CAN – Live in Keele 1977

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CAN – Live in Keele 1977
(Spoon Records)

Voici le sixième et vraisemblablement dernier album live de la collection de CAN programmée par Irmin SCHMIDT et débutée en 2021 avec celui de Stuttgart 1975 : celui de Keele du 2 mars 1977, concert qui restera un des plus rapprochés de la fin de la période intense du groupe sur scène puisque le tout dernier concert aura lieu en mai 1977 à Lisbonne devant plus de 10 000 personnes (et surtout sans Holger CZUKAY, parti pour de bon à cause de ses différends avec Reebop, l’un des deux nouveaux musiciens présents sur Saw Delight paru en début de cette année 1977).

C’est donc le moment opportun de faire un bilan de ces (ré)éditions tardives, amples et bienvenues, que certains avaient en versions pirates, en revisitant cet assemblage inégal et non exhaustif documentant la période 1973 – 1977 (Spoon 63 à Spoon 69 avec un petit trou pour 1974 qui pourrait correspondre à Spoon 67 non attribué/abandonné/remis à plus tard ?). L’année 1972 avait pour autant été incluse dans la discographie du groupe lors de la parution de l’édition du 40è anniversaire de Tago Mago en 2011, l’année 1974 étant elle gravée dans le très beau live Peel Sessions de 1995 avec trois titres inédits, le CD étant désormais malheureusement introuvable.

Par ailleurs, Il existe un double album officiel CAN Live Music Box (1971-1977) paru en 1999, dans lequel il y a pêle-mêle du live de 1972 avec le très long (37’24 minutes) morceau du 5 mai à l’université d’Essex, Colchester finale, du live de 1975 avec au milieu deux morceaux (Dizzy Dizzy et Vernal Equinox) de Brighton, et le début de Fizz (6’27 minutes) de Keele du 2 mars 77. Bon, c’est le début manquant du premier morceau (Eins) du Live in Keele paru en 2024, c’est vrai que ça complique un peu, mais attendez la suite.

La série des six albums live débute avec deux double albums parus en 2021 Live in Stuttgart et Live in Brighton tous deux donc de 1975 : pochettes de murs d’enceintes ornées de sombres papillons et d’inquiétants gastéropodes devant la même foule compacte et indifférenciée (le public comme des ombres indistinctes) assortis de livrets pratiquement semblables, réduits au minimum, en rouge pour Stuttgart et en crème pour Brighton avec à l’intérieur des photos approximatives et du côté de la musique un déroulé des morceaux laconiques avec la formation en quatuor (sans Damo SUZUKI) et correspondant à la tournée post-Soon over Babaluma paru en octobre 1974 et juste avant l’enregistrement dans la foulée de Landed entre février et avril 1975.

Plus de 50 concerts en 1975 avec cette grande tournée estivale en France et le concert époustouflant du 6 août au théâtre antique d’Arles, le groupe ayant pourtant été copieusement sifflé par un public venu pour accepter de payer ses bières, mais pas du tout son ticket d’entrée (posture très distinguée très irréfléchie et carrément revendiquée définitivement au nom de la gratuité de l’art à la mode chez certains chevelus gaulois, précurseurs de la punk a(brut)ttitude).

Ces rééditions live se poursuivent sans relâche en 2021, avec un concert de 1976 Live in Cuxhaven en album simple CD (quatre morceaux et une durée très moyenne de concert, alors que celui-ci pour les versions pirates semble sauf erreur durer près de 85 minutes), mais avec un texte plus conséquent de Pascal BUSSY, grand spécialiste expert/orfèvre en CAN-ologies (et éditeur du label chic curieux et amoureux Tago Mago dès la fin des années 1970) qui d’ailleurs posait déjà en 1978 à Irmin SCHMIDT la question de l’opportunité de publier des live, lui chuchotant malicieusement : « bien qu’en fait, tous les disques de CAN soient live » et s’inquiétant également avec lui de la diffusion non contrôlée d’une multitude de pirates pas toujours de bonne qualité (il y a des « bootlegs » pour pratiquement tous les concerts de cette période).

Vient ensuite dans la série des live le fabuleux Live in Paris (double album) paru en 2024 qui reste le testament définitif de la période d’avec Damo SUZUKI, peut-être le plus beau concert en tous points du groupe (enregistrement, public en pamoison, morceaux enchaînés/déchaînés et groupe en forme extatique) et celui qu’il fallait mettre au cœur de cette compilation en six épisodes plutôt que de respecter l’ordre chronologique banal et attendu.

Suivent en 2024, les deux derniers épisodes de cette saga : Live in Aston et Live in Keele, deux concerts de mars 1977, compagnons britanniques à deux jours près et marquant la période de CAN en quintette et la tournée suite à la sortie de Flow Motion (fin 1976) et Saw Delight (janvier 1977) ainsi que la présence de Rosko GEE et le début des déboires du groupe avec un Holger CZUKAY songeant désormais à une suite en solo, deux concerts si proches et pourtant terriblement dissemblables. Celui d’Aston semble plus enlevé et féérique, même si l’effort de documenter le concert est minimal, alors que celui de Keele, peut-être parce que ce sera le tout dernier de la série, semble plus grave et reprend Fizz (là on l’avait laissé dans la Box) et part sur Pinch et Don’t Say No qui éclatent en tous sens, la conclusion sur un Animal Waves de près de 26 minutes qui, comme les enceintes de la pochette, s’envole très haut vers le ciel sombre au-dessus du public, alors que les animaux et les oiseaux bizarres des autres albums laissent désormais la place à des ailes déployées de mystérieux papillons tout au long du livret un peu plus élaboré que les précédents.

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Que dire pour conclure cette suite qui se clôture en cette fin d’année 2024 ? Celle-ci aura été l’année des retrouvailles du public avec CAN, que cette suite d’inédits de très bonne qualité nous permet de comprendre mieux l’évolution du groupe, cherchant à jouer le jeu de l’industrie et acceptant de promouvoir leurs albums fraîchement publiés, mais à leur façon, lors de tournées marathon pour mieux les pervertir, les triturer à l’aune des morceaux du répertoire d’avant ou les fondre dans le plaisir de les jouer devant un public exigeant et emballé, attentif et conquis par ces drôles de musiciens pas trop sérieux, pas trop débraillés ni prétentieux, plutôt extrêmement appliqués dans l’intensité afin de donner le meilleur de leur belle boîte de conserve musicale, tout en prenant un grand plaisir à jouer sur des scènes conquises et parfois chahuteuses, qu’ils quitteront à regret en 1977, pour continuer à sortir des albums (ne pas vraiment se séparer) mais pour ne plus jamais monter sur scène, décision qu’ils valideront définitivement.

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La suite est connue, les musiciens, peu à peu, se bâtiront de solides carrières solo (Irmin SCHMIDT et Holger CZUKAY, leurs coffrets magnifiques et leurs collaborations tous azimuts). Il y aura même une « résurrection » discographique de CAN en 1989 (Rite ou Right Time) avec le revenant Malcolm MOONEY et un au revoir définitif en pointillé avec le morceau Last Night Sleep faisant partie de la BO du film de Wim WENDERS de 1991, Until the End of the World, empli de nappes rêveuses, beau et calme morceau pour partir en toute dignité et distinction absolue, avant l’épilogue de 2012 et ces Lost Tapes divines surprises en forme de fouilles de sauvetage, trouvées au fin fond des archives de l’Inner Space Studio, beau coffret qu’on n’attendait plus guère.

CAN aura été et sera pour toujours le groupe qui a su le mieux fabriquer ses génériques de fin (et de début), car ceux-ci ne sont en fait jamais définitifs. Irmin SCHMIDT, seul survivant de l’aventure, le démontre avec ces six clins d’œil pleins de vie (il les nomme ailleurs sur les Lost Tapes des Godzillas) qui revisitent le passé et qui surpassent de bien loin tout ce qui a pu être fait par ceux qu’on a nommé les enfants de CAN. Témoignages d’un groupe au sommet, qui tentent de tenir, maintenir l’héritage et de le perpétuer, sans vouloir donner de leçons à quiconque. Merci pour ces transes télépathiques capturées sur scène qui dévastent tout pour notre plus grand plaisir, cet hommage en continu si vivant, pas nostalgique ni mélancolique, mais révérant ou rerêvant.

Xavier Béal

Page : https://canofficial.bandcamp.com/album/live-in-keele-1977

Label : https://mute.com/can-announce-live-in-keele-1977/

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