Yochk’o SEFFER NEFFESH MUSIC – Cèl

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Yochk’o SEFFER NEFFESH MUSIC – Cèl
(Acel / Inouïe Distribution)

Annoncé par une campagne de financement participatif, Cèl est le sixième album que le compositeur, improvisateur, saxophoniste, claviériste et plasticien hongrois Yochk’o SEFFER consacre à sa « musique de l’âme sauvage », sa NEFFESH MUSIC. Quant on sait que la naissance de cette formation à géométrie variable plutôt que groupe fixe remonte à 1976 et prend ses racines dans l’expérience menée au sein du groupe ZAO dans son troisième album, Shekina, que Yochk’o va atteindre en juillet 2024 ses 85 ans, et que Cèl se présente sous la forme d’un coffret digipack de trois disques sous-titrés Passé, Présent et Futur, on serait à bon droit tenté d’y voir (et d’y écouter, tant qu’à faire) une anthologie récapitulative, une somme rétrospective. C’est en partie vrai, mais ce n’est pourtant pas un compilation des œuvres de la NEFFESH MUSIC, et encore moins un « best-of » (gag rigoureusement impossible). Cèl est un nouvel album, dans lequel Yochk’o SEFFER en dit encore très long, sans forcément dire son dernier mot.

En l’occurrence, Cèl est constitué d’un DVD et de deux CDs, chaque disque se définissant par rapport à l’autre au sein d’une thématique temporelle et existentielle. C’est ainsi au DVD qu’échoit la responsabilité de représenter le Passé de NEFFESH MUSIC. Pas possible ? On a donc retrouvé des images filmées de l’époque pionnière du groupe qui, dans la seconde moitié des années 1970, a gaillardement ébréché les étiquettes et les frontières stylistiques avec sa trilogie Délire/Ima/Ghilghoul ? Non point. Alors il s’agit d’un concert de l’époque de la réactivation de l’entité NEFFESH MUSIC en 2008, consignée par le CD Ezz-thetics Travel ? Pas davantage. Et quand bien même 2008, c’était il y a 16 ans, on serait déjà un peu hors sujet… Et Sugàrzo Terep est trop frais dans les esprits (2019) pour prétendre incarner le passé, ou alors c’est un passé qui remonte à quelques heures…

Non, le DVD Passé n’est pas un recueil d’archives filmées, il contient une vidéo réalisée très récemment par Marc SIMON et qui se présente comme une exploration de certaines des œuvres plastiques de Yochk’o SEFFER, une plongée dans son univers pictural aux confins d’une forme d’abstraction expressionniste dominée par des couleurs vives, des lignes fortes et des matières épaisses, avec parfois des incrustations, des collages de formes plus figuratives (des instruments de musique, des visages…).

La peinture de Yochk’o est indissociable de sa création musicale, comme l’auront remarqué ceux qui suivent sa discographie, et a fortiori consultent les livrets de ses albums précédents. Ce sont pas moins de 180 toiles que scrute la caméra de Marc SIMON, avec des zooms sur des détails de ces toiles afin de générer une dynamique visuelle faisant ressortir la force et l’énergie motrices qui se dégagent des tableaux du maître.

L’ensemble de la vidéo (de 48 minutes) est accompagné d’extraits de pièces musicales puisées en majeure partie dans le répertoire des premières pierres discographiques de NEFFESH MUSIC avec le Quatuor MARGAND (Sifra, Délire, Ima/Ghighoul), plus la pièce d’introduction d’Ezz-thetics Travel, Gyere, avec le Quatuor BELLI CELLI. Cerise sur le gâteau, on a de même droit à un texte (Le Sefferophone) écrit et déclamé par rien moins que Didier MALHERBE (HADOUK, GONG…), complice de longue date, sur un soutien musical de Laurent MATHERON, Serge BERTOCCHI, Frédéric COUDERC et François CAUSSE.

Avec ces fulgurances poétiques et verbales dont il a le secret, « Bloomdido » évoque la conception des fameuses « sculptures sonores » de Yochk’o SEFFER. Dans ce DVD, nous n’avons donc pas affaire à un document, mais à une (re)création visuelle qui rend hommage à l’inspiration picturale de Yochk’o et la relie à certaines œuvres fondatrices de la NEFFESH MUSIC. On ne fait pas revivre un passé de musée, on l’éclaire sous un jour qui permet d’en raviver toute la pertinence ici et maintenant, comme un avant-goût de ce qui va suivre.

Le premier CD nous plonge de plain pied dans le Présent de la NEFFESH MUSIC. On sait bien que Yochk’o ne crée pas « ex-nihilo », aussi la matière musicale de ce Présent s’inscrit-elle dans la lignée de celle exposée sur le CD Sugàrzo Terep de 2019, à ceci près qu’elle n’a pas été enregistrée par une formation fixe (ce n’était de toute façon pas exactement le cas non plus sur ce précédent CD de la NEFFESH MUSIC).

Chacune des huit compositions de ce disque présente une formation différente, et plutôt minimaliste puisque le plus souvent réduite à un duo, mais jamais tout à fait le même. Yochk’o alterne selon les pièces piano, saxophone sopranino et tarogato basse ou superpose piano et tarogato basse dans Ritualish Alkotash 23 et piano et saxophone sopranino dans la pièce finale, Abluob Sarat ; il duettise avec François CAUSSE aux diverses percussions ou à la batterie (Gondolat, Abluob Sarat) ; il dialogue avec le saxophone alto de Guillaume ORTI (Tsedec) et retrouve son ancien complice des Chromophonies Kathy Lajos HORVATH au violon dissonant (KHLYS).

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Une pièce, d’ample dimension (presque quatorze minutes), est également jouée en solo par Yochk’o au seul tarogato basse (Bouquet de fleurs pour Jeannine).

Le minimalisme du personnel réquisitionné est ainsi compensé par la diversité des combinaisons instrumentales mises en action, jouant pleinement du procédé « faire plus avec moins » en usant des technologies avancées tout en restant dans une veine plutôt acoustique. C’est ainsi que Yochk’o se retrouve sur Emlèk en duo virtuel avec un ensemble de cordes, programmé par François CAUSSE.

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Ce dernier transforme aussi un duo percussions/saxophone baryton avec Guillaume ORTI en une formation plus étoffée avec ces mêmes cordes virtuelles (Oxo VI, seule pièce sur laquelle Yochk’o ne joue pas, mais qu’il a composée).

Voilà donc un Présent qui se distingue par la richesse de son inspiration, affichant une orientation multi-piste et illustrant un univers pluridimensionnel sans que son hétérogénéité de façade ne porte préjudice à la cohérence de son propos. Car chez Yochk’o, la musique détermine la formation instrumentale, non le contraire.

Le second CD nous projette dans ce que pourrait être le Futur de NEFFESH MUSIC. Mais à vrai dire, il n’est nul besoin d’employer le conditionnel, car ce Futur était, dans ses formes, déjà là dans le Présent. N’allez donc pas vous imaginer un Futur entièrement dévolu à des sons électro-technoïdes pseudo-futuristes ; l’acoustique domine les débats, même si certaines pièces ont été conçues à l’aide de programmations du même type que celles mises à l’œuvre dans l’album ElektroFar de SEFFER et CAUSSE.

C’est ainsi que Wav III nous accueille avec un trio partiellement virtuel, le tarogato basse de Yochk’o étant soutenu par les percussions de François CAUSSE et un ensemble à cordes « fantôme ». Dans la sonate Flux intuitif, c’est le piano qui est programmé, SEFFER s’exprimant « en vrai » au saxophone sopranino, toujours secondé par les percussions de CAUSSE.

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Mefisto-Tanc est la première pièce à faire entendre un vrai trio : SEFFER y alterne piano et tarogato, et est accompagné par le piano de Sandrine MATHERON et le saxophone soprano de Laurent MATHERON.

Sur les deux dernières pièces, Yochk’o SEFFER étire le format de composition, chacune d’elles atteignant et dépassant respectivement les vingt minutes. Consolatio intrigue et hypnotise par son paysage « musique de chambre surréelle » agencé par le violoncelle de Laure VOLPATO et les chœurs virtuels générés par François CAUSSE, et Yochk’o, bien qu’alternant piano, tarogato basse et clarinette basse selon les séquences, y fait proportionnellement montre de sobriété.

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Sur Sohaj II, il entrelace ses notes de piano aux sonorités d’un trio de cordes « chambriste », avec de nouveau le violoncelle de Laure VOLPATO, mais également le violon de Hsin-Yu SHIH et l’alto de Shih-Hsien WU, qui s’autorisent aussi des brèches solistes.

Au fond, le Futur de la NEFFESH MUSIC ne fait que suivre les chemins déjà tracés par Yochk’o SEFFER, eux-mêmes infusés par les travaux de compositeurs contemporains comme BARTOK, VARESE, LIGETI, BOULEZ, WEBERN et par la faconde « improvisatoire » d’un COLTRANE, et décline de nouvelles voies entre improvisation, structure, modalité, sérialisme et enracinement magyar, tout en tirant parti des possibilités offertes par la technologie déjà utilisée pour ElektroFar. Ces cinq pièces « futuristes » sont autant de modèles de constructions flottantes conciliant structure et improvisation. Loin de constituer un point final à l’histoire de NEFFESH MUSIC, ce Futur sculpte l’horizon de nouvelles superficies sonores.

Au fond, le découpage Passé, Présent et Futur de ce triple album ne fait que rendre illusoire l’horizontalité de sa propre ligne de temps. Dans la « musique de l’âme », hier comme aujourd’hui et encore demain, tout n’est qu’affaire d’intention, déclinée en termes de force, d’énergie et de possibilité, entre enracinement et affranchissement. Et intention, en hongrois, ça se dit Cèl.

Stéphane Fougère

Page label : https://www.facebook.com/people/ACEL/100064623944378/

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