BEAT CIRCUS – Boy from Black Mountain
(Cuneiform / Orkhêstra)
Flanqué de son bazar ambulant le BEAT CIRCUS, le compositeur et multi-instrumentiste de Boston Brian CARPENTER livre son troisième opus, qui est aussi le deuxième volet de sa trilogie « Weird American Gothic », dont Dreamland (2008) constituait le premier chapitre bigarré et contrasté, avec cependant un fond dramatique. Boy from Black Mountain révèle une tonalité quelque peu différente, plus douce-amère, avec des chansons traitant de rêves, d’enfants, de parents, d’amour perdu, de revanche, de rédemption… CARPENTER a été puisé son inspiration à la fois dans sa généalogie et dans son histoire personnelle récente. Le passé de ses parents et grands-parents, cultivateurs de pastèques qui vivaient dans la fameuse zone de la « ceinture biblique » (en gros les États sécessionistes), à l’idéologie fondamentaliste chrétienne, lui ont inspiré certaines chansons de cet album.
Des sources littéraires attenantes ont également été réquisitionnées, à commencer par l’auteure sudiste Flannery O’CONNOR, dont le style « Southern Gothic » imprègne l’univers et la galerie de portraits dépeints dans Boy from Black Mountain. Et sans doute la phrase « What Happened to the Good people », répétée plusieurs fois dans Saturn Song, est-elle un clin d’œil à la nouvelle d’O’CONNOR Les Braves Gens ne courent pas les rues (A Good Man is Hard to Find). De même, on reste dans les références sudistes avec le titre Petrified Man, qui renvoie à une nouvelle d’Eudora Alice WELTY, tandis que As I Lay Dying évoque l’œuvre de William FAULKNER.
Avec une instrumentation toujours aussi atypique (pour un groupe de rock avant-gardiste s’entend), BEAT CIRCUS a donc créé une bande-son qui évoque cet univers sudiste. Banjo, harmonica, violon, viole, trombone et tuba se partagent la vedette avec la guitare électrique et la batterie et ressuscitent une musique aux profondes racines rurales. Ne cherchez pas les ombres de BARTOK ou de STRAVINSKY ici, c’est plutôt le hillbilly des Appalaches, la country, le bluegrass, bref toute cette musique old time de « péquenauds sudistes » qui sert de socle à plusieurs pièces de ce disque (As I Lay Dying, The Life You Saved May be Your Own), sauf que les arrangements sont indéniablement contemporains. Et il n’est pas interdit de sentir poindre à l’occasion des relents de musique cajun voire irlandaise…
Brian CARPENTER tient bien sûr la voix principale et, détail nouveau, il use ça et là (dans The Quick and the Dead, notamment) de ce chant de gorge rauque qui le rapproche d’un Tom WAITS. Dans Judgment Day, son chant prend carrément un accent « loureedien » très prononcé. Sur certaines chansons, Larkin GRIMM lui donne la réplique ou le soutient en seconde voix.
L’autre principale source d’inspiration de ce disque, qui lui donne cette inflexion doucereuse et plus sombre, est ce drame vécu il y a peu par Brian CARPENTER, dont le jeune fils avait été diagnostiqué autiste. Saturn Song et le captivant titre éponyme à l’album sont des émanations directes de cette source. Certains accords de guitare, certaines envolées violoneuses et même quelques émanations chorales soulignent toute la charge émotionnelle de cette épreuve.
En dépit des accents de jovialité de certains morceaux, Boy from Black Mountain distille un étrange parfum de douleur contenue et désabusée qui l’inscrit en parallèle des ambiances que l’on trouve chez un Ennio MORRICONE ou un Nick CAVE. Il y a même un ton presque « lynchien » dans le traitement de l’instrumental The Sound and the Fury, avec cette guitare onctueusement bluesy et perverse, ce moog, cet anachronique mais judicieux hautbois chinois, la suona, (jouée par Bill COLE) et cette chorale enfantine fantômatique. On parle d’une américanité étrange et gothique, il est vrai…
Si la multidirectionnalité stylistique de Dreamland avait pu décontenancer quelques auditeurs, le propos esthétique de Boy from Black Mountain paraît en regard plus cerné et cohérent et permet une immersion plus directe dans les tableaux de cette Amérique rurale confectionnés par Brian CARPENTER. On aura compris qu’il ne s’agit pas de restitution folklorisante, mais bien d’une création d’ici et maintenant à partir de sources folk rurales. Et si l’on y respire pas la poussière des enregistrements de terrain, on y trouve la poussière des rêves et des tourments d’un compositeur décidément bien à part dans le catalogue Cuneiform.
Stéphane Fougère
Site : www.beatcircus.net
Page : https://beatcircus.bandcamp.com/album/boy-from-black-mountain
Label : https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/boy-from-black-mountain
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°28 – mai 2010)