David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Les Pèlerins des sphères harmoniques

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David HYKES & THE HARMONIC CHOIR

Les Pèlerins des sphères harmoniques

Compositeur, chanteur, musicien, auteur, directeur d’ateliers de pratique de méditation musicale, David HYKES est célèbre pour avoir fondé le premier groupe de « chant harmonique » en Occident, l’HARMONIC CHOIR (Chœur harmonique) à New York en 1975. Cet ensemble pionnier a été révélé par l’album Hearing Solar Winds (À l’écoute des vents solaires), paru en 1983 sur le label Ocora – Radio France, d’ordinaire dédié aux musiques traditionnelles. Il est vrai que la musique de l’HARMONIC CHOIR doit beaucoup à l’exploration de diverses traditions musicales sacrées, comme le chant rituel tibétain, le chant de gorge touvain et mongol, ou encore le chant grégorien, mais elle s’en démarque également au profit d’un objectif plus universel.

Le terme « chant harmonique », créé par David HYKES, désigne un système musical dévoué à l’exploration des harmoniques du son, lesquelles sont présentes dans toutes les musiques, toutes les manifestations sonores, en somme dans l’univers entier. La pratique du chant harmonique telle que l’a développée David HYKES implique de fait un travail destiné à développer l’écoute, l’éveil de la conscience et l’harmonie.

Avec son HARMONIC CHOIR, il a ainsi donné naissance à une nouvelle forme de musique sacrée universelle, à laquelle est lié tout un enseignement englobant la méditation, le yoga et l’harmonisation thérapeutique et porté par une vision spirituelle et cosmologique.

Depuis trente ans, David HYKES n’a cessé d’explorer les possibilités offertes par ce chant qui sous-tend un ordre et un axe universels, et dont il a défini plusieurs niveaux en transposant ces fameuses harmoniques dans les octaves du rythme, du mode, du texte, de la parole et de la mélodie.

Ainsi certaines œuvres de David HYKES portent-elles aussi l’empreinte au moins spirituelle de la musique classique hindoustanie ou même des traditions persane et soufie. Chant de sirènes spatiales, musique des sphères, le chant harmonique est tout cela et bien plus encore : il draine un mystère immémorial et récurrent que David HYKES cherche à partager avec le plus grand nombre à travers son enseignement, qu’il dispense aux États-Unis et en France avec sa Fondation Présence harmonique, et bien sûr avec son art, qu’il a eu l’occasion de faire connaître dans de multiples pays, dans maints festivals, salles prestigieuses comme dans des lieux sacrés.

Sa discographie a été augmentée en 2007 d’un onzième CD, Harmonic Worlds, et un premier DVD, Harmonic Meeting, a vu également le jour. RYTHMES CROISÉS a saisi cette opportunité pour vous convier à faire plus ample connaissance avec le travail de David HYKES, et à vous envoler dans ces « mondes harmoniques » qui défient toute catégorisation et possèdent un imparable pouvoir d’attraction.

Né à Taos dans le Nouveau-Mexique en 1953, David HYKES a grandi dans le Nord-Ouest du Pacifique et a suivi des études au Collège d’Antioch à Yellow Springs dans l’Ohio. C’est là qu’il a travaillé avec des cinéastes expérimentaux, Paul SHARITS et Tony CONRAD (ce dernier, également violoniste, est connu comme pionnier de la musique minimaliste et pour son implication dans le « Theater of Eternal Music » ou « Dream Syndicate » aux côtés de LaMonte YOUNG et John CALE).

David HYKES a de même découvert la musique médiévale, classique et contemporaine avec David STOCK et Jon RONSHEIM. Diplômé de l’Université de Columbia, David HYKES a habité à New York de 1974 à 1987. C’est au Whitney Museum qu’il a projeté son premier film expérimental, Moving Parts, pour lequel il a utilisé un « harmoniseur » afin de réfracter la voix humaine. Cette découverte l’a poussé à entamer une recherche approfondie sur la musique sacrée qui l’a amené à s’intéresser aux techniques de chant de gorge usitées au Tibet, à Touva et en Mongolie. David HYKES passe ainsi pour être le premier artiste occidental à avoir étudié ces musiques. Il est vrai qu’à cette époque, les documents sonores consacrés à ces dernières ne couraient pas les disquaires… et il lui faudra attendre 1981 pour effectuer son premier voyage en Mongolie.

Néanmoins, l’étude des pratiques vocales dans ces cultures a déclenché une véritable révélation pour David HYKES, qui a vu en elles des approches locales et spécifiques d’un phénomène en réalité universel et commun à toutes les musiques, la « série harmonique ». C’est à l’activation de celle-ci que s’est voué David HYKES, intimement persuadé qu’il y avait là un chemin à creuser vers une « musique sacrée globale », et c’est dans ce but qu’il a fondé en 1975 l’HARMONIC CHOIR. De cette époque date aussi son premier enregistrement, nommé Harmonic Singing, conçu comme une offrande à son maître spirituel alors gravement malade, Lord John PENTLAND, président de la Fondation Gurdjieff aux États-Unis.

Après quelques performances scéniques et cinq ans passés dans la scène underground de New York, David HYKES et son Chœur harmonique ont eu l’opportunité d’être accueillis en tant qu’artistes en résidence dans la Cathédrale Saint-John-The-Divine en 1979, et ce pendant huit ans. À cette occasion, David HYKES a fondé, avec le doyen de la cathédrale James Park MORTON et l’auteur James GEORGE, l' »Harmonic Arts Society », une organisation culturelle et artistique dédiée à la musique sacrée vocale ancienne et moderne fondée sur les harmoniques.

L’approche musicale originale développée par l’HARMONIC CHOIR a posé un premier jalon discographique en 1983 sur le label de Radio France, Ocora. Baptisé Hearing Solar Winds (À l’écoute des vents solaires), cet opus s’est depuis vendu à quelque 300 000 exemplaires, ce qui a fait de lui le disque de chant harmonique le plus célèbre au monde. Depuis plusieurs disques ont suivi, chacun illustrant une nouvelle étape dans l’exploration de la série harmonique.

L’HARMONIC CHOIR n’a cessé de gagner en reconnaissance internationale, tournant dans une vingtaine de pays et participant à de nombreux événements interculturels. L’un des plus célèbres reste le concert commun avec des moines tibétains des universités tantriques de Gyuto et de Gyumé lors de leur première visite sur le continent américain (1985), et les soirées-rencontres avec Sa Sainteté le Dalaï-Lama (1989). David HYKES & THE HARMONIC CHOIR se sont de même produits au 50e anniversaire du Printemps de Prague, au Festival international de musique contemporaine de Zagreb, au Festival de musique orientale de Tallin, au Festival d’Art Sacré de l’abbaye de Champeaux, au Festival d’Avignon, à l’abbaye du Thoronet, dans diverses salles de New York, Paris, ainsi que dans de multiples centres spirituels (hindous, soufis ou ceux de la Fondation Gurdjieff). L’œuvre de David HYKES a en outre été subventionnée par diverses instances culturelles, telle l’UNESCO, le National Endowment for the Arts et le New York State Council on the Arts, les fondations Rockfeller, Threshold et Flying Elephants.

De l’initiation à l’enseignement

Le succès et la reconnaissance artistiques qu’a connus David HYKES ne doivent pas occulter le fait que l' »artiste » est avant tout guidé par le « pélerin », le « chercheur de vérité ». La théorie qui sous-tend depuis le début le travail de David HYKES concilie en permanence recherche artistique et quête spirituelle, musique et méditation. Il faut dire que David HYKES a bénéficié pendant vingt ans de l’enseignement des Fondations Gurdjieff de New York, San Francisco et Paris, et fut l’élève de deux éminents disciples de G. GURDJIEFF, Lord PENTLAND et Michel De SALZMANN. Il a en outre reçu les enseignements de plusieurs maîtres bouddhistes tibétains, et est devenu un « étudiant du Dharma » auprès de Chokyi Nyima RINPOCHE.

À cette éducation spirituelle de pointe, il faut ajouter la relation privilégiée que David HYKES a entretenu depuis 1982 avec la chanteuse indienne Sheila DHAR, qui lui a enseigné les fondements et l’art du chant sacré hindoustani, notamment le « khyal » de l’école Kirana. (Signalons par ailleurs que Sheila DHAR – disparue en 2002 – était la disciple du Pandit Pran NATH, lequel fut en son temps le gourou de Terry RILEY et de LaMonte YOUNG, deux inspirations majeures de David HYKES au début des années 1970. Le monde est décidément petit…)

De fait, outre les concerts et méditations sonores qu’il donne depuis 1975 avec l’HARMONIC CHOIR, en solo ou en petites formations, dans de multiples festivals, communautés spirituelles et lieux sacrés à travers le monde, David HYKES dirige en parallèle des séminaires, retraites et ateliers dans des centres situés en Amérique (The Breathing Project, Esalen, Kripalu) et dont l’activité est parrainée par l’Harmonic Presence Foundation à New York.

En outre, depuis 1987 et à l’invitation du Ministère de la culture français, David HYKES s’est installé en France, où il a fondé la version française de l’HARMONIC CHOIR, soit le CHŒUR HARMONIQUE, ainsi qu’un équivalent à l’Harmonic Presence Foundation, l’Harmonique/Centre, dans lequel il dirige des stages de chant harmonique. Ce centre se trouve entre Paris et Orléans, à Pommereau, un ancien site cistercien du XIIe siècle situé aux abords d’une forêt domaniale du Loir-et-Cher baignée de tranquillité et rythmée par les gazouillis d’oiseaux, donc éminemment propice à la paix et à l’harmonie intérieure.

Ainsi David HYKES passe-t-il son temps entre la France et les États-Unis, livrant son enseignement par le biais de stages et de retraites, et présentant son art lors de concerts. Pleinement dédiée à la sagesse primordiale, à la méditation et au ressourcement, la Fondation Présence harmonique dispense un enseignement liant musique et méditation qui découle des quelque trente années de recherches menées par David HYKES, notamment de ses études avec des maîtres spirituels tibétains, indiens et occidentaux. Par conséquent, on peut appréhender cet enseignement non seulement comme une initiation à une musique spirituelle (et tant pis si le terme s’est un peu galvaudé), mais aussi comme une spiritualité musicale ; le chant harmonique étant pour David HYKES un appel à l’éveil de la conscience, dans lequel méditation et harmonisation ont un rôle essentiel à jouer.

 

La pratique intensive du chant harmonique, liée à une pratique méditative, favorise l’accroissement de la faculté d’écoute, laquelle permet de découvrir des lois musicales et universelles. Les harmoniques sont en effet présentes dans toute musique, mais aussi dans la conscience et dans l’univers entier. C’est là que la vision de David HYKES rejoint certaines théories de l’astrophysique, et principalement de la cosmologie.

En effet, comme il aime à le rappeler, les ondes harmoniques étaient présentes dès le Big Bang, et leurs échos résonnent encore, c’est le rayonnement fossile. De là à considérer les harmoniques comme l’ADN de toutes les musiques, il n’y a qu’un pas. L’enseignement de la Fondation harmonique propose ainsi une étude profonde de l’harmonie à tous les niveaux, intérieur comme extérieur, en soi-même comme dans l’univers.

Le chant harmonique : ses racines et ses branches

À la base, le chant harmonique créé par David HYKES est le fruit d’une exploration de ce que l’on nomme la « série harmonique », soit une séquence ordonnée qui est au son ce que l’arc-en-ciel, le spectre des couleurs, est à la lumière. Véritable « big bang » de la mélodie ou ADN musicale, la série harmonique a un caractère universel, et on peut la retrouver dans bon nombre de traditions musicales savantes ou sacrées.

Les musiques du Tibet, de Mongolie et de Touva, qui ont en partie inspiré David HYKES, ont notamment en commun une technique vocale connue sous le nom de « chant de gorge » ou « chant diphonique » et grâce à laquelle, en positionnant d’une certaine manière sa langue par rapport au palais, un chanteur peut produire deux ou plusieurs notes simultanément : une note dite fondamentale, et une ou des harmoniques qui sont comme projetées au-dessus de la fondamentale. Les moines tibétains font ainsi résonner une harmonique soutenue au-dessus de leurs mélopées incantatoires, tandis que les Touvas et les Mongols peuvent projeter plusieurs notes harmoniques, voire une mélodie harmonique entière, par-dessus une note gutturale soutenue. C’est le fameux « khöömei », dont il existe plusieurs styles (voir tous nos articles consacrés à cette scène musicale).

Dans ces pratiques, la voix agit tel un prisme « réfractant » et focalisant le son dans un rapport ordonné de fréquences, celles des harmoniques se trouvant dans un rapport simple de nombres entiers avec la fréquence de la note fondamentale. C’est cette expression d’un ordre universel – expression traditionnellement dévolue à la musique – qui a passionné David HYKES et l’a convaincu de l’existence d’une réalité vibrationnelle omniprésente dans tout son musical, vocal ou instrumental, mais aussi dans le souffle, l’écoute…

Tout son générant instantanément ses propres harmoniques, son timbre et sa couleur sont déterminés par le mélange de ceux-ci. En travaillant sur cette « caisse de résonance » qu’est le corps humain, notamment sur la bouche et sur la gorge, on peut renforcer et faire résonner ces harmoniques. Tout le travail de David HYKES et de son HARMONIC CHOIR a consisté à élaborer une forme propre de musique vocale occidentale et contemporaine qui se démarque de la simple photocopie tant du khöömei touvain-mongol et du chant de gorge tibétain que du chant grégorien occidental, tout en s’inspirant de leurs formes.

Le Chœur harmonique peut générer un flux ample et continu d’harmonies microtonales qui se déploient en montées, descentes et croisements de toutes sortes, la « fission » sonore ainsi produite attestant de la multiplicité vibratoire de ce son qui est fondamentalement Un. Dans ses œuvres plus récentes, David HYKES a aussi transposé les harmoniques dans les octaves de la mélodie, de l’harmonie et du rythme pour qu’elles se transforment en une véritable texture organique au caractère polyphonique très diversifié et mouvant.

Avec l’HARMONIC CHOIR, en solo ou avec des musiciens, David HYKES a de fait développé plusieurs niveaux de chant harmonique. On en dénombre une douzaine qui forment un « champ unifié ». Le chanteur peut : soutenir une note fondamentale et une note harmonique ; modifier conjointement la fondamentale et l’harmonique ; soutenir une fondamentale et modifier l’harmonique ; soutenir une harmonique et changer la fondamentale ; faire converger et diverger simultanément l’harmonique et la fondamentale ; produire des sous-harmoniques ; créer des ornements harmoniques (trémolo, vibrato) ; chanter sur des modes harmoniques ; chanter sur des polyrythmes harmoniques ; chanter du texte ; créer des « harmonies harmoniques » (entre harmoniques d’en haut, notes fondamentales et sous-harmoniques) et procéder à des intonations mélodiques.

C’est en puisant aux sources originelles du son que la musique de l’HARMONIC CHOIR de David HYKES a trouvé son originalité, révélant une réalité vibrationnelle à la fois instantanée et hors du temps par un travail de recherche assidu et approfondi sur l’écoute.

Quand les vents chantent en chœur

Lorsque paraît en 1983 l’album Hearing Solar Winds – À l’écoute des vents solaires sur le label français Ocora – Radio France (singulièrement dans sa collection « Musiques traditionnelles vivantes »), l’HARMONIC CHOIR – dont le noyau est alors constitué de David HYKES, Timothy HILL, Rebecca KRAUSE, Théodore LEVIN et Michelle DUPÉRÉ-HYKES – était déjà en activité depuis quelque huit années. La pièce a donc eu le temps d’évoluer et de mûrir jusqu’au moment de l’enregistrer en cette nuit du 7 au 8 août, vers minuit, dans l’abbaye varoise du Thoronet.

Tout commence par un chant soliste de David HYKES qui rappelle le chant de gorge mongol ou touvain mais qui évolue déjà dans une autre direction et ouvre sur des dimensions inédites, porté par les volumes géométriques de cet espace sacré. Vient le moment où d’autres voix se superposent à la première, comme dans le chant rituel tibétain, sans qu’on puisse dire combien il y en a vraiment. Les voix se multiplient, et c’est pourtant toujours le même chant, la même note, tel un noyau vibratoire qui n’en finit pas de grossir.

Puis À l’écoute des vents solaires déploie son champ d’attraction sur une cinquantaine de minutes, alternant des séquences (annoncées par des tintements de cymbales tibétaines) où les harmoniques du chœur ondulent à loisir, « élasticisent » l’espace pour se métamorphoser en ondes gravitationnelles et en octaves téléscopiques, et d’autres où ces mêmes harmoniques se projettent à tout va (non, je n’ai pas dit : à Touva !) tel des glissandi dans des trajectoires ascendantes et descendantes, se croisant, s’entrechoquant ou fusionnant en une mosaïque vertigineuse.

Tantôt vitrail, tantôt kaléidoscope, la pièce réinvente la résonance d’une dimension sacrée comme on n’en avait jamais entendue. La voix, polyphonique ou soliste, y devient un conduit vers un ailleurs originel.

Pur univers de vibrations, À l’écoute des vents solaires bouscule les notions usuelles de la musique occidentale, déclinant une définition de l’harmonie autrement plus fondamentale et révélant la pré-existence d’un magma vibratoire. Ces « vents solaires », comme ils furent alors nommées, mais qui peuvent aussi être perçus comme des vagues ou des souffles rayonnants, seraient comme l’écho du Grant Tout, du Son Primal, le « Big Sound », comme l’appelle David HYKES, plutôt que le Big Bang. Car dans cet espace il n’y a pas de heurts, rien que des ondes enveloppantes dont les vertus hypnotiques et lénifiantes ont pu séduire les chantres du mouvement new age mais ne sauraient pour autant y être assimilées.

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Au fond, À l’écoute des vents solaires mêle dans un vertige sidéral le lumineux et l’obscur, le haut comme le bas. Il ne s’agit pas de « détendre » paresseusement l’auditeur, mais au contraire de le conduire à tendre son écoute, à amplifier sa réceptivité à ces sons que la notion de gamme tempérée en Occident avait obligé à l’occultation.

Or, c’est ni plus ni moins la matière première de toute musique que cette œuvre fondatrice de David HYKES et son HARMONIC CHOIR a cherché à réhabiliter. Plus de vingt ans après sa première parution, on ne cesse de réaliser combien À l’écoute des vents solaires a ébranlé avec une assurance élégante les idées communes sur l’harmonie, l’écoute, la voix, l’acte créateur, voire le rapport au sacré. À ce titre, elle est une œuvre essentielle de la musique occidentale du XXe siècle, impossible à classer, car relevant de différents domaines (Musique contemporaine ? Musique du monde ? Musique sacrée ?) et ayant su capter divers publics.

Eu égard à sa nature subtile et vibratoire, cet opus a subi des variations de durée au cours de ses différentes rééditions. Ainsi, lors de sa reparution en CD en 1986, À l’écoute des vents solaires a vu sa durée passer de 51 à 58 minutes pour finalement revenir à 49 minutes dans sa dernière réédition CD remastérisée sur le label Signature – Radio France en 2003. La couverture, le design, les illustrations et les notes de livret ont de même été modifiés. L’impact de l’œuvre a en revanche gardé toute sa force et sa légitimité.

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La suite des travaux de l’HARMONIC CHOIR a été consignée dès 1984, soit un an après la sortie de Hearing Solar Winds, avec l’album Current Circulation, paru cette fois sur le label américain Celestial Harmonies, dont le nom convient à merveille pour définir la musique de David HYKES et de son Chœur harmonique. Ce nouveau disque, enregistré dans la cathédrale Saint-John-The-Divine et dans la chapelle Saint-Paul, à New York City, ressemble dans sa structure au précédent : il comprend en introduction une pièce soliste de David HYKES (Subject to Change) et se poursuit avec la longue suite éponyme, elle-même formée de six parties.

S’étalant sur 32 minutes, Current Circulation est plus courte qu’À l’écoute des vents solaires, mais sa performance a manifestement dû être plus longue, car la version album comprend ça et là quelques fondus un brin frustrants. Fortement marquée par le chant bouddhiste tantrique tibétain, mais en moins rugueux et tellurique, Current Circulation s’avère moins dense, moins « sinueux », et plus épuré qu’À l’écoute des vents solaires, et privilégie nettement les mouvements ascendants, les mélodies et accords créés par les chanteurs et chanteuses en soutenant simultanément l’harmonique et la fondamentale, ou en maintenant l’harmonique tout en modifiant la fondamentale.

Dans la discographie de David HYKES, Current Circulation a probablement connu un engouement médiatique moindre qu’À l’écoute des vents solaires, l’effet de surprise de cette musique s’étant estompé. Il n’en reste pas moins un bon complément à son prédécesseur, et un voyage harmonique de première classe. Il a cependant fallu attendre 1992 pour qu’il soit réédité en CD. Le disque étant très court à l’origine, deux morceaux ont été ajoutés. Curieusement, ces bonus ne datent pas de l’époque de l’enregistrement de Current Circulation mais proviennent d’un concert donné à Sidney, en Australie, en 1991, et dont la matière servira également au disque True to the Times de David HYKES. On peut s’étonner de ce choix, d’autant que David HYKES n’enregistrait plus avec l’HARMONIC CHOIR à cette époque.

Mais bien que correspondant à une autre phase du travail de leur auteur, ces deux pièces s’inscrivent relativement bien dans le prolongement de Current Circulation, privilégiant un contexte plus intimiste, puisque David HYKES y interprète en solo un chant (Solstice Kyrie) où se ressent la marque du khöömei asiatique, mais détourné, et un autre morceau (Inward Calling) où il est accompagné par Tony LEWIS au dumbek.

Cette incursion d’un élément rythmique et d’un instrument percussif dans une musique jusqu’ici a capella donne en quelque sorte un avant-goût de ce qui devait suivre…

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Une commande d’une exposition itinérante sur l’art sacré des religions chrétienne, judaïque et islamique intitulée The Tent of Meeting a offert l’opportunité à David HYKES de développer un nouvel axe de travail avec l’HARMONIC CHOIR qu’illustre le double album Harmonic Meetings, paru en 1986 sur Celestial Harmonies. Pour la première fois dans la musique vocale harmonique de David HYKES, des mots font leur apparition, en l’occurrence des mots sacrés communs à au moins deux des trois religions précitées.

Partant du principe que ces mots, ou syllabes, sacrés sont aussi des « cellules vibratoires », David HYKES a cherché à mettre en relief leur contenu harmonique au travers de vocalisations syllabiques improvisées. Encouragé par ses recherches sur l’histoire musicale des trois religions qui attestent de la pratique de l’improvisation dans les premiers temps où leurs divergences liturgiques n’étaient pas encore trop marquées, David HYKES a réhabilité cette pratique, situant son projet au-delà des particularismes rituels motivés par des divisions dogmatiques.

Le travail exposé dans Harmonic Meetings révèle ainsi la vision d’un art sacré global qui va bien au-delà des discours œcuméniques. Affranchis de leur sens « horizontal », ces mots sacrés sont traités comme des sources vibratoires dont le rayonnement ne demande qu’à être serti. Les « kyrie » et autres « halleluyah » font ainsi l’objet d’auscultations scrupuleuses de leurs propriétés harmoniques par un Chœur harmonique réduit pour l’occasion à trois voix : celles de David, Michelle HYKES et de Timothy HILL, qui s’expriment en solo, en duo ou en trio.

Les Kyrie Fragments et Halleluyah se distinguent notamment par leurs puissants passages gutturaux fortement réminiscents du chant des moines tibétains (apparemment dûs à Timothy HILL), tandis qu’il émane de Foregather in the Name des fragrances grégoriennes. Le large solo de David HYKES Lines to a Great Lord fait pour sa part penser à un « alap » de raga indien harmonique, étant soutenu – autre grande première – par le bourdon d’un tampura, de même que le duo de David et de Michelle HYKES, Harmonic Relation. Halleluyah et la toute fin de Foregather in the Name voient aussi le renfort inédit d’une percussion imposante.

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Les combinaisons vocales, tantôt compactes, tantôt plus déliées, explorent des sentiers riches en impressions méditatives ; et leurs harmoniques, amples et impériales, sont magnifiées par l’acoustique de l’abbaye du Thoronet, une fois de plus (judicieusement) choisie comme lieu d’enregistrement.

Il est à noter que la première édition CD d’Harmonic Meetings avait omis les morceaux correspondant à la troisième face du LP d’origine, soit Kyrie Fragments et le court mais dense solo de Timothy HILL qui en est en quelque sorte le « coda », Eleison Closing. L’ordre des morceaux avait de plus été modifié. Depuis, une édition en double CD a restitué l’intégrale et l’ordonnancement originel de l’œuvre, laquelle n’a pas tardé à rejoindre Hearing Solar Winds et Current Circulation au rang des classiques.

Une voix sur d’autres voies

À la fin des années 1980, le parcours artistique de David HYKES entre dans une nouvelle ère. Tout en continuant d’effectuer des tournées internationales avec l’HARMONIC CHOIR, il se met à travailler avec des formations plus restreintes et pas seulement vocales. Ce changement va de pair avec la création d’un centre dédié au chant harmonique en France, où David HYKES s’installe en 1987.

L’album Windhorse Riders (1990) est le premier témoignage de cette quête plus soliste inspirée par les études qu’a suivies David HYKES depuis 1982 auprès d’une auteure et chanteuse classique hindoustanie représentative de la Gharana (école) Kirana et du style « khyal », Sheila DHAR. La relation musicale privilégiée qu’il a entretenu avec elle lui a permis d’assurer une nouvelle évolution du chant harmonique en le basant cette fois dans la voix mélodique.

David HYKES s’est principalement intéressé à toute la « vie vibratoire » contenue dans ce qui est communément appelé les ornementations vocales, lesquelles tiennent une place primordiale dans les traditions vocales du Moyen-Orient et du continent indien. En explorant la vibration dans la voix, David HYKES a ouvert le champ du temps et donc du rythme au sein du chant harmonique. Transcrire l’intonation juste dans le domaine du rythme a donc été la motivation première d’un travail qu’il a entrepris avec le célèbre maître percussionniste iranien Djamchid CHEMIRANI, qui a grandement contribué à faire connaître la musique traditionnelle persane en Occident.

Reflet de cette collaboration de David HYKES avec Djamchid CHEMIRANI, la matière du disque Windhorse Riders provient d’un concert donné au Théâtre de la Ville de Paris en octobre 1989 et d’enregistrements studio effectués la veille. David HYKES y tient le chant tout en s’accompagnant à la tampura (et subrepticement à la guimbarde), Djamchid CHEMIRANI y joue la percussion iranienne par excellence, soit le zarb, et le duo est parfois rejoint par le joueur de tabla indien Zameer AHMED et par Éric BARRET au titre de second vocaliste. Voix, bourdons et percussions constituent ce que David HYKES a nommé la « polyrythmie harmonique ». Tous les morceaux peuvent de fait s’écouter comme des ragas ou des maqams harmoniques.

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La pièce épique Crossing Over, inspirée par des thèmes rappelant plusieurs ragas indiens, est particulièrement représentative de cette exploration de la mélodie dans la perspective du chant harmonique par ce « quartet polyrythmique », tandis que Flock of Hands est la seule pièce dans laquelle la voix se tait pour laisser parler les frappes allègres de Djamchid CHEMIRANI et de Zameer AHMED.

Dans le morceau éponyme à l’album, on peut suivre de façon très progressive comment le chant harmonique « traditionnel » (soit le chant diphonique mongol ou touvain) peut mélodiquement évoluer en chant harmonique tel que défini par son auteur. Le titre Windhorse Riders renvoie du reste à une notion tibétaine relative à l’art sacré de la respiration.

On écoutera aussi en parallèle les deux premières pièces qui ouvrent le disque et les deux pièces qui le concluent, puisqu’il s’agit globalement des mêmes, les premières étant enregistrées en concert dans une salle pleine, et les dernières enregistrées la veille du concert, sans public : deux contextes d’écoute différents, l’un intense, l’autre plus intimiste ; deux expériences tendant au même éveil intérieur…

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Avec Let The Lover Be (1991), le chant harmonique – dont on aimait à percevoir la nature comme extraterrestre – continue son enracinement dans un temps et dans un lieu terrestres. Windhorse Riders avait relié l’harmonique au mode et au rythme, Let The Lover Be lui adjoint le texte, la parole, en l’occurrence poétique. Il ne s’agit plus seulement d’introduire dans la pratique vocale harmonique quelques mots rituels, comme dans Harmonic Meetings, mais bien de faire jaillir la vibration de la poésie chantée.

Une fois de plus, Djamchid CHEMIRANI soutient de son zarb aux mille prodiges les élans vocaux volontiers spiraliques de David HYKES, lequel revisite des poèmes du mystique soufi Jelaluddin RUMI (Between Voice and Presence, Let the Lover Be), ou encore nous présente ses propres poèmes (Behind All this Going, Going Towards Oneself ; Deserted Temple).

Tous ces textes porteurs de valeurs spirituelles nous transportent dans des horizons ésotériques animés de manifestations élémentales, célébrant le pouvoir de l’énergie de l’amour, perçu dans sa nature tantrique (partant de l’humain pour accéder au divin), et traitant aussi de la nécessité de ressentir le vide, l’absence de toute Présence divine dans son enveloppe physique, afin d’éveiller cette aspiration au Sacré.

Chaque composition est fondée sur un mode dont les notes sont des transpositions d’harmoniques et qui correspond à un raga indien. Ces « chansons harmoniques » bénéficient, outre la subtile science rythmique de Djamchid CHEMIRANI, d’un support instrumental qui n’a jamais été aussi diversifié. David HYKES s’accompagne en effet à la cithare, au swarpeti (sorte d’harmonium sans clavier) et se fend même, en introduction de Between Voice and Presence, d’un solo à la guitare 12 cordes sans frettes.

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Cet album est également le premier à contenir une composition entièrement instrumentale de David HYKES, Deserted Temple Part 2, qu’il joue sur trois instruments accordés harmoniquement, à savoir deux synthétiseurs et un échantillonneur, dans une veine évoquant certains travaux de Terry RILEY.

De par l’approche qui le sous-tend et les formes qu’il revêt, Let The Lover Be est assurément le disque qui se démarque le plus des œuvres réalisées par David HYKES avec son HARMONIC CHOIR. Il n’est cependant pas le seul. Paru en 1993 sur le label New Albion, True to the Times (How to Be ?) accentue le tournant et parachève le triptyque de cette phase exploratoire en solo du chant harmonique conçu comme « champ unifié » avec le rythme, le mode et le texte. Et pour la première fois, un disque de David HYKES est équitablement divisé entre pièces chantées et pièces strictement instrumentales.

Chansons, prières, psaumes et polyrythmies harmoniques sont au programme de cet album dont le titre inscrit le propos musical dans une interrogation existentielle (« Comment être ? ») que seule une quête spirituelle éveillée et « harmonisée » peut avantageusement nourrir de ses intuitions lumineuses, et dont la réponse est en fait dans une recherche inlassable, un pèlerinage de tous les instants.

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True to the Times (How to Be ?) présente ainsi un éventail de morceaux interprétés par David HYKES sous diverses formules : en solo, en duo avec un disciple de Djamchid CHEMIRANI, le percussionniste français Bruno CAILLAT au zarb (célèbre pour avoir accompagné de grands maîtres de la musique indienne et iranienne), ou en trio avec deux percussionnistes, les Australiens Peter BIFFIN au dobro et Tony LEWIS au tabla.

Plus que jamais, David HYKES déploie un instrumentarium électronique (orgue, échantillonneur, synthétiseurs) avec lequel il dessine des arabesques minérales évoquant les mouvements extatiques des derviches tourneurs, et sur lesquelles viennent rebondir les sinueux et savants « patterns » rythmiques de ses complices percussionnistes. Là encore, des analogies peuvent être établies avec certains opus de ce pionnier du minimalisme qu’est Terry RILEY. Les développements instrumentaux de True to the Times (How to Be ?) traduisent ces mouvements tourbillonnnants de la vie derrière lesquels – ou à l’intérieur desquels – vibrent des havres de contemplation qu’il suffit juste de savoir écouter…

Chœur à cœur

La phase d’investigation des niveaux de chant harmonique en tant que champ unifié (avec mode, texte et rythme) représentée par la trilogie soliste Windhorse Riders, Let the Lover Be et True to the Times (How to Be ?) pouvait laisser croire que David HYKES avait abandonné toute perspective de renouvellement créatif avec l’HARMONIC CHOIR, quand bien même celui-ci se produisait toujours sur scène. Il n’en est rien. Earth to the Unknown Power, miraculeusement sorti en 1995 sur une major (BMG Classics, qui avait alors signé un contrat avec l’artiste pour plusieurs disques… dont on n’a jamais vu la couleur !), est venu à point nommé faire l’état des lieux des travaux de David HYKES avec l’HARMONIC CHOIR qui, avec le temps et compte tenu de sa réputation internationale, a renouvelé une partie de son personnel.

Ce sont pas moins de huit membres qui se sont donc produits sur la scène de The Kitchen, à New York City, ces 10 et 11 novembre 1995 pour présenter un nouveau répertoire dont la particularité est de tenir compte des récents travaux de David HYKES sur différents niveaux de chant harmonique conçu comme champ unifié avec mode, texte et rythme, et intégrant donc, outre les voix, des instruments.

Flight of Prayer, qui ouvre le disque, s’inscrit dans la droite lignée des pièces interprétées par David HYKES et Djamchid CHEMIRANI, le zarb étant cette fois joué par Éric BARRET, membre fondateur du CHŒUR HARMONIQUE (soit la version française de l’HARMONIC CHOIR). Avec Brotherhood Returning, David HYKES et son fidèle complice de chant Timothy HILL poursuivent leur envol harmonique en duo tel qu’il fut initié dans Harmonic Meetings. Earth to the Unknown Power, en pièce de résistance qui se respecte, explore en six chapitres totalisant une demi-heure certains modes parmi les plus étranges liés au chant harmonique et inspirés de ragas indiens, s’achevant, comme dans Harmonic Meetings, par un Alleluia scandé par le daff d’Éric BARRET.

Mais c’est surtout Le Souffle du Seigneur qui illustre le mieux l’évolution de l’HARMONIC CHOIR : la pièce explore une fusion inédite de chant harmonique, de mode musical et de textes sacrés avec trois voix, deux percussions (Éric BARRET et Robert MANN) et un accordéon (Carter BURWELL) en guise d’harmonium. Avec celui-ci, l’ensemble prend par instants l’allure d’une célébration typique de la musique qawwali (cependant plus posée et moins délurée et explosive que celle du groupe de Nusrat Fateh ALI KHAN, par exemple). Il n’y a rien de très étonnant à cela quand on sait que le récitatif de ce morceau a bel et bien une composante d’inspiration soufie. Le Souffle du Seigneur (en français dans le texte, d’après une traduction de Joanna RAPHAEL et de David HYKES) reprend effectivement des extraits de poèmes médiévaux écrits par de grands mystiques soufis – RUMI, HAFEZ, ATTAR et ERÂQI – qui célèbrent Jesus Christ (Yeshua) en tant qu’être illuminé tout en évoquant avec force ésotérisme le thème de la respiration.

Synthèse du parcours entrepris par David HYKES avec et sans le Chœur harmonique, Earth to the Unknown Power apparaît également comme une révolution technologique puisque le concert qu’il documente a inauguré le procédé de « l’abbaye virtuelle », développé par David HYKES, Jon HOBBS et Luc MARTINEZ. Le son live du concert à The Kitchen a ainsi été digitalement encodé et envoyé par lignes téléphoniques ISDN dans l’abbaye du Thoronet, diffusé en « play back » à travers les remarquables architectures de celle-ci puis ré-encodé et renvoyé dans la salle new-yorkaise, permettant ainsi au public de savourer l’acoustique de l’abbaye du Thoronet sans y avoir mis les pieds !

L’écoute du CD est tout aussi bluffante, car on retrouve vraiment l’acoustique de l’abbaye telle qu’on l’avait connue dans Hearing Solar Winds et Harmonic Meetings. Ce « concert virtuel » fut l’événement de l’édition 1995 du festival Musiques d’aujourd’hui Nice/Côte d’Azur, organisé par le Centre international de recherche musicale (CIRM).

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L’album qui a suivi Earth to the Unknown Power ne se révèle guère différent de ce dernier. Il en est même à priori le double, voire l’ombre, puisque son répertoire est, à la base, le même. Enregistré lors des concerts donnés au Glyptoteket de Copenhague les 15 et 16 novembre 1996, Breath of the Heart, paru sur le label danois Fønix Musik, reprend donc la structure et les thèmes de son prédécesseur. Mais compte tenu du renouvellement de personnel au sein de l’HARMONIC CHOIR et du contexte d’écoute propre à ces concerts, de nouvelles improvisations tant vocales qu’instrumentales ont vu le jour et les pièces ont été parées de couleurs et de contours inédits.

Comme à l’accoutumée, la session débute par une « ouverture harmonique » soliste de David HYKES, qui est bientôt soutenue par le zarb de Bruno CAILLAT, lequel s’impose également avec un solo très raffiné. Breath of the Heart est ni plus ni moins qu’un nouveau vol plané  scellant la fraternité harmonique de David HYKES et de son éternel complice Timothy HILL, cette fois-ci rejoints à nouveau par Bruno CAILLAT au zarb.

Suit une nouvelle version du Souffle du Seigneur (The Lord’s Breathing), plus étalée encore que sur le disque précédent (presque vingt minutes), et dans laquelle les flûtes ney et le tanbur de Stéphane GALLET (un élève de Kudsi ERGUNER) impriment une coloration moyen-orientale, persane, à ce florilège de stances poétiques « harmonisées ». Le set s’achève sur un nouvel appel aux « forces inconnues » (Unknown Powers) avec en final des Alleluia rythmés par le daff de Bruno CAILLAT, puis des sous-harmoniques à la tibétaine qui engendrent une minute de silence méditatif dans toute la salle, avant que ne se fasse entendre l’usuel tintement de cymbales, marquant l’aboutissement du voyage.

Même avec un programme quasi similaire à Earth to the Unknown Power, Breath of the Heart n’en possède pas moins une teinte spécifique imprimée par les conditions d’écoute et d’interprétation propres à ce lieu, ce moment. Identique et tout à la fois différent… Sans parler de l’effet indéniablement rassérénant, apaisant, que produit le son harmonique, tant sur celui qui le produit que sur celui qui le reçoit, et qui ouvre la conscience sur une nouvelle perception de ce qui EST, authentique et essentiel.

Méditations aérodynamiques

Au début des années 2000, la production discographique de David HYKES témoigne d’une nouvelle phase exploratoire soliste. C’est ainsi avec seulement le fidèle compagnon de chant harmonique Timothy HILL et le percussionniste Robert MANN que David HYKES enregistre Rainbow Dances (For Your Rainbow Heart), soit une série d’improvisations mettant en relief les aspects « pulsatifs » du chant harmonique.

Dans le prolongement du travail initié avec Windhorse Riders, la formule voix + percussions confronte le son harmonique spectral à la pulsation rythmique pour aboutir à un nouvel espace harmonique à la lumière du temps harmonique. Rainbow Dances ajoute cependant une nouvelle dimension à cette approche en usant d’éléments « électroniques ». Qu’on se rassure, les chants harmoniques de David HYKES et de Timothy HILL sont toujours produits de façon naturelle, acoustique ! L’incursion de l’électronique se traduit uniquement par l’emploi d’un « harmoniseur » qui est le fait d’un producteur spécialisé dans la digitalisation audio, Vincent BAETTIG.

Cet harmoniseur permet de « polyphoniser » les deux voix en présence, donnant l’impression que les chanteurs se sont dédoublés, qu’ils sont deux à trois fois plus nombreux. Cette « polyphonie spectrale » n’est pas totalement nouvelle chez David HYKES, puisque sa toute première oeuvre musicale, Harmonic Tissues (1971), et son film expérimental Moving Parts (1973-74) étaient déjà fondés sur l’harmonisation polyphonique. Rainbow Dances ne fait que remettre ce travail en perspective d’une exploration harmonique qui s’est considérablement accrue depuis ces premiers pas.

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Le long des sept pièces incluses dans ce CD, les effets d’écho, de bourdon, les impressions de proximité ou de distance des voix tendent à « flexibiliser » l’espace, à lui donner une souplesse qui en accentue la nature spectrale. Les mouvements de ces voix fantomales en relation avec la pulsation rythmique de la percussion engendrent des courants et fluides vitaux, des élans oscillatoires qui traduisent la nature aérodynamique de la vie subtile.

Arcs-en-ciel palpitants, esprits dansants, souffles sépulcraux et tourbillons cellulaires habitent cet album aussi déroutant que subjuguant.

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Un nouvel album de David HYKES paraît en 2005 sur le label Sounds True : Harmonic Meditations. Sous-titré Music from the Heart of the Cosmos, il comprend des enregistrements réalisés en 2002 dans deux lieux différents. Ces « méditations harmoniques » alternent quatre pièces solistes de David HYKES avec trois pièces créées en trio avec deux membres de l’HARMONIC CHOIR, Joel BLUESTEIN et Mickey GIBSON. La participation de l’HARMONIC CHOIR inscrit évidemment ce disque dans le sillage de Earth to the Unknown Power et Breath of the Heart bien plus que dans le domaine de la chanson harmonique.

Néanmoins, ce qui distingue ces pièces méditatives des précédentes réalisations avec le Chœur harmonique est – une fois encore – leur contexte d’enregistrement, lequel a une incidence sur les conditions de manifestation de la matière harmonique elle-même.

En effet, ce n’est pas dans un lieu sacré type cathédrale ou abbaye qu’a eu lieu l’enregistrement, mais dans une vaste citerne vide et souterraine à Washington ! Ce lieu pour le moins singulier a prodigué à ces méditations sa réverbération particulière, dense, profonde et étirée qui en fait de formidables portes ouvertes sur les fréquences vibratoires du « cœur du cosmos ». D’un espace étriqué d' »en bas », on accède à l’espace illimité d' »en haut ». Les résonances célestes se manifestent dans un monde enfoui, souterrain…

Difficile de ne pas voir dans ce paradoxe un écho de la théorie de David HYKES selon laquelle la musique est une échelle construite à partir de lois harmoniques précises qui coordonnent les montées et les descentes de la conscience et de la matière ; « en bas comme en haut », comme il est dit dans l’alchimie et dans le tantrisme.

Le huitième morceau du CD voit la participation de l’HARMONIC CHOIR au grand complet, soit sept voix bénéficiant d’un support instrumental au zither, tampura et percussion. The Silent Ground provient d’un concert donné pour la radio WNYC-fm en novembre 2002 à l’occasion de la réouverture du « jardin d’hiver » (Winter Garden) attenant à l’ancien World Trade Center… C’est littéralement à une « reconsécration » – pour ne pas dire purification – de Ground Zero que s’est adonné David HYKES et son HARMONIC CHOIR ce soir-là.

La pièce, d’une durée de vingt minutes, impressionne par sa densité, son amplitude, sa charge magnétique ; le bouillonnement qui la caractérise rappelle les séquences les plus mouvementées d’À l’écoute des vents solaires. C’est tout juste si l’on ne capte pas, à travers les multiples envols harmoniques, les résonances des clameurs et des cris provoqués par le sinistre événement du 11 septembre, un an auparavant… Si la musique, et le chant harmonique en particulier, a un pouvoir guérisseur, c’est bien plus dans The Silent Ground qu’on le trouve que dans ces vélléitaires et pâlottes musiques dites de guérison…

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Harmonic Meditations contient aussi en clôture deux pièces choisies pour figurer dans la bande originale du film Voyageurs et Magiciens, réalisé en 2003 par le lama tibétain et cinéaste Dzongar Khyentsé RINPOCHE (déjà rendu célèbre avec La Coupe). Le premier morceau, Times to the True, est tiré d’un concert en 1991 (le même dont on trouve des extraits dans l’album True to the Times et dans la version CD de Current Circulation). David HYKES y joue d’un clavier polyrythmique harmonique et est accompagné par Peter BIFFIN au dobro sans frettes et par Tony LEWIS au tabla. Le second morceau, Special Times Three, provient d’un concert donné par le David HYKES ACOUSTIC TRIO (avec Peter BIFFIN aux dobro et e-bow et Bruno CAILLAT au zarb) à Radio France en 1993.

Bien que de prime abord un peu disparates par rapport aux « méditations » précédentes, puisqu’orientant le propos du côté de la polyrythmie et de la chanson harmoniques, ces deux bonus achèvent de faire de cet album un brillant condensé des différents aspects de la prospection de David HYKES.

Rencontres avec des mondes harmoniques remarquables

À travers la dizaine d’albums enregistrés jusqu’ici par David HYKES se lit l’évolution de la pratique harmonique, tant dans ses options musicales que théoriques, et bien entendu spirituelles. Bien qu’elle n’ait jamais fondamentalement changé d’axe, cette théorie n’a cessé de s’affiner et de se complexifier. Les productions discographiques avec le Chœur harmonique peuvent donner l’impression de réitérer les mêmes approches, ou en tout cas de rebondir sur les mêmes postulats.

Mais les œuvres actuelles de David HYKES reflètent avec acuité toute l’ampleur de son exploration du « fait » harmonique depuis une trentaine d’années à la lumière d’une solide initiation spirituelle, et on ne peut décemment pas demander à son fondateur de couper avec ses racines spirituelles par seul souci de renouvellement artistique, lequel n’aurait guère de sens sans cette vision du chant harmonique comme pratique universelle à la dimension sacrée.

Et quand bien même la matière harmonique peut pourvoir par exemple à des besoins thérapeutiques, ou être utilisée comme simple « enrobage » artistique, toute l’oeuvre de David HYKES tient aussi son intérêt de la vision cosmologique et de la connaissance spirituelle qu’elle dispense. Il y est question de sensibilisation, d’accord, d’harmonisation avec une forme de réalité de nature vibratoire que la pratique et l’écoute du chant harmonique aident à percevoir. Dans l’écoute, la respiration et la voix harmonique se découvrent des espaces de résonances qui se jouent des dichotomies habituelles (intérieur/extérieur, haut/bas, etc.).

Ces espaces, ces « mondes harmoniques » sont comme des portraits sonores d’une manifestation sacrée. Et ce sont ces portraits que David HYKES et son HARMONIC CHOIR ne cessent de vouloir peindre, de rendre « visibles » à l’oreille de qui veut bien tenter l’expérience.

Dans son onzième opus discographique, Harmonic Worlds – qui inaugure pour son auteur l’ère de l’autoproduction –, David HYKES offre donc à explorer sept nouveaux univers harmoniques de nature modale. Le choix du nombre n’est pas innocent : sept, comme les sept planètes visibles du système solaire, comme les sept notes de la gamme, réhaussées par l’octave, soit l’échelon le plus élevé de la série harmonique.

Ces sept notes, David HYKES les définit comme des êtres, des couleurs ou des qualités vibrationnelles, chaque note étant aussi un nombre, une fréquence, un cycle, une harmonique, un véhicule aérodynamique dont on peut moduler l’orientation et le timbre.

L’HARMONIC CHOIR à l’oeuvre dans cet album est constitué de quatre voix (David HYKES, Timothy HILL, Seth MARKEL et Joel BLUESTEIN) et de deux percussionnistes (Évry MANN et un nouveau membre, Bob MULLER au tabla). Zither, flûte ney et carillons ajoutent également leurs timbres ici et là… La formule est désormais classique, mais l’effet qu’elle produit est toujours aussi saisissant et la musique est loin d’être figée : au contraire, tout ici relève du mouvement gravitationnel, à la fois vocal, rythmique et harmonique.

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Chaque « monde » évolue en spirale, distillant un climat aussi intense qu’extatique, animé et pourtant si proche du silence… Les sept mondes traversés forment un système solaire battu par les vents, une galaxie réfléchie par les souffles…

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2007 aura été une année importante dans la production de David HYKES puisque parallèlement au CD Harmonic Worlds est paru un DVD, le tout premier à documenter une performance live de David HYKES avec son Chœur harmonique. Intitulé Harmonic Meeting, il contient la captation du concert donné par l’HARMONIC CHOIR à la Cité de la Musique de Paris en février 2006, dans le cadre de la thématique « Extase et Transe ». Au sein de celle-ci étaient aussi programmées des personnalités de la musique contemporaine qui ont influencé David HYKES dans ses plus jeunes années, tel Terry RILEY et Steve REICH. L’oeuvre de David HYKES a ainsi rejoint en consécration les leurs.

À ceux qui y étaient comme à ceux qui en étaient absents ou n’ont jamais eu l’opportunité d’assister à un concert de David HYKES, ce DVD permet de revivre l’intégralité d’une performance qui, à bien des égards, prend les traits d’une singulière méditation communautaire, d’une remarquable expérience autant spirituelle que sonore et musicale. On peut ne rien entendre aux gammes non tempérées, aux chants et aux sons des autres cultures, ne pas verser dans un discours universaliste que d’aucun peut hâtivement assimiler à du jargon new-age, mais il est décidément impossible de ne pas être « happé » par le son harmonique et de ne pas ressentir ses fragrances mystiques… à moins d’avoir totalement annihilé sa faculté d’écoute. Et c’est bien cette disposition d’écoute que cherche à éveiller le Chœur harmonique de David HYKES. Pratiquer ou simplement écouter le chant harmonique permet de capter cette résonance à la fois intérieure et universelle.

Ce concert donné à Paris a présenté un panorama assez complet sans être exhaustif des oeuvres majeures à la fois passées et plus actuelles conçues par David HYKES avec un HARMONIC CHOIR en l’occurrence exclusivement masculin, constitué de six voix parfois accompagnées de quelques instruments (cymbales tibétaines, swarsangam, zarb, daff, flûte ney et tanbur). Comme à l’accoutumée, la performance a débuté avec une Ouverture harmonique soliste de la part de David HYKES qui a introduit un Chemin spectral en duo avec le percussioniste Bruno CAILLAT. Une deuxième voix, celle de Timothy HILL, a rejoint celle de David HYKES dans Brotherhood pour un accordage aux somptueuses résonances.

Puis le Chœur a exploré une phase plus « incarnée » du chant harmonique avec la récitation harmonisée du fameux mantra tibétain Om Mani Padme Hung, avant d’entamer une première pièce de résistance, le désormais emblématique Souffle du Seigneur, avec ses poésies mystiques moyen-orientales harmonisées et colorées de la flûte ney et du tanbur de Stéphane GALLET.

Le concert ne pouvait guère s’achever sans une interprétation du séminal À l’écoute des vents solaires. La version qui en fut délivrée à ce concert est certes plus « ramassée » et compressée que celle du CD, mais elle illustre l’essentiel de cet opus qui, pour beaucoup, fut et est encore la porte d’entrée privilégiée à l’univers sonore de David HYKES.

Enfin, comme pour conjurer la réputation extra-terrestre de cette musique, le maître de cérémonie a tenu à initier le public à la pratique en direct du chant harmonique. À la faveur d’une bien nommée Rencontre harmonique, toute la salle (ou presque), guidée par les instructions de David HYKES, a entonné un « mmmmm » qui a subi progressivement moult variations personnelles, chaque gorge essayant cependant de s’harmoniser avec ses voisines.

Sans forcément atteindre les sommets auxquels peut parvenir une assemblée de 800 000 personnes, l’expérience vécue par l’auditoire plus restreint de la Cité de la Musique a indéniablement eu un effet pacifiant, voire thérapeutique, et n’a pas manqué de se transformer en communion vibratoire. Tout spectateur de ce DVD est évidemment convié à prendre part, dans son salon, à cette pratique lors du visionnage…

Ce DVD ne contient aucun bonus du genre interview, making-of ou scènes coupées, mais le concert, convenablement filmé, se suffit à lui-même et résume parfaitement tous les aspects de l’exploration du phénomène harmonique entreprise jusqu’à présent par David HYKES.

* * *

Aujourd’hui, l’œuvre de David HYKES et de l’HARMONIC CHOIR fait indéniablement partie de l’histoire de la musique occidentale du XXe siècle. Bien que David HYKES en soit le créateur, le chant harmonique est depuis devenu un terme générique repris par des musiciens, compositeurs et thérapeutes qui se sont inspirés des idées et de la musique de David HYKES. Les nombreuses sollicitations artistiques dont sa musique a fait l’objet témoignent de son impact.

David HYKES a ainsi collaboré à deux reprises avec le cinéaste Peter BROOKS, pour ses films Rencontres avec des hommes remarquables (de l’ouvrage du même nom de GURDJIEFF) et Le Mahabharata.

La musique de David HYKES se fait également entendre dans les films Voyageurs et Magiciens du lama tibétain Dzongar Khyentsé RINPOCHE, Le Cercle des poètes disparus de Peter WEIR, Baraka de Ron FRICKE, ou encore Ghost de Jerry ZUCKER.

Mentionnons de plus la collaboration de David HYKES à la bande originale du superbe film-documentaire Vajra Sky over Tibet, troisième volet de la Yatra Trilogy de John BUSH, conçue comme un pèlerinage cinématographique sur les sites sacrés bouddhistes et hindouistes en Asie.

Ce troisième volet dévoile l’expédition entreprise par son auteur sur les hauteurs himalayennes, à la découverte des sites et monastères dévolus au bouddhisme tibétain, dont on sait que la pratique est interdite par les autorités chinoises qui, depuis leur génocide humain débuté en 1950, opèrent une sournoise politique d’assimilation qui ne peut qu’entraîner à terme la disparition de la culture tibétaine. Filmé quasiment sous le manteau (c’est-à-dire sans l’approbation des instances chinoises) et entièrement à la lumière naturelle, Vajra Sky over Tibet offre de magnifiques et émouvantes images que viennent contraster des propos révélant la tragédie endurée par le peuple tibétain et la fragilité de leur culture.

Le DVD propose deux versions de visionnage : l’une avec des commentaires off, et l’autre avec uniquement la bande musicale, dans laquelle on retrouve de célèbres artistes tibétains, tels que Yungchen LHAMO, DADON, Choying DROLMA et Nawang KHECHOG. David HYKES contribue donc de même à cette bande son avec de nombreux extraits de ses oeuvres, mais aussi des pièces inédites dans lesquelles son chant harmonique se mêle à la voix de la remarquable chanteuse tibétaine DADON, encore peu connue chez nous. Ce « soundtrack » ambient immerge totalement le spectateur-auditeur au coeur de la culture bouddhiste tibétaine et en révèle la profonde vibration spirituelle. Ce DVD n’est malheureusement pas distribué en France, mais on peut le commander sur le site de la Fondation Présence harmonique de David HYKES.

Signalons pour finir que David HYKES a également produit le seul enregistrement de la chanteuse indienne Sheila DHAR disponible en Occident. Intitulé Voyage intérieur, ce double CD paru sur Ocora – Radio France en 1992 permet de découvrir l’univers profondément dévotionnel du chant khyal de celle que David HYKES cite comme une influence majeure, tant musicale que spirituelle, et qu’il accompagne ici au tampura. Ce disque est de même disponible sur le site de David HYKES.

Entretien avec David HYKES

Pouvez-vous évoquer le contexte dans lequel vous avez été amené à découvrir le chant harmonique, notamment à travers les traditions tibétaine et mongole ?

David HYKES : En fait c’est l’histoire d’une double rencontre. Il y a eu déjà la révélation de la nature harmonique du son musical telle que travaillée et présentée par une poignée de compositeurs contemporains, La Monte YOUNG, Terry RILEY, Tony CONRAD, pour lequel à l’époque j’étais jeune compositeur musicien à New York, et cinéaste. Leur travail m’avait complètement emballé. J’étais totalement émerveillé par cette découverte de la nature innée, harmonique, du son. Ce qui manquait, enfin ce qui n’était pas un aspect très travaillé chez eux, c’était l’aspect des harmoniques vocales.

Cette découverte m’est venue à la même période, tout à fait par hasard, alors que je réalisais un film pour lequel j’avais fait une bande originale, en travaillant l’enregistrement de la voix de ma copine à l’époque. J’avais en effet transformé sa voix en harmonique sans savoir du tout que ça existait dans la nature. J’ai montré ce film au Withney Museum of American Art à New York, et quelqu’un est venu après la séance « extasié par le chant tibétain », d’après lui, de la bande sonore de mon film ! Alors bien sûr j’ai dit : « Formidable, mais de quoi s’agit-il ? »

Jusqu’ici, j’avais été sensibilisé aux harmoniques du son par les compositeurs que j’ai cités et puis il y avait eu un peu de voix dans quelques-unes de leurs oeuvres, mais pas vraiment de travail là-dessus. Alors le lendemain de la projection, j’ai couru au magasin de disques le plus proche pour essayer de trouver la musique en question, et j’ai trouvé deux des tout premiers disques de musique tibétaine. Cette exploration des harmoniques par des moines de Gyuto m’a complètement sidéré ! J’ai aussi trouvé un disque de musique mongole. Ma vie a changé au moment même, c’était clair pour moi ; j’ai senti un appel très, très fort.

Je me suis alors littéralement « retiré ». J’avais fait dans mon loft à New York une chambre anéchoïque, et vraiment j’ai fait une retraite avec ces disques pendant laquelle je n’ai quasiment fait qu’écouter et essayer de me plonger dans cet univers musical. Et la sensibilisation que j’ai eue, par ce renouveau d’intérêt pour l’aspect harmonique du son chez les compositeurs dits minimalistes et ce fort impact autant spirituel que musical dans ces chants sacrés et traditionnels tibétains et mongols de l’Asie Centrale, m’a beaucoup touché et énormément inspiré.

Alors, environ trois semaines plus tard, je suis sorti de ma retraite. Les harmoniques avaient vraiment envahi mon loft. J’ai réuni un groupe de mes amis cinéastes et j’ai dit « écoutez ceci », et voilà ! C’était au printemps 1975, et c’était la naissance du Chœur harmonique.

Et tous ont été aussi emballés que vous par cette musique-là ?

DH : Oui, ils ont été emballés parce que je leur ai montré dès les premières semaines les nouvelles possibilités qu’offraient ces chants et qui n’existaient absolument pas dans les musiques précédentes. Pour le travail en groupe, j’ai donné champ libre à ces gens pour trouver des possibilités d’explorer en direct la nature harmonique du son. De plus, il y a eu le fait d’avoir été invités en tant qu’artistes en résidence dans cette grande cathédrale Saint-John-The-Divine à New York, où d’emblée s’est révélé l’aspect harmonique de l’espace.

Travailler les harmoniques naturelles dans un climat de recherche musicale et spirituelle très intensive, très intuitive, dans une acoustique absolument sublime à plusieurs, c’est ce qui a fait naître ce que j’appelle le chant harmonique. Et puis aussi le fait que, malgré mes efforts, la République populaire mongole était totalement fermée et que j’ai dû attendre sept ans avant d’avoir un visa.

Pendant sept ans, j’ai donc mené ce travail avec mon groupe, auquel il faut ajouter ces explorations un peu lointaines, mais aussi le fait d’avoir trouvé quelques conseillers dans la communauté tibétaine à New York, et puis mes propres recherches et aussi en parallèle la démarche spirituelle que je suivais à l’époque, les encouragements que j’ai eus du monde spirituel, notamment des représentants tibétains et autres, et dans l’enseignement que je suivais. Tout cela a fait que nous avons eu l’honneur d’être présents là où il s’est passé quelque chose. Ce fut assez passionnant déjà pour nous, et ça a attiré beaucoup de monde à l’époque. Il s’est passé quelque chose…

Bien sûr, ce qui s’est passé résulte de l’addition simple des influences et facteurs présents et de mon obsession avec cette piste de travail, mais au fond rien de tout cela ne peut expliquer le fait que ça ait vraiment donné naissance à une forme de travail musical qui est en harmonie avec tout ce qui s’est fait auparavant mais qui n’a pas exactement la même nature. Ce n’est pas tibétain, ce n’est pas mongol, ce n’est pas touvain, ce n’est pas avant-garde, ce n’est pas de la musique contemporaine, c’est vraiment autre chose.

Votre travail s’inscrivait aussi dans une quête du sacré…

DH : Oui, on voulait que ce soit en harmonie avec la musique sacrée, que ce soit une musique sacrée. On avait une sorte de joie, une intensité, un dévouement au travail, qui a mené à des expériences concrètes dans lesquelles les voix se fondaient dans l’espace de l’architecture sonore de cette cathédrale de New York. Notre exploration n’était donc pas limitée à nos propres instruments, mais au déploiement de ces possibilités harmoniques dans un espace d’architecture sacrée.

Aussi, quand on m’a parlé de l’abbaye du Thoronet, vers 1976-1977, j’ai su tout de suite qu’il fallait absolument que j’y aille. J’ai reçu un prix du Ministère de la culture américain pour venir travailler en France un an, et le Ministère de la culture français a bien voulu soutenir ce projet. J’ai ainsi pu venir et finalement je suis resté ici. Cela s’est produit en deux temps. En 1978, je suis venu une première fois enregistrer du chant harmonique dans l’abbaye du Thoronet, et ce fut une très, très grande découverte. Ensuite, je suis revenu en 1982 à l’invitation du label Ocora pour faire le disque À l’écoute des vents solaires puis après donner les premiers concerts de chant harmonique en France au Théâtre de la Ville, à Paris.

Pour moi, il y avait un rapport évident entre l’espace créé tel que celui de l’abbaye du Thoronet et ce travail. Amener ce travail avant-gardiste dans un lieu moyenâgeux constituait vraiment une réunification.

Comment s’est conçu ce premier album, À l’écoute des vents solaires ? Parce que le Chœur harmonique a commencé en 1975, mais le disque n’est sorti qu’en 1983. J’imagine que la conception de cette œuvre a dû passer par plusieurs phases ?

DH : Il y a eu une longue phase de mûrissement de travail. J’ai commencé à présenter À l’écoute des vents solaires avec le groupe en concert à partir de 1977. Et l’œuvre telle qu’elle a été enregistrée dans la première visite au Thoronet en 1978 – puisque j’ai contribué à la bande originale pour le film Le Cercle des poètes disparus – a été le fruit de cette première phase de travail. Il faut comprendre aussi que la soi-disant nouveauté – je dirais plutôt redécouverte d’un aspect profondément primordial dans une démarche de spiritualité musicale – est liée au fait que la matière première était d’une telle présence, d’une telle force, qu’on n’avait presque aucune idée préconçue de comment s’y prendre.

C’était une collaboration déjà entre les personnes, entre les matières, entre cette naissance et les inspirations des traditions précédentes et encore vivantes, fortement présentes à nos esprits, les influences du lieu, tout ce dont j’ai parlé auparavant. Et donc j’avais peu de préjugés sur mon rôle de compositeur, sur mon rôle de chef de chœur, et pas de préjugés sur mon rôle de chanteur, que du reste je n’ai jamais pensé devenir ! Il faut voir ça comme un clin d’œil, comme une expérience d’enlèvement harmonique. C’était vraiment comme être happé dans un autre monde musical et y rester longtemps… Je suis un acharné du travail. Quand on était artistes en résidence dans la cathédrale Saint-John-The-Divine, on a effectué des séances de trois heures par soir au moins trois fois par semaine, plus les concerts privés le dimanche dans le baptistère… qui avait une acoustique absolument merveilleuse.

Et à ces concerts étaient invités un dimanche Yehudi MENUHIN, un autre dimanche Lukas FOSS, un autre encore une équipe de télévision de la Canadian Broadcast Corporation, ou bien Brian ENO… Il y avait une sorte de plaque tournante de personnes qui sont venues pendant une dizaine d’années aux concerts privés. Cette période de concerts privés de 1975 à 1982 a participé à la genèse du chant harmonique, qui n’était pas un travail dans le vide mais un travail vraiment dans la vie à New-York.

À partir de 1982, il y a eu beaucoup de concerts en France et en Europe. Le premier concert en France a été donné au festival d’Avignon. Après l’enregistrement d’À l’écoute des vents solaires, il y a eu une tournée en Europe, puis une série de concerts au Théâtre de la Ville. Voilà pour la naissance du chant harmonique en France.

Est-ce à la même époque que vous avez commencé à animer des stages de chant harmonique ?

DH : Oui, je comptais déjà en 1982 donner des enseignements dans l’esprit d’une approche globale de la spiritualité musicale. Il y a donc eu concerts plus retraites, stages, enseignement. En fait, même lors de mon premier séjour en 1978, il y a eu des rencontres avec des gens d’ailleurs tout à fait extraordinaires, exceptionnels. C’était Robert et Deborah LAWLOR qui ont beaucoup travaillé avec R.A. SCHWALLER DE LUBICZ dans le domaine de l’égyptologie ésotérique. C’est à partir de 1978 que j’ai commencé à parler en France de chant harmonique et de la démarche artistique spécifique à ce vocabulaire.

À partir de 1982, il y a eu une expansion de cette démarche d’enseignement. Il y a eu notamment des stages au niveau international avec le CNFPT, le Centre national de formation publique territoriale, donc des personnes qui travaillent pour l’État. Ça allait du prof de musique dans des petites communes jusqu’aux directeurs des conservatoires nationaux. Je les amenais une semaine chaque fois pour ce que j’appelais des « pèlerinages sonores ». Nous allions à vingt ou trente personnes dans une sorte de pèlerinage de l’abbaye du Thoronet jusqu’à Senanque ou l’abbaye de Fontfroide, près de Narbonne. Il s’agissait d’immerger les gens dans cet univers de chant harmonique et dans le travail de l’esprit de l’écoute qui accompagne bien cette démarche musicale.

Donc à partir de 1987, puisqu’il y avait ce programme d’échange avec le ministère de la culture aux États-Unis, je suis venu m’installer définitivement en France.

Depuis sa première parution en vinyle, l’album À l’écoute des vents solaires a été réédité en CD à deux reprises, avec chaque fois des modifications dans le mixage. Pourquoi ?

DH : Le pressage d’origine en 33 tours est sorti en 1983, le jour de mes 30 ans. La même édition est ressortie en CD en 1987 avec les mêmes notes de livret. J’en ai profité pour retravailler un brin le son en studio, mais pas beaucoup puisque c’est presque le même montage. J’ai quand même travaillé un petit peu sur les bandes originales, mais c’est la même œuvre.

Suite à divers facteurs liés au monde de l’édition phonographique, bref après maintes années assez compliquées, j’ai pu ressortir le disque en 2003 chez Signatures, grâce à l’invitation de Bruno LETORT. Pour cette occasion, j’ai complètement retravaillé les enregistrements originaux, vraiment juste pour la pureté du son et aussi quand même pour effectuer un léger remaniement de l’œuvre. J’ai raccourci certaines choses, j’en ai éliminé d’autres ; il y a plus de concision. Tout compte fait, je trouve cette version plus aérodynamique, plus « voie express ». J’ai été très heureux de pouvoir faire cette édition définitive dont le livret contient de nouveaux textes, parce qu’il y a quand même vingt ans qui séparent la première version de celle-ci.

Petit à petit, votre approche du chant harmonique s’est enrichie de nouveaux éléments, dont le texte.

DH : À partir de 1985, avec Harmonic Meetings (paru en 1986), il y a eu une première exploration du texte. Mon idée, à travers mes albums, c’était de définir des territoires chaque fois propres au chant harmonique mais d’une manière différente, des sphères d’expression différentes. À partir de 1986, on a ainsi travaillé entre autres avec les textes, on a trouvé les liens entre les harmoniques, les textes sacrés de diverses traditions, surtout les poésies sacrées de Jellaludin RUMI.

On a retravaillé leurs racines harmoniques communes en prenant le chant harmonique comme une sorte de langage primordial aussi spécifique que le sanscrit, le tibétain ou l’araméen, qui a le grand avantage, en étant une langue primordiale, de ne pas être une langue spécifique et qui respecte la matière harmonique inné de l’expression vocale et de ne pas être par exemple une langue construite comme l’esperanto, qui prétend elle aussi être une langue universelle.

Votre quête de l’universalité a-t-elle quelque chose en commun avec l’idée de « globalisation » très répandue actuellement dans divers domaines, dont celui de la musique ?

DH : La quête de l’universalité m’est très chère et je ne pense pas qu’elle puisse se réduire à une construction conceptuelle ou à une idéologie. Elle passe par la perception chez l’auditeur de quelque chose d’universel qui est véhiculé par la forme en question. Donc ce ne sera jamais une prétention, comme une sorte de globalisation de… non !

En revanche, l’idée est très intéressante par rapport à la situation actuelle dans la musique, et ces appellations « musiques du monde », « musique des mondes ». L’étiquette « musique du monde » dans le sens plus large, monde étant l’univers, est presque la seule qui m’intéresse parce que finalement il n’y a aucune notion de localisation dans l’universel.

L’universel est toujours dans des formes très spécifiques mais qui ne sont pas délimitées par une attache particulière dans les cultures. C’est vrai que le chant harmonique n’est pas une musique qui vient de quelque part en particulier. Ça vient d’où habitent les pratiquants, à la rigueur. Mais sinon c’est une musique qui vient de partout et très littéralement. Il est intéressant de se rappeler qu’il y a eu des ondes harmoniques dans le Big Bang par exemple, ça s’appelle le rayonnement fossile ; c’est un terme très important dans les recherches cosmologiques d’aujourd’hui. Il y a des ondes harmoniques partout dans l’univers, au coeur du soleil ; c’est la sismologie, un million d’harmoniques dans le soleil. C’est un phénomène très répandu.

On peut parler des harmoniques comme étant une présence dans la nature aussi universelle que la gravité, la lumière, la chaleur ou autre chose de cet ordre. Heureusement pour nous les Terriens, elle a une résonance particulièrement forte dans la musique. L’écologie vibrationnelle de l’univers comprend bien d’autres exemples de ce que nous appelons « présence harmonique ». Pour nous, l’exploration est surtout dans cette notion universelle que tout son musical dans le monde est le reflet de cette présence harmonique. Cette présence harmonique se retrouve aussi dans d’autres aspects de notre conscience, respiration, écoute, sensations… La nature vibratoire est en fait essentielle à toute manifestation.

Heureusement et miraculeusement, on partage quand même quelque chose de cette nature aussi musicale ; et c’est un peu ce qui motive notre recherche : travailler, vivre, avoir des expériences de cette nature dans cet univers particulier et magnifique qu’est la musique.

Et c’est donc le caractère universel de cette présence harmonique qui vous a amené à intégrer d’autres éléments au chant harmonique, comme le rythme, les percussions ?

DH : Oui, voilà. Cela fait partie des douze niveaux qui font un peu la grille de l’étude du chant harmonique. Il faut savoir que c’est en fait tout le spectre de l’expression musicale qui est harmonique, et non pas juste les « overtones », les sons aigus. Il nous est très important de garder cette vision globale de la nature musicale comme étant harmonique à tous les étages, à toutes les octaves ; aussi bien les octaves du rythme, les octaves sous-harmoniques des sons très graves… Tout fait partie de cet axe harmonique global.

Vous avez notamment travaillé sur des chants sacrés, les Kyrie, les Alleluia, et après sur des albums comme Let The Lover Be, vous avez aussi emprunté à des poètes soufis, vous avez écrit vos propres textes…

DH : Dans Le Souffle du Seigneur, il y a des extraits de poèmes de RUMI, en effet, et d’autres poètes soufis ; j’ai également conçu des œuvres sur les textes de RILKE. J’aime beaucoup son recueil Vergers, paru en français à la fin de sa vie. Et puis il y a des textes à moi. Je souhaitais explorer le pont entre la poésie de la parole et une poésie entre le non-dit et l’indiscible, trouver une poésie harmonique pure.

L’enseignement que vous avez eu avec Sheila DHAR y est sûrement pour quelque chose dans votre détermination à unifier le chant harmonique avec le texte, la parole ?

DH : Oui, totalement. Pouvoir travailler avec Sheila DHAR a été un privilège extraordinaire. C’était un être magnifique, et son apport a été très important sur plein de plans du travail dans le chant harmonique. Plus récemment, les invitations que j’ai eues des plus hautes sphères tibétaines pour avoir l’honneur d’offrir des musiques pour diverses oeuvres du monde tibétain ont aussi été une très forte inspiration.

Travailler avec les mantras par le chant harmonique est une clé pour l’avenir de cet art, dans l’optique de retrouver sa globalité aussi par les textes et par la parole. Ça me semble une piste toujours très vivante et très riche.

Article, chroniques et entretien réalisés par Stéphane Fougère
Photos : livrets CD, DVD et Sylvie Hamon

Site David HYKES : www.harmonicpresence.org

Discographie David HYKES

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Hearing Solar Winds – À l’écoute des vents solaires (Ocora – Radio France, 1983 ; réédition CD Ocora – Radio France, 1986 ; nouvelle édition Signatures – Radio France, 2003 ; Hearing Solar Winds Alight : Special 25th Anniversary Remastered Edition, autoproduction, 2008)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Current Circulation (Celestial Harmonies, 1984)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Harmonic Meetings (Celestial Harmonies, 1986)

* David HYKES & Djamchid CHEMIRANI : Windhorse Riders (New Albion, 1989)

* David HYKES : Let the Lover Be (Auvidis, 1991)

* David HYKES : True to the Times (How to Be ?) (New Albion, 1993)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Earth to the Unknown Power (BMG Classics/Catalyst, 1996)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Breath of the Heart (Fonix Musik, 1999)

* David HYKES : Rainbow Dances (Fonix Musik, 2002)

* David HYKES with THE HARMONIC CHOIR : Harmonic Meditations (Sounds True, 2005)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Harmonic Worlds (Harmonic Presence Foundation, 2007)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Harmonic Meeting (DVD) (Harmonic Presence Foundation, 2007)

* David HYKES & THE HARMONIC CHOIR : Harmonic Mantras (Fønix Musik, 2011)

(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°34 – juillet-août 2007,
et mis à jour en 2020)

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