Nolwenn KORBELL – Skeud ho Roudoù

43 vues

Nolwenn KORBELL – Skeud ho Roudoù
(Coop Breizh)

Il est de coutume de dire, au point que c’en est devenu un truisme, qu’on reconnaît un(e) véritable artiste au fait qu’il ou elle a plusieurs cordes à son arc et ne se cantonne pas à un style ou à une formule éprouvées ad vitam eternam. En ce cas, la chanteuse et compositrice Nolwenn KORBELL nous fournit ici la preuve – s’il lui fallait encore la fournir – que son inspiration est décidément plurielle et qu’elle n’est pas de nature à ressasser les mêmes antiennes. En fait, Nolwenn KORBELL serait plutôt encline à cultiver la rupture stylistique d’un disque à l’autre. On en avait eu une brillante démonstration avec son précédent album, Noazh, qui tranchait avec ses prédécesseurs du fait de son ton résolument plus rock et blues. Et parce que Nolwenn KORBELL n’est pas du genre à garder les deux pieds dans le même sabot, cet album (son cinquième) affiche une autre volte-face stylistique presque aussi radicale.

Si Noazh était l’album des colères électriques, Skeud ho Roudoù est celui des épanchements de velours, misant cette fois sur des cordes de chambre. Cinq ans séparent ces deux disques, autrement dit le temps utile et nécessaire pour assurer une mue artistique probante. Pour l’occasion, Nolwenn KORBELL s’est de nouveau tournée vers le percussionniste et batteur Antonin VOLSON (déjà à l’œuvre sur N’eo ket echu et Bemdez C’houloù) pour assurer les arrangements et la prise de son de cet album. Mais elle a de même convié le violoncelliste Alexis BOCHER et les violonistes Floriane LE POTTIER et Jonathan DOUR à prendre part active aux arrangements sur quelques chansons (Awen, If, Laret Vez, N’on Ket, Amour Kerne).

Violons et violoncelle confèrent donc à Skeud ho Roudoù une coloration classique-contemporaine assez inédite dans l’œuvre de Nolwenn KORBELL. Toutefois, l’électricité s’immisce encore ça et là, au travers de pièces combinant basse, guitare et batterie, pour une tonalité plus blues que rock, et c’est donc avec plaisir que l’on retrouve, même subrepticement, les guitares inventives et polymorphes de Didier DREO, toujours présent depuis Bemdez C’houlù.

Skeud ho Roudoù a donc été conçu autour de plusieurs cordes, de teintes différentes. Cela donne des climats assez variés d’une chanson à l’autre, et parfois de façon assez inattendue quand cordes classiques et blues, acoustiques et électriques, interviennent dans une même chanson. Le disque démarre du reste sur une complainte bluesy, Avel Viz (Nordet), dans laquelle le trio violons/violoncelle insuffle une brise mélancolique. Une contrebasse s’ajoute aux cordes classiques et à une discrète guitare électrique sur l’élégant et tout aussi habité de regrets qu’est Awen (Inspiration). L’expression « skeud ho roudoù » (L’Ombre de tes traces) est du reste tirée de cette chanson…

YouTube player

Le même mariage guitare blues et cordes de chambre habille Sparlet (Enfermé), une chanson sur des amours défendues ou interdites, et la même alliance acoustique et électrique habite Piv ? (Qui?), un chant non pas de combat, mais sur la possibilité de continuer les combats, la nécessité de passer la main…

On notera de même le retour des pistes de percussions sur plusieurs morceaux, parfois en alternance, ou en mélange, avec une programmation de batterie, notamment sur Laret Vez (On dit), un chant nimbé de vocalises envoûtantes de la part de Nolwenn.

YouTube player

La chanson Me no like (Moi pas aimer) se pare de même d’une rythmique tribale sur laquelle des vocaux aux consonances amérindiennes soulignent le propos du texte déclamé en langue bretonne et qui dénonce les colonisations des territoires et des peuples, le sort du Grand Ouest américain faisant ainsi judicieusement écho à celui de l’Ouest armoricain.

On le voit, Nolwenn KORBELL n’a rien perdu de ses engagements. Les percussions rehaussent également Traoù Gwir (Choses vraies), une chanson aux allures de comptine enfantine qui clôt le disque sur une note plus enjouée.

Sur le feutré An Den (L’Homme), ce sont en revanche des battements de cœur qui servent de rythmique chaloupée à cette chanson dont on se demande, en dépit de ses teintes veloutées, si elle n’a pas été écrite par une succube…

YouTube player

Tout aussi étonnante est cette incursion de touches électro trip-hop sur N’on ket (Je ne suis pas), où la voix de Nolwenn KORBELL se dédouble pour former un chœur, et au sein duquel le violoncelle se voit offrir une généreuse séquence soliste.

À écouter Skeud ho Roudoù dans le détail, on se rend compte que la rupture avec Noazh n’est pas consommée à 100 %. L’empreinte du folk américain reste présente dans Darling Ar Poull, dont le texte écrit et chanté en breton contient néanmoins des bouts d’anglais, tout comme Sparlet.

Mais surtout, on retrouve dans Skeud Ho Roudoù une structure similaire à celle de Noazh en ce qui regarde la proportion de chansons interprétées en trois langues : dix en breton, deux en anglais (le rêveur If et le volatil Simple) et une en français (le sensuel Amour Kerne), cette dernière faisant montre, tout comme celle sur Noazh, d’un dépouillement plus prononcé, Nolwenn accompagnant son chant à la guitare, à la différence près que le violon de Floriane LE POTTIER vient lui rendre subtilement visite.

Sur les treize chansons que contient Skeud Ho Roudoù, dix ont été écrites par Nolwenn KORBELL, les trois autres empruntant leurs mots à d’autres auteurs bretons : l’écrivain finistérien Xavier GRALL pour Amour Kerne, la poétesse trégoroise Anjela DUVAL pour Piv ?, et l’artiste douarneniste d’origine irlandaise Dmitri BROE pour If. De plus, un couplet de Simple provient d’un texte de la poétesse américaine Emily DICKINSON.

Raffinée et cultivée, la livrée de petites histoires que contient Skeud ho Roudoù combine caresses et douleurs, souvenirs et rêves, interrogations et convictions, pleurs et sourires, frottements de cordes et frappes de peaux, avec une pincée d’étrangeté venant pimenter un univers poétique ancré dans les reliefs du rocher breton, lequel, avec Nolwenn KORBELL, prend des éclats et des couleurs inattendus qui en ravivent la mémoire onirique.

Si avec Skeud ho Roudoù, Nolwenn KORBELL vous a malicieusement caressé l’oreille, il ne faudra pas s’en étonner. Si elle vous a plongé la tête dans les nuages, c’est que vous avez succombé à la beauté de l’illustration de pochette (réalisée par Riwan CORBEL), qui montre justement le visage de Nolwenn traversé d’un paysage côtier surplombé de nuages. Si enfin elle vous a tapé dans l’œil, vous n’avez plus qu’à boire la tasse qui se trouve justement dans sa pupille droite. Si, si, regardez mieux…

Stéphane Fougère

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.