THE PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE : Les Cœurs joyeux du ghetto

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THE PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE

Les Cœurs joyeux du ghetto

Dans les années 1970 en Tchécoslovaquie, vouloir jouer une musique d’inspiration psychédélique et underground se traduisait en termes officiels par « troubler la paix de manière organisée ». C’est ainsi que THE PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE a été jugé groupe dissident et que son histoire, émaillée de procès et de répressions diverses et invariables, est devenue le symbole d’une résistance contre-culturelle. Si le VELVET UNDERGROUND, ZAPPA ou CAPTAIN BEEFHEART ont été les pères spirituels du groupe, Vaclav HAVEL en aura été le protecteur et, après la Révolution de velours, le porte-voix en Occident. PLASTIC PEOPLE, groupe engagé ? Groupe déterminé plutôt : déterminé à proroger un certain esprit musical, envers et contre tous les barrages et même tous les coups du sort puisque, malgré la disparition prématurée de son leader en 2001 (Milan HLAVSA), « PPU » continue à distiller son envoûtement sonore aux fragrances maudites. Histoire d’une légende et rencontre avec l’Histoire…

Le 20 août 1968, 650 000 soldats soviétiques envahissent la Tchécoslovaquie et mettent ainsi un terme au Printemps de Prague initié au début de l’année par l’accès de DUBCEK au poste de premier secrétaire du parti. Le mois suivant, en septembre 1968, naît le groupe THE PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE. Deux dates, deux événements n’appartenant pas à la même sphère mais dont le rapprochement, au moins temporel, en dit long sur le mouvement qui allaient lier la musique de ce groupe à la vie politique de son pays.

Une mythologie de plastique

À la base cependant, le groupe ne cherche qu’à se faire l’écho d’un certain rock psychédélique et souterrain provenant des États-Unis et dont le Printemps de Prague a favorisé la circulation de disques sur le sol de Bohême. Les répertoires du VELVET UNDERGROUND, des FUGS, des DOORS et de Frank ZAPPA (à qui il a emprunté son nom) sont alors copieusement revisités par PLASTIC PEOPLE, auxquels s’ajoutent ses propres compositions, dont les textes traitent de célébrations cosmologiques, empruntant à la Kabbale de Cornélius AGRIPPA ou à la mythologie celte. En concert, accoutrements en « gardiens du feu », peintures sur le visage et happenings plastiques sont de rigueur.

Dans sa première phase, la musique de PLASTIC PEOPLE est « underground » de par ses formes et ses références et s’inscrit dans la lignée de celle du PRIMITIVES GROUP, sans doute le premier groupe psychédélique que la Tchécoslovaquie ait connu. Comme un hasard n’arrive jamais seul, le fondateur de PLASTIC PEOPLE, Milan HLAVSA, fut membre des PRIMITIVES et leur directeur artistique, Ivan JIROUS, finit par devenir celui de PLASTIC PEOPLE. Éminent critique d’art et fan des BEATLES devant l’Eternel, JIROUS a de plus débauché le guitariste des PRIMITIVES, Josef JANICEK, qu’il encouragea à intégrer le PLASTIC PEOPLE, auquel se joignirent également le violoniste Jiri KABES et un professeur d’anglais canadien débarqué à Prague depuis 1967, Paul WILSON, recruté par JIROUS pour enseigner aux membres du groupe à bien chanter les paroles des groupes américains qui les avaient inspirés, et qui devint leur chanteur principal. Quand le saxophoniste Vratislav BRABENEC intègre le groupe en 1972, il suggère à ses nouveaux camarades (tous plus jeunes que lui) de constituer un répertoire original et de chanter exclusivement en tchèque. Cette époque est également celle de la rencontre du groupe avec Egon BONDY, poète et philosophe dissident (comme à peu près tous ceux qui ne pensent pas droit à cette époque en Bohême) dont les écrits n’ont jamais été autorisés à la publication mais qui serviront de source d’inspiration vive au PLASTIC PEOPLE.

Prohibition privilégiée

De reprises du VELVET, des FUGS et de ZAPPA en adaptation de poèmes de William BLAKE et d’Egon BONDY, on serait bien en peine de déceler chez PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE des textes dénotant une quelconque idéologie politique. Mais la « normalisation » mise en place par les nouveaux maîtres du pays installés par le Kremlin moscovite a eu tôt fait de mettre des bâtons dans les roues de PLASTIC PEOPLE, qui s’est vu refuser sa licence de groupe professionnel dès 1970. Il lui a de même été « suggéré » de changer de nom… « Au début des années 70, rappelle JIROUS, l’establishment prend des mesures draconiennes qui signifient pratiquement la liquidation de la musique rock en tant que mouvement. On interdit tout répertoire en anglais, les groupes qui portent un nom anglais sont rebaptisés (…) THE PLASTIC PEOPLE ne veut accepter aucun changement (le nom du groupe, son répertoire, l’allure des musiciens) qui lui soit imposé de l’extérieur, et qui ne découle pas du caractère et des besoins intimes des musiciens eux-mêmes. (…) PLASTIC PEOPLE s’est retrouvé dans la situation privilégiée de l’unique groupe de rock underground en Bohême. Son existence toute entière démontrait que la notion de l’underground n’était pas seulement une étiquette séduisante désignant un courant musical, mais qu’elle correspondait avant tout à une manière de penser et de vivre. » (1)

Sa « situation privilégiée », que JIROUS a grandement encouragé, PLASTIC PEOPLE l’a néanmoins payé cher, puisqu’il fut assez vite contraint à jouer de façon clandestine. Tous les groupes devaient en effet à cette époque se produire devant une commission d’experts qui leur attribuait ou non la permission de jouer et donc de vivre de leur musique. Inutile de dire que PLASTIC PEOPLE n’a pas obtenu les faveurs de ces «experts» et que son matériel d’enregistrement ainsi que ses instruments lui ont été retirés. Banni de Prague, le groupe en fut réduit à se produire dans des fêtes ou anniversaires privés, pour lesquels il ne demandait cependant aucune rémunération. Paul WILSON estime qu’entre 1970 et 1972, année où il a quitté le groupe, ce dernier n’a dû jouer sur scène qu’une quinzaine de fois. À chaque opportunité de concert, la police veillait souvent au grain, et plusieurs prestations furent ainsi annulées en dernière minute, au grand dam de tous les fans qui avaient parfois dû faire des kilomètres à pied à travers forêts et champs pour rejoindre un improbable village retiré où PLASTIC PEOPLE devait jouer. L’un de ces concerts manqués a du reste tourné au désastre en mars 1974 à Budovice, une centaine d’auditeurs ayant été forcés à coup de matraque à rejoindre Prague par le train. Des étudiants furent arrêtés et expulsés de leur école…

Surveillances étroites, perquisitions, arrestations et condamnations ont rythmé le développement de cette seconde culture dont les idées et les valeurs ne font pas bon ménage avec la politique répressive du gouvernement HUSAK. Ivan JIROUS lui-même en aura payé le prix à plusieurs reprises, ainsi que des musiciens du PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE et d’autres groupes, tel DG 307, AKTUAL ou UMELA HMOTA. 

Proférations de paroles vulgaires, accoutrements indécents, port de cheveux longs, usage d’ustensiles bruyants pendant les concerts sont les principaux et récurrents motifs d’accusations retenus contre les musiciens. À ceux venus assister aux concerts de ces groupes – qui, selon les autorités, étaient forcément de jeunes chômeurs drogués faisant honte à la moralité de la nation – il leur est juste reproché d’avoir cherché à s’imbiber de substances musicales illicites !

Procès pour la culture

La musique de PLASTIC PEOPLE, au regard des événements qu’elle a traversé, est vite devenue le symbole d’un engagement tant politique que moral et l’expression d’une contre-culture qui s’est consolidée notamment par l’organisation d’un festival musical. Celui-ci a quand même compté trois dates mémorables : la première en septembre 1974 dans le village de Postupice, la deuxième en février 1976 à Bojanovice et la troisième en octobre 1977 dans la propriété d’un certain Vaclav HAVEL…

Dans l’entretien qu’il a accordé à Lou REED au début des années 1990, Vaclav HAVEL, fraîchement nommé Président de la République tchèque, rappelle l’importance de PLASTIC PEOPLE à cette époque où lui-même était un auteur dramaturge en butte contre le pouvoir en place : « Ce groupe a été persécuté – d’abord ils ont perdu leur statut de professionnels. Ensuite, ils ne pouvaient plus jouer que dans les soirées privées. Pendant un temps, ils ont également joué dans la grange de ma maison de vacances, où nous devions, et c’était très compliqué, organiser des concerts clandestins… (…) Grâce à eux, un mouvement de contre-culture est né dans ce pays, durant les sombres années soixante-dix et quatre-vingts. » (2)

L’insoumission culturelle a un prix : en septembre 1976 à Prague, un procès resté tristement célèbre condamne à plusieurs mois de prison Ivan JIROUS, Vrastislav BRABENEC (de PLASTIC PEOPLE), Svatopluk KARASEK et Pavel ZAJICEK (de DG 307), accusés d’avoir « troublé la paix et l’ordre publics » en s’adonnant au «hooliganisme». Dans un texte sobrement intitulé Le Procès, Vaclav HAVEL relate la prise de conscience qu’a suscité cette condamnation : « D’une part, on avait le sentiment de participer à une expérience qui jetait sur le monde un éclairage sans précédent ; mais surtout, on ne pouvait se défendre d’une certaine émotion à la pensée qu’il existe encore parmi nous des gens qui engagent leur existence pour affirmer leur vérité, et qui n’hésitent donc pas à payer chèrement leur conception de la vie. » (3)

C’est ainsi que cet événement (parmi d’autres) a donné lieu à la création de la fameuse Charte 77, sorte de manifeste des droits de l’homme qui fut signé par d’éminents intellectuels de l’opposition culturelle et politique, mais aussi par de nombreux artistes de l’underground et par maints ouvriers. 

Ce qu’a subi la culture underground a ainsi été perçu comme le symptôme primordial du malaise suscité par la politique répressive gouvernementale et n’a pas manqué d’engendrer tout un mouvement de résistance de plus en plus vif et actif. Comme l’explique Ivan HERTEL : « L’underground a réussi à se donner une éthique qui, telle un miroir, révèle le peu de profondeur et de solidité des solutions offertes par ceux qui collaborent, et des questions posées par les dissidents. » (4)

Dans ce paysage national cerné de tourmentes et de tensions, on comprend dès lors pourquoi, en cherchant à préserver ce qu’ils étaient et ce qu’ils créaient, PLASTIC PEOPLE a fini par incarner le refus et l’opposition, et sa musique l’expression ultime de la rébellion et de la liberté.

Débarquement pirate à l’Ouest

Cette résistance culturelle synonyme d’engagement politique et moral a alors trouvé son écho en France. C’est en effet dans l’Hexagone que paraît sur un obscur label, Scopa – avec l’aide de Libération et du PLASTIC PEOPLE Defense Fund, au sein duquel s’active Paul WILSON, expulsé de Tchécoslovaquie en 1977 – ce qui est considéré comme le premier disque des PLASTIC PEOPLE. Il n’aura en effet échappé à personne que, depuis sa création, PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE n’a pas été en mesure de publier le moindre disque. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir enregistré ! Voilà donc que paraissent enfin, pour la première fois à l’abri de la censure, en 1978, des bandes enregistrées en 1973-74 sous le titre : Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned.

Un titre bien étrange et décalé en cette ère où la meilleure façon en France de revendiquer son caractère contre-culturel est de jouer la carte de la provocation hurlante du punk… Mais c’est un autre son que les PLASTIC PEOPLE donnent à entendre sur ce disque, avec raclements violoneux, piano premier choix, voix outre-tombales, saxo ébouriffé, theremin et vibraphone martiens et mélodies dissonantes à faire frissonner. C’est de l’avant-rock-garage-low-fi (il faut se douter que les conditions d’enregistrement pour un groupe underground dissident n’étaient pas à la pointe de la haute technologie !), mais qui convient parfaitement aux poèmes ironiques, délurés et profondément humanistes d’Egon BONDY, qui sait appeler les choses par leur nom. Exemples : « Quelle terrible faveur elle me fait, la constipation, à me torturer et me lamenter »  (Zacpa) ; « …la vie est uniquement le moulin de Dieu » (Podivuhodny Mandarin) ; « Dis donc qu’est-ce que tu peux roupiller, tu peux même pas t’imaginer qu’ivre de gnôle et de bière, je brille comme un joyau de l’univers » (Jo To Se Ti To Spi).

« Les PLASTIC PEOPLE ont enregistré cet album dans un château en Tchécoslovaquie, et la bande a été passée clandestinement à l’Ouest sans qu’ils le sachent », peut-on lire dans le livret particulièrement épais et dense d’une soixantaine de pages qui accompagne le 33 Tours et qui est titré Le Ghetto joyeux. Outre maints textes de chansons, collages et photos, on peut y lire des essais d’Ivan JIROUS – qui passe notamment en revue les différents groupes qu’il considère comme représentant la culture underground tchèque, à commencer par les PLASTIC PEOPLE –, de Vaclav HAVEL (Le Procès) et d’Ivan HARTEL (qui évoque pour sa part les séries d’arrestations subies entre 1970 et 1978 par le public du mouvement contre-culturel, et par les musiciens eux-mêmes) ; ainsi que des compte-rendus des trois festivals « de la contre-culture » qui ont pu avoir lieu, non sans peine, de 1974 à 1977 en Bohême. Le livret Le Ghetto joyeux retrace donc le cheminement de la culture underground à travers cette période très troublée de la Tchécoslovaquie et met en évidence le processus qui l’a conduit à jouer un rôle primordial dans la sphère politique.

Peu de temps après la sortie du disque, Paul WILSON, dans un entretien publié dans la revue ATEM, confirme l’influence des PLASTIC PEOPLE sur le milieu culturel souterrain tchèque : « D’abord au niveau musical : il suffit d’écouter les bandes faites par d’autres groupes pour s’en rendre compte. Mais leur grande influence, c’est l’exemplarité de leur attitude : (…) ils ont imposé une certaine morale ; ils ont montré aux autres groupes qu’il était possible de ne pas se faire récupérer, et que l’on pouvait aussi faire de la musique sans faire de l’argent dessus. » (5)

Des lézards dans la répression

C’est ainsi que PLASTIC PEOPLE continuera à enregistrer dans la clandestinité la plus absolue, alors que sa musique mûrit et se complexifie, mêlant art-rock et jazz fusion, le groupe étant augmenté d’un contrebassiste et de cuivres. Les albums Passion Play (1980) et Leading Horses (1981) seront ainsi enregistrés chez Vaclav HAVEL pour être publiés à l’étranger, notamment sur le label Bozi Mlyn Records, créé par Paul WILSON au Canada. C’est du reste là-bas que le saxophoniste Vratislav BRABENEC sera forcé de s’exiler en 1982, après avoir été victime d’une mise en examen musclée de la part des forces de police tchèques.

Le temps passe, et le degré de sophistication musicale atteint par PLASTIC PEOPLE s’effrite au profit d’une expression plus pop dans le disque Midnight Mouse, qui est enregistré en 1986 avec l’aide, pour les textes, de Vaclav HAVEL. Signe de vents nouveaux, c’est cette année-là que se tient le premier festival national de rock tchèque, le Rockfest, auquel sont conviés plusieurs groupes précédemment interdits. Le ciment répressif du gouvernement communiste se lézarde… L’année suivante, une invitation à jouer pour un festival rock est soumise à PLASTIC PEOPLE mais sera finalement annulée et, le groupe est convié à jouer dans une salle à condition que son nom ne soit pas mentionné sur les affiches. Manifestement, le nom PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE continue à déranger, peut-être à cause de son lourd passé. Des dissensions internes relatives à cette situation finiront par avoir raison du groupe, qui se dissout en 1988.

Transformation nocturne et renaissance de velours

Milan HLAVSA forme alors un nouveau groupe, PULNOC (« Minuit »), dans lequel on retrouve Jiri KABES et Josef JANICEK, et des musiciens plus jeunes. Cette nouvelle formation se produit en tournée en 1989 aux États-Unis dans sept villes, dont New York. Dans ses concerts dédiés à JIROUS, de nouveau emprisonné en Tchécoslovaquie pour « troubles… » etc., PULNOC interprète de nouveaux morceaux mais aussi la musique de PLASTIC PEOPLE, qui peut enfin être jouée librement après 20 ans d’interdiction ! Puis, en novembre 1989, la chute du mur de Berlin et, surtout, la Révolution de velours en Tchécoslovaquie achèvent de recaler le cauchemar pseudo-communiste aux oubliettes…

Fin décembre, Vaclav HAVEL devient président de la République tchèque. Il ne tarde pas à accueillir, l’année suivante, Frank ZAPPA en personne puis Lou REED, qu’il invite à participer à une soirée privée pendant laquelle l’ancien fondateur du VELVET UNDERGROUND écoute, ébahi, PULNOC jouer ses anciennes chansons! « J’ai soudain réalisé que je connaissais cette musique, se souvient Lou REED. Ils jouaient des chansons du VELVET UNDERGROUND – des versions magnifiques, émouvantes de mes chansons. J’avais du mal à y croire (…) Les chansons s’enchaînaient de façon magique, toujours avec la même passion, dans les arrangements, les accentuations, les ponts. J’avais l’impression d’être dans une boucle spatio-temporelle. Comme si j’étais revenu dans le passé pour m’écouter jouer. Dire que j’étais ému serait un faible mot. » (6)

PULNOC enregistre alors son premier album et se voit offrir la primeur de jouer en première partie du concert de reformation du VELVET UNDERGROUND, donné à l’occasion de l’exposition sur Andy WARHOL à la Fondation Cartier, à Paris. En 1993, Egon BONDY signe un nouveau texte pour le second disque du groupe, City of Hysteria, dont les notes de livret sont rédigées par Vaclav HAVEL, et Milan HLAVSA raconte l’histoire de PLASTIC PEOPLE dans un livre qui paraît simultanément avec un coffret regroupant tous les 33 Tours enregistrés par le groupe (8 disques). Vient alors l’heure de la dissolution pour PULNOC, Milan HLAVSA formant un nouveau groupe, FICTION, pour enregistrer des musiques inédites de PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE. Mais la copie finit par céder la place à l’original à l’occasion des 20 ans de la Charte 77, en 1997. Afin de célébrer l’événement, Vaclav HAVEL demande au PLASTIC PEOPLE de se reformer pour un concert à Prague qui sera suivi d’autres dates en Tchécoslovaquie et même dans les pays de l’Ouest. PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE est ressuscité.

Milan HLAVSA retrouve son idole Lou REED pour un concert à Washington en septembre 1998, à la demande de Vaclav HAVEL, qui répondait à une invitation du Président Bill CLINTON. HLAVSA se souvient que « la situation était orwellienne, kafkaïenne, havelienne, en raison du scandale Monica LEWINSKY. Sur toutes les chaînes télé sur lesquelles on tombait, il était question de cette ennuyeuse histoire de fellation. Au même moment, on chantait Dirty Boulevard pour CLINTON et la Maison-Blanche. Je peux vous dire que c’était une expérience étrange et inoubliable ». (7)

Le groupe reviendra aux États-Unis en 1999 pour deux concerts à la Knitting Factory.

En janvier 2001, une ultime tragédie se produit : un cancer emporte Milan HLAVSA. Ce dernier ayant cependant eu le temps auparavant de composer de nouvelles musiques, les autres membres du groupe décident de les enregistrer. Un nouvel album en hommage à Milan HLAVSA, Lazy Love, finit par paraître en 2002. Le PLASTIC PEOPLE a repris le chemin des concerts et s’est ainsi produit en France au Festival MIMI de Marseille, où, vers minuit (« pulnoc » ?), il a fait briller le ciel d’une étoile supplémentaire, celle d’une musique chargée d’histoire mais qui n’a plus d’âge et qui se confond avec les légendes…

Stéphane Fougère

NOTES :
(1) : in Le Ghetto joyeux, livret du 33 Tours Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned (Plastic People Defense Fund, 1978)
(2) : in Paroles de la nuit sauvage, Lou REED (10/18)
(3) ; (4) : in Le Ghetto joyeux, op. cit.
(5) : ATEM N°15 (février 79)
(6) : in Paroles de la nuit sauvage, Lou REED, op.cit.
(7) : tiré d’un entretien de Milan HLAVSA avec Jason GROSS disponible sur le site web www.furious.com

Entretien avec THE PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE

Commençons par évoquer votre retour discographique et scénique. Autant qu’on s’en souvienne, PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE (P.P.U.) s’est dissous avec l’avènement du groupe PULNOC, créé par votre leader Milan HLAVSA, en 1987 et la sortie d’albums solos de Milan HLAVSA, Vratislav BRABENEC, Jan BRABEC…. Puis, un concert a pu être donné en 1997. Quelle est l’histoire de cette résurrection ?

Vratislav BRABENEC : En vérité, avant ce concert de 1997, le dernier concert de PPU avec ses membres originels remonte à 1981, à l’occasion du 30e anniversaire de notre bassiste et chanteur Milan HLAVSA, qui fut le compositeur de la majorité de nos morceaux et qui est décédé il y a un an et demi. C’est à cette époque qu’a été enregistré l’album Leading Horses. 

Nous étions très surveillés, et l’endroit où nous avions enregistré ayant mystérieusement brûlé, nous avons dû réenregistré le disque ailleurs… Peu après, j’ai été contraint à l’exil après plusieurs interrogatoires, et je me suis retrouvé au Canada. Mais le groupe a continué jusqu’en 1988, et c’est alors que Milan a décidé de ne plus continuer à jouer sous le nom PPU et a fondé un plus petit groupe, PULNOC (« minuit », en tchèque).

Et puis on s’est donc retrouvés en 1997 au Château de Prague sur une invitation du président Vaclav HAVEL pour célébrer le vingtième anniversaire de la Charte 77, à l’existence de laquelle nous avions contribué en 1977. C’est ainsi que nous avons redémarré avec plusieurs anciens membres et quelques nouveaux musiciens. À l’heure actuelle, il n’y a plus que trois membres d’origine : Josef JANICEK aux claviers, Jiri KABES au violon, et moi au saxophone. Les autres sont des nouveaux, à l’exception du contrebassiste, Ivan BIERHANZI, qui avait déjà joué avec nous il y a 20 ans sur l’album Passion Play. 

Depuis votre reformation, vous avez donc enregistré deux disques…

VB : Oui, on a d’abord publié un enregistrement live de notre tournée de reformation en 1997, durant laquelle on a bien sûr joué une sélection de vieux morceaux, et puis l’an dernier on a sorti un nouvel album, Lazy Love, le premier sans Milan HLAVSA.

Milan HLAVA était l’âme historique et musicale de PPU. Comment le groupe peut-il exister sans lui maintenant ?

Josef JANICEK : Milan était notre principal compositeur en effet. L’album Lazy Love a commencé à être conçu de son vivant. Il avait déjà écrit cinq ou six morceaux avant de disparaître, et nous avons tenu à les enregistrer. L’album lui est dédié. VB : Pour les autres compositions de l’album, chacun d’entre nous a mis la main à la pâte, notamment Jiri le violoniste, mais aussi notre guitariste Joe KARAFIAT, notre nouvelle bassiste, Eva TURNOVA, le batteur Ludvik KANDL… On a cherché de nouvelles directions tout en restant ancrés dans ce rock psychédélique qui constitue notre base et sur lequel nous avons fondé notre style depuis 30 ans. Peut-être sommes-nous devenus plus « sauvages »… (rires)

Le VELVET UNDERGROUND a souvent été cité comme référence majeure de PPU. Qu’en est-il de cette influence dans votre musique aujourd’hui ?

VB : Disons qu’il y a une trentaine d’années nous avons été inspirés par le mouvement psychédélique américain. Donc, il y a eu VELVET UNDERGROUND, mais également CAPTAIN BEEFHEART, Frank ZAPPA et d’autres formations plus obscures à caractère expérimental… Ces influences étaient très présentes à nos débuts. Depuis, nous avons indéniablement trouvé notre propre son. Nous avons eu l’occasion, depuis notre reformation, de jouer aux États-Unis, et plusieurs musiciens là-bas nous ont avoué avoir beaucoup été influencés par nous ! C’est quand même amusant d’entendre des musiciens américains dire qu’ils ont été inspirés par un groupe psychédélique d’Europe de l’Est, alors que lui-même a puisé dans le psychédélisme américain des années soixante ! (rires)

La répression que vous avez subie dans les années soixante-dix de la part du régime communiste était-elle dûe à votre musique, à vos textes ou du fait qu’elle avait une influence américaine ? 

VB : Nous avons été réprimés parce que notre musique influençait la jeunesse de l’époque, et cela effrayait les autorités. La répression a du reste touché pas mal de monde. Il y a eu des étudiants qui ont été radiés de leur université et emprisonnés parce qu’ils avaient des enregistrements de PPU. Il nous est arrivé toutes les choses possibles et imaginables ! Le
point culminant, c’était en 1976. 16 personnes, parmi lesquelles nous, des amis à nous, un chanteur, et des musiciens d’un autre groupe, DG 307, qu’on connaissait, ont été jetés en prison. On ne savait pas ce qui allait advenir de nous… On avait entendu dire qu’on allait en prendre pour cinq ans au minimum, parce qu’on était considérés comme des ennemis du régime. Nous ne nous sommes jamais considérés comme tels ! Nous voulions juste jouer la musique que nous avions envie de jouer. 

Notre manager, Ivan « Magor » JIROUS, qui était aussi un critique et un historien d’art, avait fait de nous les tenants de la «seconde culture», dont il avait du reste organisé un festival. Mais pour le gouvernement communiste, il ne pouvait y avoir qu’une seule culture, la culture communiste ! Cela dit, il n’y avait chez nous aucune prétention politique. Simplement, nous avons été « labellisés » à l’Ouest comme des dissidents. Des dissidents de quoi, au juste ? Nous ne sommes pas communistes, nous n’étions pas communistes, nous ne voulions avoir aucun lien avec cela, nous souhaitions juste être des « artistes » indépendants. 

Mais il n’y avait pas de place pour une « seconde culture » en Tchécoslovaquie à cette époque.

VB : Oui. (rires) Pour eux, c’était une nouvelle forme d’anarchie.

Cependant, il n’y avait rien de réellement subversif dans vos paroles de chansons…

VB : Nos paroles n’étaient pas centrées sur de quelconques revendications politiques. Il s’agissait plutôt de poésie. Si l’on a milité, c’est pour la paix, la paix mondiale. En Tchécoslovaquie, on a même eu une « armée de la paix », et des poètes comme Egon BONDY ont écrit de superbes poèmes très simples qui disaient par exemple « la paix, la paix, la paix, c’est comme du papier dans les toilettes ». En tchèque, ça rime… Ou encore « pourquoi dois-je devenir un soldat ? C’est une vie merdique. Allez vous faire foutre avec vos devoirs militaires… » Bon, je traduis grossièrement (NDLR : Et nous encore plus !), mais c’est pour ce genre de textes qu’on nous a jetés en prison. Nos propos étaient considérés comme vulgaires. C’est comme si, en France, quelqu’un avait été emprisonné pour avoir dit « merde » ou, en Angleterre, « fuck you ». Les équivalences de ces grossièretés en Tchécoslovaquie font partie du langage courant, on les emploie en littérature, en poésie… 

En dépit de toutes les difficultés que vous avez connues, vous avez pu enregistrer un bon paquet de disques, et votre musique s’est sophistiquée avec le temps…

VB : Quelquefois seulement… (rires)

Vous avez même réalisé des sortes d’albums-concepts, comme Passion Play, qui traite de la crucifixion du Christ. Cela vous-a-t-il valu des problèmes avec la gent religieuse ?

VB : Non. Les paroles m’ont été inspirées par mes études en théologie durant les années soixante. Nous cherchions alors de nouveaux thèmes sur lesquels travailler, et j’ai suggéré ce thème à Milan HLAVSA, qui était partant pour essayer. Je pense que le thème a plu autant à des catholiques, des protestants qu’à des amis juifs. Avant cela, on avait travaillé sur des textes d’un philosophe tchèque assez controversé, Ladislav KLIMA, dont certains livres ont été je crois traduits en français. C’était plus un poète qu’un philosophe, mais nous aimions sa… « philosophie ». 

Du fait de l’interdiction de jouer votre musique, vos disques sont sortis sur d’obscurs labels occidentaux (Scopa-Invisible, Bozy Mlyn, Freedonia, par exemple). Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la sortie de ces disques durant les années illégales ?

VB : Le premier, Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned, est paru en France et en Angleterre. Les suivants ont été enregistrés sans que l’on ait songé à un moment qu’ils pourraient sortir en LP ! Mais un ami canadien à nous, Paul WILSON, qui a été membre de PPU dans les premières années mais qui a fini par être expulsé de Tchécoslovaquie, a réussi à en publier par le biais de ses contacts dans le milieu gauchiste français et l’avant-garde culturelle anglaise. PPU a ainsi été découvert par quelques critiques musicaux, notamment un critique du Village Voice qui a écrit un premier article en 1977. Je ne me souviens plus de son nom… J’ai pas bu assez de vin ! (rires) Il y a également eu des articles en France, mais toujours plus ou moins liés à une perspective politique. Or, nous n’étions pas partie prenante de ces combats. Si nous avons eu des contacts avec des personnalités politiquement engagées, c’était presque par… accident. (rires)

J’imagine qu’à l’époque vous n’avez pas pu vendre tous vos disques en Tchécoslovaquie ?

VB : Oh non, c’était radicalement interdit !

JJ : Depuis, certains ont été réédités en CD, et on peut même en trouver à Prague. Des archives live sont également sorties ; il y a eu notamment un coffret de dix LP/CD qui regroupe des albums et des bandes live. Certaines de celles-ci sont de qualité sonore assez rudimentaire, puisqu’enregistrées avec de vieux microphones, mais on y perçoit assez bien tout l’esprit de notre musique.

J’ai entendu dire qu’il existait aussi des images filmées et photographiées de concerts et de happenings de l’époque du « ghetto joyeux », que ce soit par des anonymes ou des artistes renommés (Bohdan HOLOMICEK, Vera CHYTILOVA)…

JJ : Quelques films assez courts ont pu survivre, mais pas tant que ça.

Y aura-t-il une diffusion de ces images sous forme de vidéos ?

JJ : Il existe déjà un film sur PPU, qui a dû sortir il y a deux ans maintenant. Il a même été diffusé dans quelques cinémas en République tchèque ainsi qu’à la TV. Ce film a été conçu par de jeunes réalisateurs, et il retrace assez bien notre histoire et explique pas mal de choses.

Voyez-vous une différence entre le public que vous avez eu dans les années 1970 et 1980 et celui que vous avez maintenant ?

JJ : Ce qui m’a surpris, c’est le nombre de jeunes qui s’intéressent à nous. Nous devons être un véritable « musée » pour eux. Notre musique peut leur paraître datée, mais ils l’apprécient comme une musique toujours d’actualité. Dans les années soixante-dix, nous étions perçus comme de dangereux dissidents parce que nous ne collaborions pas avec les communistes. Nous étions donc fatalement « en opposition ». En 1997, nous nous sommes reformés à la demande de notre président Vaclav HAVEL, avec qui nous étions amis. Mais nous n’avons jamais tiré parti de cette situation. Nous sommes toujours un groupe underground, des êtres bizarres… (rires)

Et je pense que quelqu’un qui nous découvre aujourd’hui en concert pour la première fois aura facilement la sensation que nous n’avons guère changé par rapport à ce que nous étions et que nous véhiculons toujours le même esprit.

VB : Nous apprécions ce contact avec un public jeune. Nous jouons bien évidemment toujours de vieux morceaux, mais dans des versions « rafraîchies », et du coup cette musique est toujours vivante. Sans doute avons-nous des choses à dire pour quelques années encore… Je l’espère en tout cas. Je me souviens qu’à 17 ans j’ai été très influencé par les trois énormes volumes des Chemins de la liberté, de Jean-Paul SARTRE. Ces chemins vers la liberté, je crois qu’on n’a pas cessé d’y marcher, mais peut-être trouverons-nous notre vraie liberté au ciel après tout ! (rires)

Article réalisé par Frédéric Vion et Stéphane Fougère –

Propos recueillis par Stéphane Fougère – Photos : Sylvie Hamon
(au Festival MIMI, Marseille, ïles du Frioul, en juillet 2002)

DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE DE PLASTIC PEOPLE
Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned
(Invisible Records/SCOPA,1978) 

Lors de sa sortie en France, cet album fit sensation. La pochette noire, un épais livret retraçant l’histoire de l’underground tchèque et ces chansons ! Un rythme hypnotique inspiré du VELVET, des FUGS ou du premier MOTHERS (Help ! I’m a Rock) sur lequel Milan HLAVSA scandait d’une voix grave les textes du philosophe-vagabond Egon BONDY (immortalisé dans le merveilleux roman de Bohumil HRABAL, Tendre Barbare).

Les thèmes sont la constipation, l’ennui (matérialisé par des ronflements !), le dégoût, l’alcoolisme, autant de paraboles dirigées contre la société totalitaire régnant en Tchécoslovaquie. Ce disque-livre a été réalisé par un comité de soutien français (on le désigne d’ailleurs aujourd’hui comme le « French album ») et il donne un véritable sens à la notion d’underground.

Enregistré dans des conditions difficiles par des musiciens souvent emprisonnés, il garde une urgence qui en fait le chef-d’œuvre du PPU. Un must pour les collectionneurs : le vinyle paru chez SCOPA-Invisible, avec la brochure très complète sur la troisième renaissance musicale tchèque : Le Ghetto joyeux.

Sur la réédition CD faite par Globus en 1992, le meilleur morceau (Podivuhodny Mandarin) a été supprimé. Pourquoi ? (Yves Blavier)

(NDLR : Podivuhodny Mandarin a été finalement réintégré dans les rééditions CD successives de cet album, avec d’autres morceaux en bonus.)

Passion Play
(Bozi Mlyn, 1980)

Sur ce deuxième LP, édité au Canada par Paul WILSON, un ancien membre du groupe, le saxophoniste Vratislav BRABENEC a pris un temps le leadership du groupe. Apparemment très croyant, il s’est mis en tête de lui faire jouer un spectacle sur la Passion du Christ, enregistré live dans la ferme de Vaclav HAVEL.

Bien sûr, les chrétiens participent alors activement à la dissidence contre le régime mais pour des oreilles occidentales, les textes du disque se rapprochent de la messe et peuvent sembler lourds, voire ennuyeux. Personnellement, je préfère lorsqu’ils adaptent des marginaux comme Ladislav KLIMA ou BONDY ! Mais il reste heureusement la musique, souvent intéressante et variée.
Un bon disque. (Yves Blavier)

Leading Horses
(Bozi Mlyn, 1981)

Le nouvel LP du groupe est toujours enregistré live dans la ferme d’HAVEL mais la qualité sonore est bien meilleure (assouplissement de la répression ?). Les chansons sont inspirées et bien jouées. Tous les musiciens sont en progrès, même sur le plan vocal. Excepté le premier titre (Samson) un peu longuet, c’est l’un des meilleurs disques du groupe (même si le premier LP reste incontournable) et il règne sur Leading Horses une certaine sérénité jusque dans les morceaux agressifs, comme si semblait perçue la fin du régime oppresseur. (Yves Blavier)

Midnight Mouse
(Bozi Mlyn/ Freedonia, 1987)

Le dernier disque du PPU enregistré avant la chute du Mur est aussi le moins intéressant. Un des musiciens a eu l’idée saugrenue d’acquérir un synthé avec lequel il pollue de ses « pouic, pouic » plusieurs morceaux. L’inspiration est en baisse et l’on s’ennuie ferme. Pourtant, quelques titres surnagent malgré tout de ce ratage : Young Girls (texte de BONDY se résumant à ces deux mots !), Crawls et surtout Sings, où le chœur mélancolique nous rappelle l’origine slave du groupe. Pour le reste, un disque oubliable.
(Yves Blavier)

1997
(Aion/Globus, 1997)

Des documents live couvrant toutes les périodes de PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE, on peut désormais en trouver à foison sur le label tchèque Globus, à commencer par ceux regroupés avec les albums studio dans le coffret 8 disques paru il y a quelques années. Mais en LP comme en CD, ce coffret n’existe plus. Alors autant se procurer ce live-là ; il correspond à la reformation du groupe, sur la demande de Vaclav HAVEL, à l’occasion des 20 ans de la Charte 77, et bénéficie d’une excellente qualité sonore (ce qui n’est pas le cas de tous les live de PPU, on s’en doute). Les classiques y sont repris dans des versions neuves redoublant d’énergie, avec notamment la guitare saignante du petit nouveau, Joe KARAFIAT. C’est aussi le dernier enregistrement de PPU avec Milan HLAVSA. Idéal pour une initiation au PPU actuel. (Stéphane Fougère)

 

LiNe S Tebou Spim (Lazy Love)
(Globus, 2001)

Pouvoir acheter un nouveau disque du PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE en 2002 est un événement alors même que le fondateur est décédé il y a un an (« in memoriam Milan HLAVSA »). Il est vrai que l’héritage du PLASTIC PEOPLE historique était plus porté par Jan BRABEC et son groupe, DOMACI KAPELA (rock rythmique jusqu’à l’obsession), et par Vratislav BRABENEC (textes sur musiques improvisées) que par les albums du groupe de Milan HLAVSA, PULNOC, d’un rock au format plus classique. Vratislav BRAVENEC (sax, chant) est justement très présent sur ce disque ainsi que Jiri KABES (violon). Milan HLAVSA lui-même est présent grâce à ses compositions (7 morceaux sur 10 que compte l’album).

La formation est élargie et associe, outre le violon et le sax, des claviers, une guitare électrique, une voix féminine grave et lancinante, une basse et une batterie. La construction des morceaux est basée sur le rythme et la répétition (rappelons que Milan HLAVSA était bassiste). L’ensemble sonne vraiment comme PLASTIC PEOPLE. Bien sûr, l’urgence des enregistrements passés a disparu mais, franchement, on ne pouvait que leur souhaiter de pouvoir, un jour, enregistrer dans un studio ! La « marque de fabrique » est là : un riff souvent modéré de basse accompagné d’une batterie métronomique qui soutient les textes et les modestes soli de guitare ou de sax, parfois de piano. Le violon enrobe le tout par de longues notes (Bylo to nedavno) ou scande le rythme (V Koneccich pstru).

Les voix de Vrastilav BRABENEC et d’Eva TURNOVA sont souvent récitatives, mais peuvent se montrer parfois sarcastiques dans le ton (Ach, line, line). Parfois, le rythme se fait plus rapide, presque «transe» (Sen o Hadech) ou bien disparaît au profit de nappes planantes perturbées de piaillements de sax (Pan K.). Des clins d’œil musicaux font expressément référence aux anciens albums des PLASTIC PEOPLE : la fanfare qui ouvre le dernier morceau Moc jsem si neuzil, qui rappelle l’ouverture du disque Slavna Nemesis (inclus dans le coffret 8 LP/CD) ou la guitare wha-wha qui rappelle certaines surdoses de theremin… (Konec leta, reprise d’un titre de l’album éponyme de BRABENEC et de ses compères de l’underground tchèque : Jan KOMAREK, Jan BRABEC, Petra OPLISTILOVA, Philip TOPOL et Josef KARAFIAT).

Ce disque n’a pas l’ambition de certains albums (pas de longues compositions ou de concept-album) mais il garde la spontanéité et l’originalité initiales de la musique de PLASTIC PEOPLE. Un vrai plaisir ! (Frédéric Vion)

Pour quelques archives de plus…

«Kvalita nahravek odpovida dobe a moznostern undergroundou»  (La qualité est limitée par les possibilités des outils d’enregistrement underground.)

Vozralej Jak Sliva («Bourré comme un coing») (concerts 1973 – 1975) (Globus, 1997)

La musique de ce disque, un peu fourre-tout, oscille entre des improvisations et expériences sonores qui rappellent les travaux du DG 307 et des morceaux basés sur la rythmique propre au PLASTIC PEOPLE. 

Les textes sont majoritairement d’Egon BONDY. Certains morceaux ont été publiés dans les CD Eliasuv Ohen et Francovka. Une version live de Jo to se ti to spi («Qu’est-ce que tu peux roupiller»…) de l’album Egon BONDY’s Happy Hearts Club Banned est donnée ici. Le morceau de bravoure est Angel’s Hair, long morceau (14’) qui mélange impro autour de la voix accompagnée du theremin et d’autres instruments et des parties d’un format plus conforme au genre du groupe bien que d’un tempo plus rapide.  (Frédéric Vion)

Eliasuv ohen (Le Feu de Saint-Elme) (concerts 1972 – 1974 – 1976) (disponible dans le coffret 8 LP – ou CD – The Plastic People of the Universe, Globus 1992)

Trois morceaux extraits d’un concert de 1972 (avant l’interdiction ?), trois autres issus du deuxième Festival de la seconde culture (1976) et un dernier issu d’un concert confidentiel dans un atelier. La musique est construite derrière le couple basse – batterie qui soutient les paroles (Jiri KOLAR, Egon BONDY entre autres) et les soli (sax, guitare etc). Musique aventureuse sans être expérimentale. (Frédéric Vion)

Francovka (concerts 1973 – 1974 – 1979) (disponible dans le coffret 8 LP – ou CD – The Plastic People of the Universe, Globus 1992)

Francovka est le nom d’un désinfectant que les pauvres et les clochards mélangent à leur vin. L’ouverture de ce disque sur Apokalyptickej Pták (« Oiseau apocalyptique ») donne le ton du disque. Une charnière entre les morceaux d’inspiration rock et des morceaux aux compositions plus abouties. Les divers instruments sont utilisés cette fois pleinement dans les compositions (sax , flûte,cordes). Le theremin très bavard au début du disque se fait plus discret ensuite. Le label Rock in Opposition peut s’appliquer à cette musique. Un bon disque pour qui veut s’initier. 

Kolejnice duni (Le Grondement du train – 1977-1982) (Globus, 2000)

Ce disque continue l’exhumation et la remastérisation de bandes de concerts du PLASTIC PEOPLE des années illégales par Globus. Il présente trois parties distinctes : d’abord, un OVNI, Phill Esposito, dont la forme tranche radicalement avec celle du PLASTIC PEOPLE : la langue semble latine (espagnole ? roumaine ? les deux ensemble ?), la musique est totalement improvisée voire expérimentale et n’aurait pas dépareillée dans le répertoire de DG 307, le choix des instruments diffère, associant crécelles et sifflets, une voix féminine nasillarde, succession de miniatures musicales. Difficile d’entrer dans ce morceau (tiré du disque Francovka) sans effort… 

Ensuite, une partie de morceaux témoignages, alternant musique et textes : la réédition du morceau 100 Points paru initialement en 1980 sur une cassette du label Eurock, l’enregistrement ayant eu lieu, quant à lui, en 1977, lors troisième festival musical de la seconde culture dans la maison de Vaclav HAVEL à Hradecek dans les basses montagnes du nord du pays. C’est une longue suite instrumentale (28’10) basée sur le rythme lancinant mais intangible basse-batterie, ponctuée de breaks qui entrecoupent les différentes parties laissées à la libre improvisation des musiciens (violon, batterie, sax…). 

À la dixième minute, lecture d’un texte de Frantisek VANECEK, qui décline 100 points qui font peur à « ils ». Au hasard : « ils ont peur des vieux pour leur mémoire, ils ont peur des jeunes pour leur innocence, ils ont peur même des enfants scolarisés, (…) ils ont peur des tombes et des fleurs que les gens y déposent, (…) ils ont peur des travailleurs (…) ils ont peur des conventions qu’ils signent (…) ils ont peur des machines à écrire (…) ils ont peur de leur signature (…) ils ont peur de la lumière et de l’ombre, ils ont peur de la joie et de la tristesse, (…) ils ont peur de Marx, ils ont peur de Lénine (…) ils ont peur du socialisme. » La tension augmente tout au long de cette déclamation, le clavier se faisant dissonant, le theremin en rajoutant au violon, la batterie insistant finalement pour la reprise de impros qui restent non démonstratives. 

Le second long morceau (19’37) est une « lettre à MAGOR », surnom de Ivan JIROUS, emprisonné alors (1978). Ses amis sont là et racontent. Après que l’ensemble a scandé ironiquement « la loi est la loi », le rythme immuable du PLASTIC PEOPLE, (la basse de Milan HLAVSA et la batterie de Jan BRABEC) s’engage, Vratislav BRABENEC ouvre le ban des messages sur les « ils » qui ont emprisonné leur ami. Jiri KABES raconte les trois emprisonnements de MAGOR jusqu’au concert où 100 Points fut enregistré.

Ces textes sont lus les uns après les autres, entre chaque, le violon et l’ensemble de la musique s’enflent puis se dégonflent pour laisser parler le suivant (Vaclav HAVEL est même crédité pour un «salut MAGOR !»). Il y est fait référence aux états d’âme des amis, au fait que « le fou des fous, notre manager » soit enfermé et pas eux, qu’eux-mêmes sont des MAGOR (« JIROUS est toqué, il y en a quelques-uns comme lui qui pourraient contaminer une ville entière » dit plus loin Pavel ZAJICEK de DG 307). Beaucoup de textes donc, mais un morceau d’histoire culturelle, humaine et, finalement, politique pour une musique originale dont la langue tchèque contribue au plaisir et à l’aventure de cette écoute. Voir, pour les traductions en anglais de ces textes et bien d’autres, le livre sur le PLASTIC PEOPLE, édité par Globus (www.tamizdat.org).

Enfin, la dernière partie enregistrée en 1982 présente trois morceaux basés sur le mariage de violons à la rythmique basse-batterie. Restes d’un projet inspiré de L’Archipel du goulag d’Alexandre SOLJENITSYNE. Pas de parole. Musique Milan HLAVSA. C’est un morceau édité à l’origine dans l’album Hovezi Porazka dont la forme « rock de chambre » laisse apparaître parfois, un sax aux notes étirées et une flûte discrète. Entêtant, agréable et original.  (Frédéric Vion)

Hovêzi Porázka (« Abattage de bœufs ») (enregistrements de 1983) (Globus, 1997 ; réédité par Monitor /Warner Music Czech Republic en 2014)

La diversification des instruments se poursuit dans ce disque dans lequel apparaissent une clarinette, une clarinette basse, une guitare au flanger et même une synthétiseur. Les morceaux sont courts (environ 4’) mais les compositions sont ambitieuses. Le mariage des cuivres et des cordes est recherché. La technique musicale, non démonstrative, semble mieux maîtrisée. Un très bon disque qui complète l’album Leading Horses dont il est contemporain. Les textes font référence à la vie en Tchécoslovaquie à partir d’animaux (du bœuf abattu à la mouche dans la bière…). (Frédéric Vion)

Slavna Nemesis (« Nemesis glorifiée », 1979) (disponible dans le coffret 8 LP – ou CD – The Plastic People of the Universe, Globus 1992)

Ce concept-album est basé sur des textes de Ladislav KLIMA, philosophe-clochard, disciple de NIETZCHE, pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance (et le cinquantième de sa mort). Voici l’album le plus torturé du PLASTIC PEOPLE. Deux morceaux, à la scansion andante, conduisent à une sorte d’oppression musicale.

Des moments de respiration apparaissent ça et là et sont pourtant totalement improvisés. Le dernier morceau, plus concis, paraît plus positif en ayant un rythme plus accéléré, scandé par le piano électrique supportant les délires du sax.

Slavna Nemesis a été  réédité en CD et remasterisé par Globus en 1998 sous le titre Jak bude po smrti (« L’Après-vie »).

(Frédéric Vion)

Bez ohnu underground (« Sans le feu est l’underground* », concert de 1992) (Globus, 1993)

Disque d’un concert donné en 1992 par le PLASTIC PEOPLE reformé. Un hommage aux membres de l’époque 1969 – 1973 dont la liste (incomplète…) est donnée et les morceaux présentés sont ceux qui étaient joués à l’époque : reprises honnêtes du VELVET UNDERGROUND (Waiting for the Man), The DOORS (Light my Fire) et THE FUGS (The Garden is Open), et trois morceaux du premier album du PLASTIC PEOPLE (Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned) dont le très très bon Podivuhodny Mandarin (« Le Mandarin merveilleux ») qui avait disparu bizarrement de la première réédition CD de cet album, et Modry autobus (« Le Bus bleu », qui vient de la « Vallée de velours »…), une des plus anciennes chansons du groupe, jamais enregistrée sur CD jusqu’alors, ballade sixties pas essentielle. Il n’y a aucune information sur la formation de 1992. Les photos datent des prestations scéniques de l’époque. Pour les aficionados (du PLASTIC PEOPLE, du VELVET UNDERGROUND, des FUGS, des DOORS ou de plusieurs à la fois !). (Frédéric Vion)

* expression tirée d’un livre de mémoires de Milan HLAVSA dans lequel, très jeune, il s’interrogeait sur la différence entre la musique psychédélique (« avec le feu sur scène »), et l’underground, sans le feu) 

For Kosovo (Globus, 1999)

Ce mini-CD de 13’26 publié en édition limitée (999 exemplaires) a été enregistré lors d’un concert pour le Kosovo en 1999 au Palace Akropolis de Prague. Il comprend une composition de Milan HLAVSA et Vratislav BRABENEC, une reprise de Lou REED (Sweet Jane) et une reprise du dernier album de PULNOC (groupe qui a succédé au PLASTIC PEOPLE), City of Hysteria (paru sur Arista aux États-Unis !). (Frédéric Vion)

* Discographie CD *

Egon Bondy’s Happy Hearts Club Banned (LP 1978 ; rééditions CD Globus, 1992 et 2001 ; Kissing Spell, 2004 ; SACD, EMI, 2010)

Jak bude po smrti / Slavna Nemesis (K7 1979 ; Globus, 1998)

Pasijove hry velikonocni / Passion Play (LP 1980 ; réédition CD Globus, 1992 ; réédité par Monitor, 2014)

Co znamena vesti kone / Leading Horses (LP 1983 ; réédition CD Globus, 1992 ; réédité par Monitor, 2014)

Pulnocni mys / Midnight Mouse (LP 1987 ; réédition CD Globus, 2001, réédité par Monitor, 2014)

The Plastic People of the Universe (Coffret 8 CD + brochure 32 pages + T-shirt (pas à chaque fois…) (Globus, 1992)

Bez ohnu underground (CD Globus, 1993)

1997 (live) (CD Aion / Globus, 1997 ; DVD, Levné Knihy KMa, 2007)

Hovezi Porazka / Beefslaughter (CD Globus, 1997)

For Kosovo (live) (CD Globus, 1999)

Kolenice Duni  (CD Globus, 2000)

Ach to statu hanobeni (concerts 1976-1977) (CD Globus, 2000)

Line s tebou spim / Lazy Love (CD Globus, 2002)

Muz bez usi (concerts 1969-1972, avant l’interdiction) (CD Globus, 2002)

Trouble Every Day (live 1971 – 1977) (CD Globus, 2002)

Pašijové Hry / Passion Play (avec AGON ORCHESTRA) (live 2004) (CD Knihy Hana s.r.o., 2004)

Do Lesíčka Na Čekanou (concert 1973) (2 CD Guerilla, 2006)

Maska Za Maskou (The Mask Behind The Mask) (CD Guerilla, 2009)

Obešel Já Polí Pět – Koncert Na Počest Ladislava Klímy (avec AGON ORCHESTRA) (CD + DVD, Guerilla, 2003)

Non Stop Opera (Live) (CD Guerilla, 2011)

Apokalyptickej Pták (CD Galén, 2017)

Co Znamená Vésti Koně (CD+DVD, Indies Happy Trails/ Agentura Wap Doo Wap, 2017)

* Bibliographie *

The PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE (Globus / Mata) : traduction des textes en anglais – 1999
Pour en savoir plus sur le theremin : lire le reportage de Laurent DAILLEAU paru dans Revue & Corrigée n° 48 (juin 2001).
Ladislav KLIMA : Tout (Écrits intimes 1909 – 1927) (Ed. La Différence)
Bohumil HRABAL : Tendre Barbare (Ed. Le Livre de poche – Biblio)

Chroniques réalisées par : Frédéric Vion, Yves Blavier et Stéphane Fougère (2002)

Site web : http://plastic-people.cz

(Chroniques, article et entretien originaux publiés dans TRAVERSES n° 12, décembre 2002, et
TRAVERSES n°13, juin 2003 –
discographie mise à jour en 2018)

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