KIRJUHEL – Concert

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KIRJUHEL – Concert
(Revoe)

Cet Exil intérieur qu’il chantait il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, KIRJUHEL l’a pratiqué à la lettre : quittant la Bretagne des luttes ouvrières et paysannes, celle de la grève du Joint français, cette Bretagne où il avait séjourné pendant une dizaine d’années et qui avait provoqué en lui un choc culturel et esthétique.

Le barde révolutionnaire s’est mis à l’écoute d’autres univers musicaux, guidé par un instinct créateur qui l’a encouragé à aller voir au-delà des agitations de la sphère sociale. Il a alors délaissé sa guitare au profit d’une harpe celtique qu’on lui avait offert. Elle devint sa lyre, sa muse, qui l’entraîna en Turquie (la poésie de Yunus EMRÉ, à laquelle il a consacré un disque) en Orient, puis dans la Grèce antique, allant jusqu’à chanter HOMÈRE en celtique, et conciliant HÉRACLITE et TALIESIN, le Barzaz-Breizh et l’Odyssée, la gwerz et l’hexamètre, au sein de Fragments épiques réunis sur un coffret de 3 CD (1995), dont les résonances contemporaines sont soulignées par l’usage de basses tonales et de structures électroacoustiques.

C’est aussi l’époque de la création du label Revoe, basé en Grèce (la seconde Terre d’adoption de notre harpeur), en compagnie de la photographe Solveigh KAEHLER, complice artistique de KIRJUHEL. L’univers breton est cependant toujours en ligne de mire, comme en témoigne le très remarqué Echo of Mont Saint-Michel, paru en 1999.

En parallèle à sa tournée bretonne qu’il a entamé depuis le printemps 2001, KIRJUHEL a enregistré ce nouvel album, Concert, qui paradoxalement n’a pas été enregistré sur scène, plutôt live en studio, mais qui restitue fort admirablement cette vibration polyphonique aux inspirations multiples. Considérant le concert comme « une forme de nudité, de transparence », KIRJUHEL laisse chanter toutes les résonances « harpistiques » qu’il a su capter le long de son atypique parcours.

De celtique, on a presque envie de dire que sa harpe n’en a plus que le nom, tant le jeu de KIRJUHEL a su filtrer d’autres échos du monde. Ainsi, sa harpe se confond quasiment avec un koto japonais dans Flamenco for S.

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C’est aussi dans l’improvisation que KIRJUHEL a su trouver une dynamique qui reflète cette attitude rebelle, résistante, qui a toujours été la sienne. Cette résistance aux partitions trop engoncées et typées lui a fait préférer la création à l’interprétation, l’invention à la reproduction.

Circulant avec aisance du breton au grec, la voix de KIRJUHEL s’est de même trouvée d’autres reliefs en empruntant notamment à la technique de chant tibétaine, comme on peut s’en rendre compte sur Heol Du.

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Du jazz à la musique contemporaine en passant par les musiques andalouse, celtique et orientale, notre barde-aède expose dans Concert les derniers aboutissements de son travail de recherche sur l’écriture harmonique, maniant également la guitare, le luth crétois, le djembé et les claviers, et faisant appel à l’occasion au violon de Hugo CROTTI (particulièrement émouvant sur Arcadie), au violoncelle de Bernard ESCAVI, au zarb de Bruno CAILLAT, et aux samples et à la basse tonale de Philippe BEAUCAMP.

La cartographie sonore de ce Concert dépeint un espace élémental dans lequel même la plus austère des compositions s’habille de flamboyance et où la mélancolie est un moteur de vitalité, affichant en permanence une profondeur mystique qui enjoint l’âme à se connecter aux flux harmoniques universels. Si vous peinez à ouvrir votre conscience à une plus haute dimension, ce disque devrait vous y aider.

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°10 – avril 2002)

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