Nguyên LÊ – Saiyuki

123 vues
Nguyên LÊ – Saiyuki
(ACT Music)

Tiens, Nguyên LÊ a composé la musique du manga Saiyuki ? Pas vraiment… à moins de se rappeler que le dessin animé de Kazuya MINEKURA est inspiré par un roman chinois du XVIe siècle, que l’on peut traduire en français par Le Voyage en Occident. Mais le terme « saiyuki » est pour sa part japonais. Quant au roman, il met en vedette le Roi des Singes Sun Wukong, sorte de frère pékinois du fameux Hanuman indien. Du reste, ledit Occident du titre du roman chinois désigne en fait… l’Inde ! Récapitulons : ça nous donne le Vietnam, la Chine, le Japon et l’Inde. L’auteur de Tales from Vietnam – qui avait révélé en son temps la chanteuse Huong THANH et le joueur de cithare (dàn tranh) et de luth monocorde (dàn bau) Hao NHIÊN – élargit ses horizons et nous conte en quelque sorte ici ses « Tales from Asia ».

Le trio à l’œuvre sur Saiyuki est en effet constitué, outre Nguyên LÊ, de la kotoïste japonaise Mieko MIYAZAKI, qui avait participé au disque de Nguyên LÊ et de Huong THANH Fragile Beauty, et du tabliste Prabhu EDOUARD, un ancien disciple du Pandit Shankar GOSH et qui a déjà accompagné Aashish KHAN, Lakshmi SHANKAR, SHASHANK et Hariprasad CHAURASIA. Et comme par un hasard extraordinaire, c’est précisément ce dernier qui est invité sur trois morceaux du disque ! Il n’y a pas à dire, c’est un casting de luxe !

Cependant, Saiyuki n’est pas un disque de musique traditionnelle, quand bien même les timbres conviés évoquent chacun une culture ancestrale (le Japon avec le koto, l’Inde avec les tablas et la flûte bansuri). Mais tout de même, ce qui caractérise les musiciens de Saiyuki, c’est leur double culture, puisque Nguyên LÊ, Mieko MIYAZAKI et Prabhu EDOUARD habitent tous en France et se sont frottés à des expériences musicales plus fusionnelles.

Prabhu EDOUARD a joué avec Marc DUCRET, Jordi SAVALL, Jean-Pierre DROUET, Henri TOURNIER, etc., et Mieko MIYAZAKI a monté un trio pour le moins original (koto, violon et accordéon) et qui a réalisé un coup de maître avec son premier album, Sai-ko. Quant à Nguyên LÊ, on ne compte plus ses disques et ses collaborations dans le milieu jazz… Et si Hariprasad CHAURASIA a été invité, ce n’est pas tant pour servir de caution traditionnelle que parce que ce maître de la flûte bansuri est ouvert aux dialogues et aux métissages de haut vol (entre autres REMEMBER SHAKTI, dont Saiyuki est d’une certaine manière le cousin encore plus oriental).

Les dix compositions de Saiyuki mettent donc en valeur le parcours transgenre des protagonistes, jouant sur la résonance traditionnelle des instruments comme sur l’habileté et le talent de chaque musicien à s’emparer d’une autre grammaire, que l’on pourrait qualifier de jazz ethnique mais qui, loin de diluer les particularismes, en illumine les contours et les contenus.

YouTube player

Ainsi, chaque pièce renvoie à un socle traditionnel, fut-il littéraire ou mythologique. Sweet Ganesh évoque bien sûr l’Inde, Hen Ho le Vietnam et Mina Zuki et Izanagi Izanami le Japon. Mais il faut compter aussi sur les capacités du trio à confondre les repères trop précis, car même si la majorité des morceaux se fondent sur des mélodies traditionnelles, il peut arriver qu’une composition à la base jazz prenne un parfum japonais, par exemple (Azur). Et surtout, les arrangements des uns et des autres ont tôt fait de faire dévier les routes trop rectilignes dans lesquelles notre imaginaire pourrait se complaire dès lors qu’il se croit dans tel ou tel pays.

YouTube player

Au fond, chaque pièce fait voyager du Vietnam à l’Inde en passant par le Japon, mais aussi dans un ailleurs dense et raffiné, imprégné d' »asiatisme » aux saveurs fortes mais aussi délocalisées. Car chaque musicien, non content de repousser les limites stylistiques de son instrument de prédilection, déploie aussi ses idées en usant d’autres instruments : guitares électrique, acoustique et fretless cèdent parfois la place aux ebow, guimbarde et synthé pour Nguyên LÊ ; à ses koto et koto basse, Mieko MIYAZAKI ajoute le shamisen et le chant, et Prabhu EDOUARD, s’il ne joue pas de tablas, use de l’udu, d’un kanjira, d’un tambour malais, de cymbales, de shakers, et chante également.

Saiyuki professe ainsi un « panasiatisme » décomplexé et novateur, et on lui sait gré de l’avoir fait en évitant les pièges usuels de l’orientalisme « new-agisé » et récuré. Dans ce disque, la carte géographique de l’Orient est redessinée par la pratique de l’improvisation, de la composition et des arrangements collectifs et de l’écoute attentive et complice. Les correspondances fusent et les écarts rapprochent.

On finit par ne plus savoir si Saiyuki raconte l’histoire de trois musiciens (+ un) qui partent pour un voyage en Occident ou s’ils nous convient à un voyage en Orient (un saiyuki inversé, en somme) en prenant les voies buissonnières du jazz. Qu’importe la destination, ce sont les déviations qui comptent après tout, et celles prises par LÊ, MIYAZAKI, EDOUARD et CHAURASIA portent indéniablement le sceau du ravissement !

Stéphane Fougère

Site : www.nguyen-le.com

Label : www.actmusic.com

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°45 – Hiver 2010)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.