If Only I Could Hibernate : Original Motion Picture Soundtrack – Music by Johanni CURTET

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If Only I Could Hibernate : Original Motion Picture Soundtrack – Music by Johanni CURTET
(Buda Musique)

Le nom de Johanni CURTET ne doit plus être inconnu à celles et à ceux qui s’intéressent et qui suivent l’actualité de la promotion et de la transmission de la culture musicale mongole en France, et plus particulièrement à la valorisation de la pratique du chant diphonique mongol, le « khöömei ». Cet ethnomusicologue, enseignant, musicien et « diphoneur » français fut le premier étranger à soutenir une thèse sur cette technique vocale ; et avec son association Routes nomades, qu’il a créée avec un maître mongol du khöömei, il est à l’origine de divers événements culturels et scientifiques autour de la tradition musicale de Mongolie (concerts, conférences, rencontres, stages, ateliers, édition de CDs et de DVDs…).

Rien que sur le plan discographique, on lui doit notamment la réalisation d’une imposante et référentielle Anthologie du khöömei mongol (parue chez Buda Musique en 2017), et de disques de plusieurs artistes mongols (dont TSERENDAVAA & TSOTGEREL, KHUSUGTUN, BATSÜKH Dorj, DÖRVÖN BERKH…).

Vingt ans d’étude et de pratique du khöömei ont de même permis à Johanni CURTET d’en développer la diffusion hors de la sphère traditionnelle, notamment au sein de l’excellent trio world acoustique MEÏKHÂNEH. Il révèle aujourd’hui une autre facette de son talent de compositeur en signant la musique qui sert de bande originale au film If Only I Could Hibernate (Si seulement je pouvais hiberner), présenté lors de la sélection officielle 2023 du festival de Cannes.

Sorti en France lors de la première quinzaine de janvier 2024, ce tout premier long métrage d’une jeune réalisatrice mongole, Zoljargal PUREVDASH, révèle un visage de la Mongolie d’aujourd’hui qui contraste radicalement avec celui généralement montré dans la majorité des autres films, documentaires, clips et spots publicitaires ayant la Mongolie en toile de fond. Ici, on ne trouve pas de mirifiques steppes gorgées de soleil, de majestueux pics montagneux enneigés, ni d’éloge du mode de vie nomade ou de la « magie des chants mongols », mais on y suit un adolescent, Ulzii, issu d’un quartier défavorisé de yourtes de la capitale Oulan-Bator, déchiré entre son souhait de remporter un concours pour intégrer une haute école et son obligation de pourvoir aux besoins de ses frère et sœur en l’absence de leur mère, et confronté à un environnement urbain gangrené par la pollution, la misère, la violence, l’alcoolisme, l’exode, la corruption et l’inaction politique, sans parler de la rude froidure hivernale dont l’offensive est à peine contrecarrée par… un simple poêle à charbon.

Bref, aux regards occidentaux new-ageux vantant l’éternelle sérénité des plateaux mongols, If Only I Could Hibernate substitue la vision hélas très actuelle d’une Mongolie « bidonvillée », insécurisée et délaissée, et dont le ton est plus proche des films de Ken LOACH ou du néo-réalisme italien d’un Roberto ROSSELLINI, ou encore d’un conte de Charles DICKENS. Ce faisant, Zoljargal PUREVDASH batt en brèche les stéréotypes usuels sur la Mongolie pour mieux dévoiler la réalité urbaine d’Oulan-Bator minée comme tant d’autres capitales mondiales par des problèmes sociaux et environnementaux.

Cela n’a pas empêché la réalisatrice d’opter pour une musique de film qui fait la part belle à ce qui pourrait passer de prime abord pour un autre stéréotype de la culture mongole, à savoir des sons et des voix traditionnels, sauf qu’ils se retrouvent ici mis en regard oblique avec des images bien différentes de celles auxquelles on les associe d’ordinaire. Ce n’est pas par hasard si Zoljargal PUREVDASH a fait appel à un compositeur occidental – certes éminemment versé dans la musique traditionnelle mongole – plutôt qu’à un musicien ou chanteur traditionnel local pour concevoir la musique de son film.

Même s’il connaît et pratique la musique mongole, Johanni CURTET n’a pas cherché à se faire plus Mongol qu’il ne l’est, quand bien même la palette instrumentale utilisée fait entendre, en plus du khöömei, des instruments traditionnels mongols, comme la fameuse vièle « morin-khuur », le luth « doshpuluur » et la guimbarde « khulsan khuur ». Il s’agit pour le musicien français de signifier l’ancrage du film et de ses personnages dans une identité mongole pensée ici (ou plutôt là-bas, selon le point de vue) et maintenant, tout en suggérant des résonances avec d’autres styles et climats musicaux, d’où l’usage d’instruments exogènes à la tradition mongole (guitare, contrebasse, guimbarde vietnamienne « dan moi », carillon, baguettes) et de la pratique du « beatbox » vocal.

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C’est une musique acoustique et épurée qu’a conçu Johanni CURTET, jouée selon les pièces soit en solo, soit en duo ou en trio avec MANDAKHJARGAL Daansuren (chant diphonique, morin-khuur) et Kham MESLIEN (contrebasse). L’enregistrement et le mixage ont été confiés à Bob COKE, qui avait déjà travaillé sur les albums de BATSÜKH Dorj et de MEïKHÂNEH (Chants du dedans, Chants du dehors).

Constituée de vingt pistes, cette bande musicale est traversée par certains thèmes – dont certains sont récurrents – qui sont autant de miroirs aux états d’âme du personnage principal du film et aux situations compliquées qu’il rencontre. Theme of Hope distille des penchants mélancoliques, Slow Blues et Walk in the Forest se parent de douce amertume, Solo in the Forest est habité par un sentiment de déréliction méditative, l’Âme givrée suggère une colère contenue, tandis que Eyereg Ayaz évoque une humeur plus guillerette et sémillante.

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D’autres pièces se dépouillent de toute velléité mélodique pour privilégier un effet atmosphérique : Dotor Davchidna se couvre de dissonances acoustiques, Dan Moï I, II et Keep Breathing Dan Moï tendent vers l’ambient glaciale, Echo Khöömei (qui fait entendre deux voix de gorge) creuse le vertige intérieur, et Carillon répand de fines poussières oniriques.

Ce genre de musique de film pourrait a priori paraître difficile à écouter hors de son support visuel, mais les extensions de certains thèmes et la présence de pièces inédites non incluses dans le film contribuent à faire de ce disque un ensemble cohérent qui peut s’écouter comme une œuvre indépendante. Les émotions et les climats dépeints dans cette musique peuvent aisément trouver quelques résonances dans les esprits un tant soi peu disposés à étendre leur champ d’horizon pendant leur période d’hibernation.

Stéphane Fougère

Site : www.routesnomades.fr

Label : www.budamusique.com

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