Maria MAZZOTTA – Onde

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Maria MAZZOTTA – Onde
(Zero Nove Nove)

Du frêle clapotis qui « flaque » gracilement au flot qui se fracasse sur des rochers près d’un rivage ou à la vague scélérate qui heurte brutalement un bateau en pleine mer, la gamme d’ondes qui se font entendre en mer est assez ample, et l’oreille comme l’âme humaines se laissent facilement captiver par les sons de ces mouvements maritimes très contrastés. Quand on a vécu avec les bruits de la mer, on ne les oublie pas. Et quand on est artiste, même inconsciemment, on cherche à en traduire les impressions dans sa pratique. C’est ce que fait la chanteuse Maria MAZZOTTA dans ce nouvel album, dont le titre, Onde, ne laisse planer aucun doute sur la source d’inspiration qui en est à l’origine. Mais l’Onde dont il est question n’est pas de celles qui génèrent des musiques planantes. La mer ici chantée dévoile une panoplie de « vagues » sonores pour le moins secouées et secouantes.

Issue de la scène vocale de cette région du Sud-Est de l’Italie, que sont les Pouilles (Puglia en italien), Maria MAZZOTTA est renommée à travers l’Europe pour son interprétation poignante de différents chants du bassin méditerranéen, avec une imprégnation évidente de la tradition musicale des tarentelles du Salento, soit le « talon de la botte » italienne. Entourée par la mer Adriatique à l’est et par la mer Ionienne à l’ouest (soit deux mers), la péninsule salentine est en effet réputée pour être un carrefour de civilisations et de culture, en plus de son littoral rocheux généreusement tanné par le soleil.

La voix de Maria MAZZOTTA est à l’image des vagues maritimes : elle peut souffler calmement comme elle peut rugir sans vergogne. Emprunte d’une raucité viscérale, elle ne cache pas ses origines paysannes. Mais en vingt ans de carrière, Maria MAZZOTTA n’a jamais autant refléter la tradition d’essence rurale avec une telle radicalité esthétique. Du moins sur disque, car on se souvient l’avoir entendue sur scène en 2019, dans le cadre du Festival Eurofonik à Bouguenais en Loire-Atlantique, au sein du projet Hybridations méditerranéennes mené par le guitariste et oudiste Gregory DARGENT, avec la claviériste et cymbaliste Nora MULDER et la bassiste Fanny LASFARGUES, et qui en a bouleversé plus d’un par sa radicalité sonore (cf. notre article). La performance n’a du reste été donnée qu’une fois. Mais elle a suffi à encourager Maria MAZZOTTA à se frotter à des vocabulaires sonores à la contemporanéité rugueuse.

En conséquence, Onde tranche royalement avec le premier album solo de Maria MAZZOTTA, Amoreamaro, paru en 2020, sur lequel elle n’était accompagnée que du seul accordéoniste Bruno GALEONE. Quelque 150 concerts dans pas moins de 25 pays plus tard, Maria MAZZOTTA enregistre un album avec deux musiciens œuvrant dans un univers post-rock ! Certes, le changement de paysage musical risque d’en bousculer certains. Ne parlons même plus de grand écart, c’est carrément un saut du haut d’une falaise !

Le premier morceau du disque plante le nouveau décor sans détour : la guitare granitique de d’Ernesto NOBILI et la batterie chavirante de Cristiano Della MONICA transfigurent ce chant traditionnel salentin qu’est La Furtuna (« La Chance ») en une complainte orageuse à laquelle l’ample tessiture vocale de Maria MAZZOTTA, d’abord fragile puis imprégnée de rage véhémente, achève de donner une tonalité dramatique résolument actuelle. Il y est question d’une rencontre avec la Chance, figure lumineuse et désespérée qui pleure en pleine mer les torts et les injustices subis par ceux qui la traversent. Et on veut bien croire que la traversée a été houleuse…

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La granularité rustique de la voix de Maria MAZZOTTA génère aussi des frissons sur Libro d’Amore, une chanson que Maria avait écrite avec le violoncelliste Reda HASA pour leur album Novilunio (2017), ici méticuleusement électrisée par Ernesto NOBILI sur une rythmique tribale jouée par Maria sur son tamburello fétiche, et que les percussions de Cristiano Della MONICA viennent rejoindre en fin de course.

Le trio se fait quartet sur Sula Nu Puei Stare en invitant le guitariste touareg nigérien BOMBINO, révélé il y a une quinzaine d’années par le disque Guitars from Agadez, vol. 2 paru chez Sublime Frequencies. Dans sa structure même, la chanson est une invitation au voyage : partant du Salento, avec les frappes percussives vindicatives de Cristiano, elle dérive vers l’Andalousie pour se maquiller d’effluves flamenco avant d’atteindre les rivages nord-africains, où les guitares d’Ernesto et de BOMBINO entrelacent leurs cordes de braise à haute tension, soutenues par le rythme tribal du tambour « tapan » macédonien. Rester statique n’est pas la meilleure chose à faire face à cette déferlante.

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Le calme revient au début de Damme la Manu (Donne-moi ta main), une chanson d’amour traditionnelle salentine parmi les plus connues, et que Maria reprend en la dédiant au fils de la chanteuse Lucia De PASCALIS – qui a livré cette chanson aux archives historiques – et qui était connu comme un spécialiste du tarentisme, terme que l’on donnait à une forme d’hystérie qui a sévi du XVe au XVIIe siècle dans les Pouilles et qui a fini par désigner une thérapie à la fois chorégraphique et musicale appliquée à cette pathologie. Maria la chante façon berceuse endolorie, qui s’anime progressivement au son des gongs frappés par Cristiano ; puis Ernesto empile des couches de guitare, créant un effet choral, et se fend d’un solo imbibé d’aigreur, dont le riff mélodique est repris au chant par Maria, telle une prière collective.

Plus loin dans le disque, un autre hommage est rendu au compositeur et musicologue Roberto De SIMONE, dont les recherches ont permis au grand public de se familiariser davantage avec la culture populaire ; Maria et ses musiciens reprennent ainsi sa chanson Marinaresca, au refrain imparable.

On retourne à la métaphore maritime avec Navigar non Posso… Senza di te (« Je ne peux pas naviguer… sans toi »), une chanson d’amour traditionnelle rendue célèbre par Niceta PETRACHI sous le titre La Simpatichina, et que Maria MAZZOTTA avait déjà jouée avec le groupe THE WATERBIRDS. Elle est ici rythmée par le son répété de cailloux que l’on entrechoque, remplacé ensuite par un son de tôle frappée vigoureusement, tandis que la guitare distille des notes plus âcres et sèches.

Un nouvel hommage est rendu avec Terra ca nun senti (« Terre qui n’entend pas »), cette fois à la chanteuse et musicienne Rosa BALISTRERI, dont Maria réinvestit le timbre rauque porteur de mélancolie, tandis que les deux musiciens s’emploient à exprimer une colère contenue, manquant d’exploser par deux fois. La chanson est dédiée à celles et à ceux que leur Terre (qui ne veut pas comprendre) a contraint à émigrer.

La danse reprend ses droits avec cette reprise grisante et nerveuse de Viestesana, une tarentelle traditionnelle, avant que Maria ne livre une autre de ses compositions, cette fois co-écrite avec Silvia GUERRA, Canto e Sogno (« Je chante et je rêve »), dan laquelle elle évoque la nécessité de savoir laisser partir les gens que l’on a rencontrés. C’est la seule chanson du disque interprétée en langue italienne, et le trio y accueille une fois de plus un invité, Volker GOETZE, qui vient tracer quelques délicates lignes sinueuses avec sa trompette et son bugle.

Le doublé qui suit est impressionnant d’audace : la berceuse Nanna core (« Berceuse au cœur »), au climat flottant avec notamment ce passage de voix entrelacées, est brutalement enchaînée à une chanson au rythme plus soutenu, hérité des tarentelles salentines, Pizzica de core (Malencunia), où il est question de mélancolie, mais dûment guérie à coup de frappes vindicatives, de riffs brûlants et de chant à l’effet « coup de soleil » ! Dans la culture du tarentisme, c’est en laissant fuser et en s’imprégnant des vibrations induites par le rythme et le son que les personnes souffrant jadis de la piqûre de tarentelle atteignait un état de transe susceptible d’exorciser le mal. « Dansez tous, dansez de tout votre cœur, parce que Taranta est vivante et non morte », chante Maria MAZZOTTA, rendant au passage un autre hommage à Daniele DURANTE, fondateur du groupe antédiluvien CANZONIERE GRECANICO SALENTINO (dont elle a fait partie) et qui fut lui aussi une figure de référence en matière de recherche sur la musique salentine.

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Onde s’achève plus en douceur avec Matonna Te lu Mare, mais la voix de Maria laisse filtrer quelques reflux mélancoliques que les frappes de cymbales intenses et les notes têtues de la guitare viennent appuyer.

Dans ce disque, Maria MAZZOTTA et ses deux complices sont les véhicules d’une Onde aussi maritime qu’électromagnétique qui ne manquera pas de toucher des auditeurs attentifs et ouverts à cette intensité sonore certes urbaine dans son rendu, et qui porte en elle l’écho des insécables racines traditionnelles du Salento comme l’empreinte d’un certain rock indépendant qui a aussi nourri Maria dans son adolescence. Onde témoigne que les deux pôles musicaux ici combinés partagent une similaire rudesse sanguine que Maria MAZZOTTA porte à un nouveau et envoûtant sommet d’expression.

Stéphane Fougère

Site Artiste : https://www.mariamazzotta.com/

Label : www.zeronovenove.com

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