Fred FRITH – Gravity

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Fred FRITH – Gravity
(Fred Records/ReR Megacorp/Orkhêstra)

Reconnu comme l’un des plus marquants guitaristes anglais des musiques de traverses, également violoniste, claviériste, percussionniste et chanteur à ses heures, Fred FRITH cultive avec la même exigence la composition et l’improvisation et a engendré une œuvre discographique protéiforme qui, bien que souvent classée dans les bacs de jazz par commodité comme par paresse ou par idée reçue, touche aux domaines du rock, du folk, de la musique contemporaine, de la musique improvisée, etc.

Tout en continuant à enregistrer pour des labels de référence comme Winter & Winter et Tzadik, Fred FRITH a lancé en 2002 son propre label, Fred Records, comme une excroissance de la maison ReR Megacorp, créée par son ancien confrère de HENRY COW, Chris CUTLER.

La première raison d’être de Fred Records est de rendre de nouveau disponibles sur le marché des œuvres discographiques de Fred FRITH (rééditions et nouveautés) qui ne l’étaient plus, à savoir celles parues sur le label suisse RecRec. Ce dernier a en effet fait faillite suite au décès prématuré de son directeur, Daniel WALDNER, en 1995, et à d’autres problèmes. Quatorze disques de FRITH – tous des références – ont ainsi peu à peu disparu, et leur réédition devenait impérative. C’est le cas de l’album Gravity, qui fut la première référence du catalogue Fred Records en matière de rééditions.

Enregistré d’août 1979 à janvier 1980, Gravity est, avec son successeur Speechless, le disque sans doute le plus proche de l’esprit Rock In Opposition, et pas seulement en raison de l’époque de son enregistrement, durant laquelle Fred FRITH était alors impliqué dans ART BEARS. On y retrouve cet intérêt, commun au trio, pour les rythmes folkloriques de l’Est de l’Europe. En fait, autant l’avouer : Gravity a pour thème central la danse !

Oh ! pas celle qui fait faussement frétiller dans les discothèques les samedis soirs, certes, bien plutôt la musique de danse telle qu’elle se manifeste à travers les traditions du monde, enracinée, tribale, extatique. Gravity célèbre et extrapole les rythmes des folklores est-européens, balkaniques, tziganes, voire moyen-orientaux, latino, allez savoir, puisque chaque morceau prend l’allure d’un cocktail de rythmes foisonnants et de mélodies grisantes propulsées par des percussions et des claquements de mains fréquents.

Difficile de ne pas garder en tête les thèmes chaloupés de Norrgarden Nyvla, Spring any Day now ou de se délecter des acrobaties mélodiques de Hands of the Juggler ou de Don’t Cry for me. Les sources d’inspiration folk sont ingurgitées, malaxées, moulinées pour aboutir à une sorte de folklore imaginaire épicé et jubilatoire aux constructions savantes, même si moins alambiquées que chez HENRY COW. Il n’y a de toute façon guère de chances que cet opus au menu pourtant hybride se confonde avec les fusions forcées de la « world globale ».

L’attachement de ce disque au Rock In Opposition se traduit aussi par la participation de divers membres des groupes appartenant ou affiliés au mouvement, tel les Suédois de ZAMLA MAMMAZ MANNA (Lars HOLLMER, Eino HAAPALA, Hans BRUNIUSSON) sur la première face du LP, ou encore le groupe américain THE MUFFINS (Dave NEWHOUSE, Paul SEARS, Billy SWANN) sur la seconde face, et Marc HOLLANDER d’AKSAK MABOUL tout du long. Cette seconde face, enregistrée à New York, offre des sonorités plus incisives, plus urbaines, et préfigure la démarche de l’album Speechless, sans jamais perdre le sens de la fantaisie (comme cette reprise du « tube » Dancing in the Streets).

En bref, Gravity est un joyeux capharnaüm soigneusement pesé et articulé, savant mais irrésistiblement accrocheur. S’il fallait désigner une porte d’entrée idéale pour pénétrer l’univers protéiforme de Fred FRITH, ce pourrait bien être cet album.

La version CD de Fred Records, présentée sous forme de digipack, restitue le contenu du LP originel paru sur Ralph Records dans son intégrité, sans les morceaux bonus qui avaient été inclus dans les premières éditions CD d’East Side Digital et RecRec. Il est cependant dommage que la pochette originale ait été modifiée. Mis à part cela, c’est évidemment un disque dont la prescription est obligatoire à tous ceux qui souhaitent vraiment écouter une musique buissonnière, captivante et intelligente, pas moins.

Stéphane Fougère

Site : www.fredfrith.com/

Label : www.rermegacorp.com

Distributeur : www.orkhestra.fr

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°16 – novembre 2004
et remaniée en 2019)

 

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