France : une anthologie des musiques traditionnelles – Guillaume VEILLET

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France : une anthologie des musiques traditionnelles

Entretien avec Guillaume VEILLET

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Ethnologue de formation, ex-enseignant à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble, journaliste et chercheur spécialisé en musiques traditionnelles, Guillaume VEILLET est aussi le concepteur du coffret France, une anthologie des musiques traditionnelles, qui a reçu le Grand Prix de l’Académie Charles Cros « Mention spéciale patrimoine ».

10 CD, plusieurs centaines de chansons et d’airs instrumentaux…


Comment t’es venue l’envie de réaliser cette anthologie ?

Guillaume VEILLET : Il y a d’abord le parcours personnel. Je viens d’un milieu rural où l’intérêt pour la chanson traditionnelle n’avait pas complètement disparu durant mon enfance dans les années 1980.

C’est donc une forme musicale que j’ai toujours entendue.

A l’âge de 25 ans, j’ai éprouvé le désir de faire du collectage chez moi en Savoie et d’aller voir des anciens là où il y avait encore une pratique. J’ai appris de nombreuses chansons auprès de personnes qui avaient à l’époque entre 70 et 80 ans.

Je suis devenu journaliste spécialisé en musiques traditionnelles. Lors d’un séjour à Londres, j’ai rencontré Tony ENGLE, le directeur général du prestigieux label anglais Topic Records. Il avait sorti en 1998 une collection de 20 CD appelée The Voice of the People, une anthologie de collectage en Grande-Bretagne et en Irlande réalisée par Reg HALL principalement à partir d’anciens vinyls du label transposés dans le format CD.

L’idée m’est venue alors de réaliser la même chose pour la France. Le projet a mûri et j’en ai parlé à Patrick FRÉMEAUX qui me semblait être l’éditeur le mieux placé pour réaliser cette publication. Il a accepté et l’aventure a réellement démarré à partir de 2005.

Cela m’a pris 4 ans. Benjamin GOLDENSTEIN a coordonné le bouclage avec moi chez Frémeaux.

Il y a eu en France avant ton coffret quelques anthologies déjà disponibles… Je pense par exemple à celle du Chant du Monde ou celle réalisée par Marc ROBINE, Gabriel YACOUB et Emmanuel PARISELLE chez EPM au début des années 1990 !

GV : Ces collections m’ont bien entendu inspiré !

Les albums Chants du Monde ne recouvraient pas tout le territoire français, on peut entendre cependant quelques morceaux extraits de ces disques dans le coffret.

L’anthologie de Marc ROBINE est à la fois différente et complémentaire : il n’y a pas d’enregistrements de terrain, seulement des réinterprétations, et ce sont toutes des chansons en langue française. On retrouve des interprètes comme Catherine PERRIER ou Jean-François DUTERTRE qui ont été eux-mêmes collecteurs.

Comment s’est réalisé le choix des régions représentées et/ou celui du répertoire ?

GV : Mon idée était que tout le territoire français soit représenté (une vingtaine de langues et dialectes sont représentées dans cette anthologie).

J’ai d’abord fait pendant deux mois un petit tour de France. J’ai contacté et rencontré des gens que je connaissais plus ou moins. Je suis allé dans les différents centres d’archives sonores et du réseau FAMDT, dans des musées comme le Musée de la Corse, le Musée Dauphinois ou bien entendu le MuCEM, ex Musée National des Arts et Traditions populaires. Il y a eu aussi des rencontres avec des collecteurs individuels… Le projet a toujours reçu un accueil positif.

Tout cela m’a permis de réfléchir à la forme à donner à cette publication.

Pour une anthologie idéale et pour une parfaite répartition géographique, il aurait fallu 15 CD, cela aurait été plus cohérent mais Frémeaux n’avait pas les moyens…

Avoir aujourd’hui la possibilité de sortir un coffret de 10 albums est déjà une chance formidable !

Il a fallu ensuite trouver un équilibre entre les chansons, les instrumentaux ?

GV : Il n’y a pas de méthode, cela s’est fait sur le long terme… J’ai fait de nombreuses maquettes différentes avant de me décider définitivement.

L’idée était aussi de montrer la diversité des collecteurs et des sources.

Le MuCEM a, par exemple, un fonds très important qui a été pour de nombreuses raisons longtemps inaccessible. Pour la première fois, on peut entendre une cinquantaine de morceaux issus de ce fonds.

Une bonne moitié des enregistrements de cette anthologie sont inédits. Le plus ancien que l’on peut entendre remonte à 1900. Ce sont quatre thèmes de gavotte (Volume 1. Bretagne) enregistrés à Paris lors de l’Exposition universelle.

On retrouve des chanteurs et/ou des musiciens qui sont devenus « mythiques » ? Je pense aux sœurs GOADEC, à Louise REICHERT et d’autres…

GV : Il y a des interprètes que l’on peut penser comme incontournables et qui ne sont pas dans l’Anthologie, on ne pouvait pas mettre tout le monde…

Si les gens que tu cites sont devenus des icônes c’est certes parce qu’ils le méritent, mais aussi parce que le hasard a fait que des collecteurs les avaient rencontrés et mis en avant. Beaucoup n’ont pas eu cette chance…

Il y a aussi quelques musiciens reconnus et quasi-pros comme BOUSCATEL, Gaston RIVIÈRE… qui ont parfois enregistré des disques, qui ont enseigné leur instrument…

Et les danses ?

GV : Là encore, j’ai essayé de diversifier. Les danses « collectées » sur le terrain ont une ancienneté très variable. Que ce soit des danses de couples récentes qu’on retrouve partout ou des fonds plus anciens comme les branles. Il fallait aussi trouver un équilibre entre les danses instrumentales et celles qui sont chantées et qui s’exécutent sur de vraies histoires.

On peut entendre aussi quelques paysages sonores ?

GV : L’Anthologie s’inspire dans la forme des « Atlas sonores » qui ont été faits en région.

Il y avait dans ces publications la volonté de replacer les enregistrements dans un contexte plus large. On peut entendre des prises de son réalisées lors de travaux agricoles ou lors d’évènements calendaires comme Carnaval, Pâques, etc.

J’ai tenu à mettre des extraits d’entretiens enregistrés en situation où les gens chantent et commentent leurs chansons.

Quelques régions comme l’Alsace, la Provence ou le nord de la France sont assez peu représentées dans l’Anthologie !

GV : Il y a des zones géographiques où il y a très peu de sources disponibles.

La Provence par exemple est une région qui a été « folklorisée » très tôt. Il y a eu là-bas moins de collectes sonores que dans d’autres régions. Quand tu veux trouver des chansons en provençal, le fonds est plus riche dans les Alpes de Haute-Provence que sur le littoral. Il y a des chansons d’auteurs mais ce n’est pas tout à fait la même chose !

L’Alsace est représentée par une chanson et je peux te dire que j’ai « galéré » pour la trouver !

C’était aussi une question de disponibilité d’archives. Pour que le projet reste cohérent, il fallait soit un musicien de tradition soit une chanson de tradition. Il y a très peu de choses qui existent. C’est la même chose pour la Lorraine ou la Picardie. Même si c’est à modérer car des archives font surface aujourd’hui, que je ne connaissais pas au moment où j’ai réalisé l’anthologie (j’ai fait de mon mieux, mais l’exhaustivité n’existe pas). Bon, il est vrai que j’aurais pu mettre plus de paysages sonores (rires) !

Mais cette disparité géographique n’est pas si grave dans le sens où il existe beaucoup de points communs entre les régions. Un chanteur de tradition qu’il soit Berrichon, Savoyard ou Breton, c’est un peu le même esprit, le même rapport au chant et c’est souvent le même répertoire ! Chaque interprète a sa façon de la chanter ou de modifier les paroles mais c’est finalement la même chose !

Patrice COIRAULT (disparu en 1959) a réalisé un répertoire de ces chansons. A partir de ses propres collectes et de l’immense littérature qui existait sur le sujet au début du 20e siècle, il a classé les chansons par thèmes, il y a plusieurs milliers de référence. Encore une fois, on s’aperçoit que c’est la même trame, souvent les mêmes airs et que le fonds est le même dans toute la France !

Au moment où ces chansons se sont répandues dans les campagnes, beaucoup de gens étaient analphabètes. Elles se sont transmises de manière orale et il y a donc eu une sorte de processus de réécriture collective de ces thèmes.

Le volume 6 est consacré à la Méditerranée. Certains régionalistes t’ont reproché une trop grande globalité…

GV : La répartition en 10 CD, j’y ai pensé pendant des années… elle est forcément artificielle !

Même si chaque disque est disponible séparément, j’ai conçu cette anthologie comme un tout et j’ai essayé de donner de la cohérence au projet. C’est un cocktail subtil et ce que tu n’as pas sur un disque existe certainement sur un autre.

Pour ce qui est de la représentation géographique, j’ai tenu compte du matériau disponible et d’une logique culturelle qui n’est finalement, sauf peut-être en Corse, jamais confondante. Même en Bretagne francophone, les pratiques musicales sont très proches de ce qu’on a pu rencontrer en Normandie ou au Poitou.

Si ce n’est forcément pas entièrement satisfaisant, j’attends que l’on me propose une meilleure répartition !

En ce qui concerne la galette dont tu me parles, j’aurais pu l’appeler « Sud-est »…il y avait déjà « Sud-ouest »…je cherchais un titre plus générique et je me suis dis « Méditerranée » ce n’est pas si mal (rires) !

Parle nous des volumes consacrés aux cousins d’Amérique du nord et aux territoires et départements d’Outre-mer !

GV : Quand j’ai pensé cette anthologie, je me suis posé la question : « Qu’est-ce que la France, à l’intérieur de ses frontières actuelles façonnées par l’histoire, les invasions ou le colonialisme ? » C’est aussi la France d’Outre-mer !

Puis quand on se tourne vers l’Amérique du nord, on s’aperçoit que les chansons interprétées par les francophones d’Amérique viennent de Bretagne, du Poitou et d’autres régions…

Il fallait donc montrer que les frontières ne constituent pas une finalité et qu’elles sont finalement totalement superficielles…

Quelles ont été les autres difficultés rencontrées dans la réalisation de cette anthologie ?

GV : Il y en a eu beaucoup (rires) ! Le coffret est une œuvre qui met en avant le travail de centaines de personnes. Dans le même temps, je devais à la fois tenir compte de toutes les remarques, faire preuve de diplomatie, prendre mes responsabilités et trancher en cas de suggestions contradictoires.

Il y a aussi la question des droits qui est plus longue que difficile. J’ai toujours eu l’accord des collecteurs. Parmi les interprètes, je n’ai eu qu’un refus, un violoneux qui trouvait qu’il jouait mal sur l’enregistrement. Il n’a pas toujours été possible de retrouver les ayants-droits, mais quand cela s’est avéré possible on l’a fait. Les morceaux qui ont été enregistrés il y a plus de 50 ans sont considérés comme libres de droit. Il y a un mètre ou deux linéaires de classeurs de contrats chez l’éditeur (rires).

J’ai passé des mois et des mois à faire ce travail et aujourd’hui les gens sont contents. Je reçois des coups de fils de papis présents sur les disques qui me remercient. Si nous avions fait ça dans leur dos, il n’y aurait pas eu cet aspect humain.

Propos recueillis par Frantz-Minh Raimbourg (2010)

FRANCE : UNE ANTHOLOGIE DES MUSIQUES TRADITIONNELLES

Enregistrements réalisés entre 1900 et 2009

Direction artistique : Guillaume VEILLET

Label : Frémeaux & Associés. Réf. : FA5260

(10 CDs vendus en un coffret ou séparément)

Vol 1 : Bretagne

Vol 2 : France de l’Ouest

Vol 3 : Auvergne et Limousin

Vol 4 : Centre France

Vol 5 : Sud-ouest

Vol 6 : Méditerranée

Vol 7 : Alpes, Nord et Est

Vol 8 : Corse

Vol 9 : France d’Outre-Mer

Vol 10 : Français d’Amérique

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