L’Art du luth tibétain – Sherap DORJEE // Sherap DORJEE & SHANG SHUNG DA YANG – Chansons des six hautes vallées

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L’Art du luth tibétain – Sherap DORJEE
(Arion) //
Sherap DORJEE & SHANG SHUNG DA YANG – Chansons des six hautes vallées
(Altamira/Buda Musique/Universal)

La prolifération de CD consacrés à la musique et aux chants rituels des temples bouddhistes tibétains a pu faire oublier qu’il existe aussi une musique tibétaine séculaire, rurale, qui n’est pas liée aux pratiques religieuses. Grâce au travail d’artistes comme le multi-instrumentiste et chanteur Tenzin GÖNPO et la chanteuse Namgyal LHAMO et son groupe GANG CHENPA, le folklore « profane » tibétain commence à sortir de l’ombre. Les mélomanes désireux d’en savoir plus sur cette tradition des campagnes de plus en plus menacée par la sinisation forcée des modes d’expression au pays des neiges auront donc tout intérêt à se procurer ce disque d’un jeune joueur de luth tibétain, Sherap DORJEE, né dans la partie ouest du Tibet et exilé au Ladakh.

Enregistré par Boris LELONG, de l’association Altamira, ce CD est à notre connaissance le premier entièrement dédié au luth tibétain, plus précisément à deux d’entre eux : le danyen et le kovo. Le premier, sans doute le plus répandu et connu, est principalement joué au Tibet central (notamment à Lhassa), tandis que le second provient du Tibet ouest. Tous deux possèdent trois doubles cordes mais se distinguent par leur aspect, leur technique de jeu et leur accordage.

Les sept premières plages du CD font ainsi entendre le style si rustique et dépouillé du danyen à travers une sélection de thèmes du centre et du nord du Tibet. Sherap DORJEE (qui chante également) y fait preuve d’un jeu très tendu, avec torsion du poignet, les cordes étant âprement pincées ou tapées (selon le style de la région).

Les cinq dernières plages offrent pour leur part le plaisir plus rare d’entendre le kovo, joué dans l’Ouest du Tibet, de même qu’au Ladakh et dans l’Himalaya indien (région de Spiti). Cette fois, le style est plus orné et fluide et les mélodies plus complexes, au point que l’on croirait par moments entendre de la musique berbère !

La pratique du kovo s’étant raréfiée au profit de celle du danyen, plus aisé à manier, on sait gré à SHERAP DORJEE, assurément l’un des rares à jouer encore de ce luth, et à l’association Altamira, à l’origine du projet, d’avoir consigné sur support numérique ce son si précieux. Souhaitons que ce disque encourage d’autres vocations à nous faire découvrir, par exemple, « l’art de la vièle ou de la flûte tibétaines »…

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Froid et ensoleillé : tel était apparemment le temps qu’il faisait au Ladakh au moment où Boris LELONG, fondateur de l’association Altamira (vouée à la mise en valeur des ressources artistiques en milieu rural), est allé une nouvelle fois au Ladakh enregistrer le joueur de luth tibétain exilé Sherap DORJEE. Celui-ci, après nous avoir gratifié d’un album entièrement dévoué aux différents styles de luth dans tout le Tibet, recentre sur ce nouveau CD son propos sur les mélodies de l’Extrême-Ouest tibétain, plus précisément des vallées de Thot Tso Yul Duk (les « Six Hautes Vallées »), connues pour être les plus élevées du Tibet et riches d’une culture méconnue provenant de l’ancienne civilisation de Shang Shung mais hélas menacée d’extinction en raison de la situation politique qu’endure le Tibet depuis plus d’un demi-siècle.

En tant que natif de l’une de ces « six hautes vallées » et pour pratiquer avec une rare maîtrise le luth «kovo», véritable emblème de cette région, Sherap DORJEE avait toutes les qualités requises pour oeuvrer à la sauvegarde de cet héritage culturel. Afin de démarquer cet album du précédent, qui était entièrement soliste, il a tenu cette fois à être accompagné par une chorale constituée de trois chanteuses de Thot Tso Yul Duk (Norbu DOLMA, Pema YANGZIN et Sonam ZANGMO).

Ainsi, tout en continuant à faire valoir sur quelques pièces solistes la rusticité complexe du jeu de Sherap DORJEE sur ce luth à trois doubles-cordes qu’est le kovo, ce CD met en évidence la richesse lyrique de ces chansons montagnardes imprégnées d’une spiritualité vécue au quotidien, qu’elles évoquent la fierté de l’apprentissage de l’alphabet, le faste des cérémonies du Nouvel An ou les romances impossibles aussi éternelles que les neiges environnantes.

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Certains chants sont des hommages plus directs à la culture tibétaine bouddhiste, tandis que d’autres, de caractère plus contemplatifs puisque célébrant le paysage environnant, des altitudes neigeuses aux lacs lumineux, renferment une profonde symbolique cosmogonique. On remarquera également un singulier chant-dialogue très ludique qui oblige le joueur de kovo à jouer avec son instrument dans le dos !

Sur certains morceaux intervient Pema THINLEY, un vieil ami d’enfance de Sherap DORJEE qui joue de la flûte lingbu, ou encore Tsesum DOLME, joueuse de cithare gyumang. Autant dire que c’est la quasi-intégralité de l’instrumentation traditionnelle de la région qui est représentée. La seule concession à une modernité bien relative et de bon aloi réside dans l’utilisation pour une danse d’un jerrycan en lieu et place des tambours daf et dhol !

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Profane et sacré s’imbriquent harmonieusement dans ces chansons que le groupe de Sherap DORJEE nous livre comme à titre d’offrande, pour rappeler ou faire découvrir, à ses compatriotes comme à tout étranger mélomane, un patrimoine aux vertus inusables. Le temps était froid et ensoleillé ; mais, loin d’être froides, ces chansons réchauffent l’âme et sont, de toute façon, baignées de sagesse radieuse.

La production, assurée par l’association Altamira, est impeccable de bout en bout, jusqu’au livret, qui livre de précieuses informations sur la culture de l’Ouest tibétain et sur chaque plage musicale. Laissez-vous tenter par le précieux…

Stéphane Fougère

Site Web : www.altamiraworld.net

(Chronique originale du CD L’Art du luth tibétain publiée dans
ETHNOTEMPOS n°11 – octobre 2002
–  chronique originale du CD
Chansons des six hautes vallées publiée dans
ETHNOTEMPOS n°14 – mars 2004)

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