PIXVAE – Oì Vé
(Compagnie 4000 / Inouïe Distribution)
Et de trois pour PIXVAE ! Oì Vé est en effet la troisième pierre que le groupe « francolombien » ajoute à son édifice discographique, depuis sa création en 2015. Paru en 2017, son premier disque éponyme célébrait la réunion de deux entités, le power-trio lyonnais incendiaire KOUMA et le groupe afro-colombien acoustique NILAMAYÉ, et accouchait d’une collision artistique inédite mêlant math-rock et jazzcore avant-gardiste et currulao traditionnel.
Tant pis pour ceux qui ont cru que PIXVAE était le fruit d’un bruyant délire passager ou d’un aléatoire malentendu culturel : le « currulao-crunch » est devenu une réalité au développement durable sinon palpable, au moins audible et provoquant des effets épidermiques imparables. À défaut d’avoir engendré une mode médiatico-commerciale ou même suscité une émulation créative, le groove ethno-nucléaire de PIXVAE, toujours unique quelle que soit la sphère stylistique dans laquelle on cherchera à le classer, continue de souligner au marqueur sa singulière ligne musicale entre Lyon et Cali.
Sans modifier quoi que ce soit dans sa mixture sonore cernée des frontalités vocales de ses « cantadoras » et de son « cantadore », des chaloupes rythmiques binaires et ternaires héritées du currulao (bien différent de la cumbia, de la salsa et du vallenato) et secouée par les assauts électriques compacts de KOUMA, PIXVAE poursuit donc son travail d’hybridation et continue d’en explorer les possibles, moyennant de légères modifications de personnel.
Côté français, le trio reste inchangé : Damien CLUZEL triture toujours sa guitare, Léo DUMONT s’affaire avec autant d’impulsivité derrière sa batterie et Romain DUGELAY alterne avec obstination sax baryton et claviers et reste le responsable des arrangements et de la direction musicale. Côté colombien, on retrouve les voix toniques et hypnotiques de Margaux DELATOUR (fidèle depuis les débuts du groupe) et de Israël QUINONES, qui a embarqué dans l’aventure à l’époque du deuxième album, Cali, de même que le percussionniste Juan Carlos ARRECHEA. La dernière recrue est la chanteuse Jennifer Xiomara TORRES, qui vient donc ajouter son timbre éclatant à celui de Margaux DELATOUR. Et quand toutes deux cèdent la place au chant à Israel QUINONES, elles secouent leurs obsédants guasás (hochets cylindriques).
L’autre nouvelle recrue est un instrument de percussion, le marimba de chonta. Les fins connaisseurs de la tradition du currulao trouveront étranges que l’on parle de nouvelle recrue concernant cette sorte de balafon à lames de bois précisément représentatif de cette musique de la côte sud-pacifique de Colombie. Mais justement, c’est en faisant le choix de l’omettre que PIXVAE avait au départ construit sa démarche. Il fait aujourd’hui volte-face, puisque le répertoire d’Oì Vé est cette fois articulé autour du marimba de chonta, dont joue Juan Carlos ARRECHEA en plus de ses cununos (tambour haut et étroit) et bombos (tambour basse bi-membranophone).
Si Cali se distinguait par le renfort de sa force de frappe vocale, allant jusqu’à convier cinq cantadoras, Oì Vé se contente de deux voix féminines (qui en font autant que cinq !) et d’une voix masculine, mais consolide son armature percussive en réhabilitant l’archétypal marimba de chonta, lequel s’intègre fort bien aux textures instrumentales denses et chargées du trio français.
L’autre signe distinctif de l’évolution de PIXVAE, c’est que cette fois la part des compositions originales est dominante. Margaux DELATOUR signe effectivement l’imposant morceau d’ouverture, Las Pesadillas, ainsi que le plus coulant et grisant morceau de clôture, El Agua del Rio.
Le plus prolixe en termes de composition est néanmoins Juan Carlos ARRECHEA, qui livre ici quatre pièces (Venga, Vamos a Celebrar, Mamita et le lunatique morceau éponyme à l’album) aux climats et constructions assez différentes dans lesquelles la formule PIXVAE remise son inspiration et son originalité avec fougue et subtilité.
La seule reprise est celle d’un chant traditionnel, Aguacerito Llove, interprété « a capella ». Découpé en deux parties, ce superbe chant a été enregistré en extérieur (on y entend le vent soufflant dans le micro) et fait office d’enregistrement de terrain venant aérer l’écoute entre deux assauts de « colombian crunch ».
C’est de même en mode « field recording » que s’achève le disque, avec le final acoustique voix-percussions d’El Agua del Rio, comme un ultime témoignage de l’affection que porte PIXVAE aux racines de ce currulao demeuré bien vivace et qu’il défriche avec une conviction infaillible depuis maintenant huit ans.
Les dix ans approchent, et on souhaite à PIXVAE de les atteindre avec la même approche régénératrice qu’il cultive depuis ses débuts.
Stéphane Fougère