Stephan MICUS – Life
(ECM Records)
C’est en 1976 que Stephan MICUS a enregistré son premier disque, Archaic Concert, titre prémonitoire puisque cet album est devenu effectivement une archive hautement rarissime et jamais rééditée. Vingt-huit ans plus tard paraît son dix-huitième opus, simplement intitulé Life, « vie ». Est-ce toute sa vie musicale que MICUS présente dans ce CD ? Non, la vie est ici sujet de réflexion, ou mieux de cheminement spirituel.
Life est fondé sur un conte zen recueilli par Stephan MICUS il y a une trentaine d’années. Il s’agit plus particulièrement d’un « koan », soit une sorte de parabole énigmatique que doit méditer tout moine zen en vue de développer son intuition au détriment de ses facultés rationnelles. Le disque se déroule donc sous la forme d’un dialogue entre un maître zen et son disciple de moine, dialogue que MICUS interprète intégralement en version originale japonaise.
Les fidèles suiveurs du pèlerin bavarois se souviendront que Koan est également le titre de son deuxième album pour le label ECM. Stephan MICUS revient donc à un contexte qui lui est très cher, à savoir la spiritualité japonaise. Celle-ci est abordée avec un instrumentarium qui dépasse amplement le cadre traditionnel japonais.
À l’instar de ses autres créations discographiques, MICUS explore un champ culturel et mystique très délimité avec un vocabulaire instrumental non vernaculaire, employant plutôt des instruments d’autres cultures dont il repense les accords, les techniques de jeu afin d’exposer sa propre vision du thème plutôt que de chercher à imiter les langages des grands dépositaires de la tradition.
La panoplie instrumentale de Life est à elle seule un éloquent tour du monde : gongs triangulaires en bronze birmans (« kyeezee »), tin whistle irlandais, dilruba indien, zither bavarois, « talking drum » ghanéen (« dondon »), orgue à bouche japonais (« sho »), flûte égyptienne « nay », bols chantants thaïlandais, cloches tibétaines, gongs balinais…
Deux nouveaux instruments (jamais entendus chez MICUS, s’entend) font leur apparition sur Life : le « maung », un ensemble de quarante gongs de Birmanie, et la « bagana », une lyre éthiopienne qui daterait de trois mille ans dont l’usage était surtout lié aux célébrations religieuses. L’instrument est du reste tellement ancien et rare que sa pratique a été partiellement oubliée : sur les dix cordes qu’il possède, seul cinq sont encore utilisées !
Cette lyre étant en voie de disparition, il faut saluer l ‘initiative de Stephan MICUS qui, en l’intégrant dans sa grammaire sonore, fait œuvre de sauvegarde du patrimoine et en même temps qu’il accentue sa position de pionnier puisqu’il use de nouvelles approches de jeu lui permettant d’utiliser toutes les cordes de l’instrument. C’est du reste ce dernier que l’on entend dès le début du premier morceau, et ce n’est pas peu dire qu’il impressionne !
On remarquera que cette première pièce est la plus complexe en termes d’arrangements puisqu’elle utilise le plus grand nombre d’instruments et que, plus on avance dans le disque, plus les compositions tendent à l’épure, privilégiant un instrument avec les voix « multi-trackées », pour évoluer vers une expression purement soliste, à l’orgue à bouche sur l’avant-dernier morceau, puis à la bouche seule (la voix) en toute fin de parcours. Ce dépouillement va de pair avec la concentration et la tension inhérentes au dialogue entre le moine et son maître, puis avec la résolution de l’énigme, à la fois si complexe et si simple…
En dépit de tout le travail effectué sur la voix (démultipliée jusqu’à 17 fois sur un morceau), le chant reste l’instrument le moins convaincant de MICUS, toutes proportions gardées bien sûr. Mais la méditation qu’il nous soumet est de toute façon bien supérieure à celles que profèrent les faiseurs de new-age vautrés sur des coussins de soie gonflables. L’énigme (et l’écoute) de Life est même plus proche du fameux coup de bâton zen (« kyosaku »), et sa solennité introspective agit comme une onde de choc dans les oreilles, et pas seulement pour le dépaysement provoqué par son sujet.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°17 – juin 2005)
Site : www.stephanmicus.com