Rashid KHAN : une grande voix indienne s’est éteinte
Le chanteur classique indien Rashid KHAN est mort le 9 janvier 2024 à l’âge de 55 ans seulement, suite à une longue bataille contre le cancer. Depuis plus de trois décennies, il était reconnu comme un des maîtres de chant de la tradition hindoustanie (Inde du Nord), et était le dépositaire du style de chant issu de la gharana (école) de Rampur-Sahaswan, fondée par Inayat Hussain Khan, et dont Rashid était l’arrière-petit-fils. Il avait notamment reçu plusieurs titres honorifiques, dont celui de la Sangeet Natak Akademi, le « Padma Shri » et le « Padma Bushan », troisième plus haute récompense décernée par le gouvernement indien dans le domaine artistique.
Né à Badayun, dans l’Uttar Pradesh, Rashid KHAN n’était pas particulièrement intéressé par la musique quand il était enfant, mais après que son oncle Ustad Ghulam Mustafa Khan a remarqué ses talents musicaux, il a reçu dès l’âge de six ans sa formation initiale de son grand-oncle maternel, Ustad Nissar Hussain Khan, qui lui fit subir une discipline stricte, l’obligeant à pratiquer une seule note de la gamme pendant des heures, voire une journée entière. Rashid KHAN en vint peu à peu à maîtriser l’art des modulations rythmiques (layakari) et des improvisations sur des passages mélodiques rapides (taans).
Rashid KHAN donna son premier concert à l’âge de 11 ans et rejoint la Sangeet Research Academy à 14 ans, où il fut reconnu comme musicien accompli en 1994. Il passa ainsi du statut d’adolescent prodige à celui de maître praticien.
Remarqué par le célèbre Pandit Bhimsen Joshi, qui a vu en lui une « assurance pour l’avenir de la musique vocale indienne », Rashid KHAN s’était imposé comme le dépositaire du style de la gharana Rampur-Sahaswan, assez proche de celui de la gharana de Gwalior, sa voix se frayant un chemin sur des tempos moyennement lents et des phrases rythmiques complexes pour aboutir à des interprétations de ragas assez vibrantes et bouleversantes.
Influencé par les styles d’Amir Khan et de Bhimsen Joshi, Rashid KHAN s’était forgé un style combinant tradition et innovation, interprétant à sa manière les « tarana » (type de composition utilisant des syllabes sans sens, ou des mots ressemblant à des syllabes, généralement interprétés sur des ryhtmes moyens et rapides) pour lesquels son oncle et gourou était réputé, tout en privilégiant le style khayal, dont il développait les parties lentes (« vilambit ») dans la section « rythmée » (« gat ») des ragas.
Outre le chant classique, Rashid KHAN avait élargi son répertoire aux « thumris » et aux « bandishes », souvent interprétés dans le cinéma populaire indien. Dans ce domaine, il a interprété des chansons devenues célèbres auprès du grand public indien, notamment Aaoge Jab Tum dans le film à succès Jab We Met, mais aussi dans My Name is Khan, Isaaq, Manto Mausam, Bapi Bari Ja, Kadambari, et Mitin Masi.
Rashid KHAN s’est de même fait remarquer par ses expériences musicales innovantes, mêlant le chant classique hindoustani avec des genres plus légers dans le disque de fusion soufi NainaPiya Se (songs of Amir Khusro) ou collaborant avec le compositeur et claviériste Louis Banks (connu dans le domaine de la fusion indo-jazz).
Rashid KHAN laisse ainsi une ample discographie, que ce soit en chant classique (plusieurs disques solo sont parus sur des labels réputés comme India Archive Radio, Saregama, Sense World, Music Today ou Navras, qui a notamment publié l’un de ses « jugalbandis » – duos de solistes – avec le sitariste Shahid Parvez) comme en musiques de films Bollywood. C’est peu dire que sa disparition trop rapide laisse un grand vide dans le monde de la musique hindoustanie. RIP Maestro.
Stéphane Fougère