Hector ZAZOU & SWARA – In The House of Mirrors

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Hector ZAZOU & SWARA – In The House of Mirrors
(Crammed Discs)

Explorateur des sons sans ancrage stylistique particulier, ayant versé dans le rock iconoclaste avec le mythique BARRICADES, la musique de chambre « ériksatienne » avec ZNR, la poésie sulfureuse et obscène avec La Perversita, puis dans la fusion afro-électro avec Noir et Blanc ou dans l’électro-rock avec Corps électriques, Hector ZAZOU a souvent favorisé dans ses travaux les mélanges et les croisements interculturels. Il a ainsi fait entendre dans un même projet John CALE et des chanteuses inuits, a fait réciter du RIMBAUD à Gérard DEPARDIEU dans Sahara Blue ou a réuni une envoûtante brochette de voix féminines pour Strong Currents. Passionné par de nombreuses traditions musicales ethniques, il a contribué à faire connaître ou redécouvrir certaines d’entre elles de son regard oblique toujours pénétrant, des Nouvelles Polyphonies corses à Lights in the Dark en passant par Chansons des mers froides.

Souvent présenté comme précurseur de la world music, il avait pris ses distances avec cette dernière, ne se reconnaissant pas dans les dérives marketing que l’on a pu lui faire prendre. Cela ne l’a pas empêché de produire des albums de chanteuses aussi enracinées que Yungchen LHAMO ou Sevara NAZARKHAN pour le label Real World, mais en leur évitant justement de sombrer dans une fusion ethno-pop clinquante et aseptisée. Que l’on compare le premier disque de Sevara NAZARKHAN pour Real World, Yol Bolsin, produit par Hector ZAZOU, avec son second disque, et on mesurera la distance entre les deux approches, et combien Hector ZAZOU avait le respect des sons traditionnels et de leur creuset spirituel…

On en a désormais une nouvelle et lumineuse preuve avec cet album, In the House of Mirrors, malheureusement posthume. Car la nouvelle est tombée en septembre 2008, implacable : Hector ZAZOU a quitté ce monde à soixante ans. Trop tôt, beaucoup trop tôt. Il venait d’achever In the House of Mirrors qui est sorti un mois après sa disparition. Et ce qui frappe d’emblée dans cet opus, c’est cette atmosphère de mélancolie rassérénante qui l’imprègne de bout en bout, et qui semble préparer la voie à cet ultime voyage.

Il est singulier que Hector ZAZOU soit revenu aux musiques du monde pour sa dernière œuvre, et plus particulièrement à ces musiques d’Asie centrale et du continent indien. Il s’est ainsi rendu en Inde, à Mumbai, pour enregistrer les musiciens réunis sous le nom de groupe SWARA. Celui-ci est constitué du violoniste Milind RAIKAR, du flûtiste Ronu MAJUMDAR, du guitariste « slide » Manish PINGLE et du joueur de luths (tambur, oud) ouzbèke Toir KUZIYEV, déjà remarqué auprès de Sevara NAZARKHAN.

Se voulant l’écho sonore de la fameuse scène de la galerie des glaces dans le film La Dame de Shanghaï d’Orson WELLES, In the House of Mirrors scrute et interroge les arabesques languides du raga indien, voire du makam centre-asiatique. Sans chercher à reproduire la structure ni à exploiter la durée d’un raga, Hector ZAZOU a voulu refléter la résonance spirituelle de ces expressions savantes, tout en souhaitant « attirer l’attention de l’auditeur sur la manière dont certains sons se répondent et se reflètent à l’infini » (sic).

Il eut été facile, s’agissant de musiques parlant prioritairement à l’âme, de les peinturlurer de grosses couches de valium synthétique comme dans nombre de produits new-ageux, mais c’est précisément ce que ZAZOU a évité de faire, comme on s’en doute.

In the House of Mirrors met ainsi en relief la « rudesse » acoustique des instruments traditionnels, qu’il fait se répondre, via de discrets traitements électroniques, par un jeu de rebonds et de ricochets dans un espace sans pesanteur mais emprunt de gravité.

Avec parcimonie et raffinement, Hector ZAZOU a repensé la disposition et la résonance des instruments dans l’espace, a introduit par endroits des effets de bourdon et des boucles de sonorités percussives, ainsi que des effets de « buzz » électroniques qui viennent s’abattre comme des vagues sur les flux des cordes ou des vents.

On ne saurait dire dans quelle mesure également les sons des instruments ont été retraités pour répondre à cet effet miroir voulu par Hector ZAZOU, mais le oud de Toir KUZIYEV résonne parfois comme un sarod, tandis que le violon de Milind RAYKAR a des inclinations de sarangi.

Au risque de perdre un peu en cohérence et en unité sonore, Hector ZAZOU a de plus incrusté ici et là des instruments exogènes aux musiques asiatiques, comme le piano de Diego AMADOR ou la trompette de Nils PETTER MOLVAER. Il s’agit en effet moins de « faire asiatique » que de redéployer la vibration interne de ces musiques. Dans cette logique du reflet de miroir, la flûte bansuri de Ronu MAJUMDAR et le violon de Milind RAIKAR trouvent aussi leurs « alter-échos » plus européens avec la flûte du Galicien Carlos NUÑEZ et le violon du Hongrois Zoltan LANTOS.

C’est donc moins le respect des sources sonores archétypiques des traditions asiatiques qui est mis en œuvre dans cette « maison des miroirs » que la volonté de restituer les traces intérieures de leur présence, tout en faisant appel aux contributions inspirées de musiciens versés dans les pratiques savantes.

Plutôt que d’alourdir les traits et les lignes, Hector ZAZOU a opté pour une amplification sculpturale, un zoom sur ces instants sonores qui côtoient le silence, lequel impose « in fine » son frémissement éternel.

In the House of Mirrors est sans doute le plus émouvant générique de fin que Hector ZAZOU pouvait donner à son parcours aventureux. Sa réputation avait atteint une dimension internationale. Il manquera beaucoup aux amateurs de musiques inclassables et d’esthétiques plurielles.

Stéphane Fougère

Label : www.crammed.be

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n° 41 – Hiver 2009,
et dans TRAVERSES n°25 – mars 2009)

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