’il a récemment expliqués dans son livre « LISTENING – musique, mouvement, esprit » (Lars Müller Publishers 2021). Le modèle de départ en 11/4 se développant vers un 4 fois 5 temps au piano contre un 11+9 dans le battement de percussions montre également une nouvelle façon de travailler avec les développements de battements et les changements de modèle. Cela semble simple et complexe à la fois, une sorte de « simplex ». Le modèle a déjà été exploré et développé dans la longue pièce du quatuor à percussions de Nik « Seven Eleven » pour le « Mannheimer Schlagwerk » sur le disque « The Numbers are Dancing – New Works for Mallet Quartet », Solaire Records 2022.
Cliquez ci-dessous pour écouter Modul 66 :
https://nikbaertsch.bandcamp.com/track/modul-66
La musique de Nik BÄRTSCH se décline en plusieurs formations régulières : les compositions pour piano seul où NIK BÄRTSCH se produit sous son nom, le quartet « zen-funk » NIK BARTSCH RONIN et la formation NIK BÄRTSCH MOBILE, qui est un trio (Nik au piano, Sha aux cuivres, Nicolas STOCKER aux percussions) – trio auquel vient s’adjoindre parfois un quintette à cordes composé de Étienne ABELIN et Ola SENDECKA (violon), David SCHNEE (alto), Ambrosius HUBER et Solme HONG (violoncelles). Outre le concepteur d’éclairage Daniel EATON, MOBILE – qui devient alors NIK BARTSCH MOBILE EXTENDED – a collaboré avec différents partenaires et artistes invités comme les architectes de oos, le maître allemand de Iaido Martin KRAHL (maître de l’art du sabre traditionnel japonais) ou le danseur butoh Imre THORMANN, ou encore le violoncelliste solo Walter GRIMMER et Ania LOSINGER, joueuse de Xala.
Le Xala est un instrument créé par la Bernoise Ania LOSINGER en 1998 dont vous pouvez ci-dessous aisément imaginer avec quelle congruence son inspiration et ses créations peuvent s’associer aux recherches musicales de Nik BÄRTSCH !
Ania LOSINGER a créé le Xala en coopération avec l’inventeur et concepteur d’instruments Hamper von NIEDERHÄUSERN. Composé de 24 barres en bois et en métal, d’une superficie totale de 4,5 mètres carrés et d’un poids de 400 kilogrammes, cet instrument acoustique est joué à l’aide de chaussures de flamenco et de bâtons de 1,82 mètres de haut. Le Xala est aujourd’hui décliné en trois versions différentes.
Si la sobriété, voire une forme d’ascèse se dégage de la musique de Nik BÄRTSCH – qui n’est jamais caractérisée par des chorus dithyrambiques sans pour autant exclure les espaces de liberté -, il n’est jamais question de ne pas être explicite pour le public et c’est précisément l’objet des notes de jaquette destinées par Nik à éclairer l’architecture de sa musique. Cependant, ces notes ne se substituent pas au ressenti spécifique de chaque auditeur, fut-il ou elle sollicitée sur des plans purement esthétiques ou émotionnels : c’est aussi afin de ne pas induire ou ré-orienter la spontanéité de notre ressenti que chaque pièce porte un titre générique on ne peut plus neutre : la mention MODUL suivie d’un numéro chronologique. Cela s’accorde avec la sobriété visuelle des prestations du groupe ou du pianiste sur scène, et notamment au sein du club Exil : tout absorbe la lumière, permettant la focalisation de notre attention sur la dimension auditive des compositions.
Ici cependant, le visuel proposé pour SPIN évoque à la fois les textures mystérieuses du végétal ou d’un étrange velours invitant au toucher, comme une sorte de sollicitation cénesthésique inspirée par la musique du groupe, clin d’œil à l’interdépendance chère aux conceptions mâtinées de Zen du compositeur. La couverture de l’album montre une partie des œuvres 3/2024//7235 et 4/2024//235 (Oak) du menuisier Ernst GAMPERL, photographiées par Bernhard SPÖTTEL. Ernst GAMPERL a travaillé avec Nik BÄRTSCH dans des spectacles où ils ont créé ensemble des œuvres sur bois et de la musique. On le voit, même dans cette évocation tactile, végétale et vivante, l’architecture est présente, même en filigrane.
SPIN se décline sous quatre formats : numérique téléchargeable, CD, CD packagé en version luxueuse, et un double vinyle très élégant. Chaque format peut être précommandé chez Bandcamp pour une disponibilité et une livraison physique début décembre à l’adresse suivante :
https://nikbaertsch.bandcamp.com/album/spin
Si ce CD suscite pour vous le même enthousiasme que pour nous, nul doute que vous aurez à cœur de découvrir les autres enregistrements de NIK BÄRTSCH, NIK BÄRTSCH MOBILE et NIK BÄRTSCH RONIN : toute la discographie de Nik BÄRTSCH et de ses différentes formations sont éditées par la prestigieuse maison ECM à l’adresse ci-dessous :
https://ecmrecords.com/artists/nik-bartsch/#artist_discography
Le titre de l’album SPIN est né de la découverte par Nik du poème Child (du recueil Sachet) de la poétesse et amie australienne Jillian PATTINSON :
Child
Squatting
half-naked in a rock-pool, you push back
your too-long fringe, brow
wrinkling
over the placement of shell shards
around the anemone, as if the orbit
of each named constellation
relies on this precision.
In a world where the lift of a butterfly’s wing
blows typhoons over low-lying islands
and one man’s name
signifies the death of millions,
perhaps you are, as you seem,
at the heart of it ⎯damp pink splay
of your nubby hands the crux,
around which the tides,
tectonic plates and galaxies
spin.
Poème dont nous vous proposons la traduction suivante :
Enfant
Accroupie
à moitié nue dans un bassin rocheux, tu repousses
ta frange trop longue, les sourcils
froncés
sur l’emplacement des éclats de coquillage
autour de l’anémone, comme si l’orbite
de chaque constellation nommée
reposait sur cette précision.
Dans un monde où le battement d’aile d’un papillon
déclenche des typhons sur des îles basses
et où le nom d’un homme
signifie la mort de millions de personnes,
peut-être es-tu, comme il semble,
au cœur de tout cela ⎯l’étendue rose et humide
de tes mains noueuses, le point crucial,
autour duquel girent les marées,
les plaques tectoniques et les galaxies.
On le voit, notre homme a sur son bureau un nombre de dossiers en phase avec un esprit d’ouverture infatigable ! Ainsi, nous aurons bientôt l’occasion d’évoquer dans nos colonnes à la fois son travail en duo de piano et le travail parallèle que réalise la pianiste grecque Tania GIANOULLI.
Philippe Perrichon
Site : https://www.nikbaertsch.com/
Page : https://nikbaertsch.bandcamp.com/album/spin
PS : Quatre concerts sont d’ores et déjà programmés pour entendre Tania GIANOULLI et Nik BÄRTSCH en duo :
Le 22 novembre à Londres à l’EFG Festival Wigmore Hall
Le 23 novembre au Kalisz Jazz Piano Festival en Pologne au Centrum Kultury i Sztuki w Kaliszu
Le 18 décembre à Thessalonique en Grèce au Hallconcert Μέγαρο Μουσικής Θεσσαλονίκης
Le 15 février Salle Flagey à Bruxelles en Belgique