HELDON – Antelast

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HELDON – Antelast
(Bam Balam Records)
Antelast marque le retour de HELDON avec ce live enregistré à Nantes (Lieu Unique) en novembre 2019. Il faut se souvenir qu’il y eut également un concert en région parisienne, aux Instants Chavirés en décembre; c’était un jour de grève des transports.  Donc, pour ceux qui auraient manqué l’une ou l’autre de ces prestations, nous pouvons maintenant nous rattraper en écoutant ce beau document paru sur le label indépendant bordelais en format LP (pour le RSD 2022 qui eut lieu le 23 avril dernier) et CD. C’est un intense témoignage, comme nous pouvons nous en douter, de la renaissance-éclair (une blietzkrieg sonique radicale mais heureusement inoffensive pour nous) de la machine HELDON, réunissant les derniers bandits de la guérilla électronique, à savoir le seul et unique Richard PINHAS et deux petits jeunots, Arthur NARCY et Florian TATARD. 

Ces trois-là étaient faits pour s’entendre et ils incarnent à la perfection le parfait trio avant le désastre final. C’est ce qui vient tout de suite à l’esprit après avoir écouté ce disque. C’est bien un HELDON nouvelle formule, à classer comme une entité sonique des années fléaux, un laboratoire du XXIe siècle de déflagrations volcaniques et de catastrophes à venir, qui s’est mis en mouvement sur scène avant que la pandémie ne frappe le monde et que le pire ne vienne secouer notre vieille Europe. Et au final, que surgira t-il de cette musique ? Telle est la seule question qui nous abîme le restant de nos neurones (et nous n’en n’avons déjà plus beaucoup).  Pour nous , la fin est proche. Amen !
 
Le point commun de la musique de HELDON avec celle de MERZBOW est qu’elle engendre en nous un fort sentiment de puissance. La rage, qui sommeillait quelque part depuis trop longtemps, finit par se réveiller.  L’électricité vibre dans l’air, habitée de pulsations électroniques et de rythmes tribaux incantatoires. Cette musique bouillonnante appelle au désastre imminent. Ici, il n’est pas question de rêver au « meilleur des mondes possibles ». Cette musique-là nous ramène à la vie réelle, tranchante et sans pitié.
 
Les cinq pièces qui constituent l’entité sonique Antelast nous rappellent que HELDON  a été un élément fondamental de la musique post-atomique et industrielle avec des œuvres aussi importantes que celles de FRIPP & ENO et de certains groupes allemands dans les seventies. Antelast ne fait pas dans la concession. Elle est à l’image de son principal créateur. Richard PINHAS n’est pas le type à se laisser faire. Il est et restera un homme libre et fidèle à ses principes jusqu’à la fin. Avec lui, mieux vaut crever debout que de vivre à genoux. Et ses deux complices le suivent dans sa démarche libertaire sans resquiller d’un sourcil et prennent même beaucoup de plaisir à créer un chaos sonique qui va vous remuer les tripes. Attention aux dégâts neurologiques. Nous le répétons une dernière fois, cette musique ne fait pas dans la dentelle.
 
Nous découvrons donc ici cinq pièces, dont deux dépassent les dix minutes. Antelast déverse, telle de la lave en fusion, une musique live authentique et brûlante. Elle est incisive, brandissant des lames en acier déchirant la chair en fines tranches de désespoir et de rêves brisés. HELDON est une machine de rêves de fer.
 
Sa musique radicale nous rappelle la dure réalité de la vie et le monde déshumanisé dans lequel nous vivons. Et que ce soit le monde d’avant la pandémie ou ce que tous les moutons appellent désormais le « nouveau « monde » (qui semble bien mal parti lui aussi), cela n’a pas d’importance. Pour nous, c’est le même bazar.

La musique de HELDON n’est pas facile certes. Elle est rebelle et sauvage, indomptable et vénéneuse telle une amazone de l’espace ou une guerrière de la jungle provenant d’un roman de Norman SPINRAD. À l’image des grands noms de la scène free, les musiciens de HELDON sont libres et pratiquent une musique incandescente, épique, hors-norme, violente et tourmentée, menaçante et offensive. Elle est un raz-de-marée cosmique de bruits infernaux et de sirènes métalliques sous un ciel sombre, parsemé d’étoiles scintillantes. La batterie n’a aucune pitié et ne laisse aucun survivant sur son chemin. Expéditive, incantatoire, elle semble voltiger dans les airs. 

Les interventions de PINHAS ne laissent pas indifférents non plus : prenons pour exemple  Antelast Four et disons le franchement, c’est méchamment rock. L’ensemble de ce disque est un déluge permanent de feu et un tsunami d’éclairs électriques qui pourraient balayer toutes les foutues armées du monde (Antelast One). Antelast Three est un autre grand moment à la fois hypnotique et psychédélique où HELDON montre qu’il est toujours capable de jouer une musique des plus explosives. Le dernier titre est expédiée en moins de trois minutes. Chant final d’une étoile mourante, il clôt magnifiquement l’histoire de HELDON. Une aura quasi-sacrée se dégage de l’ambiance métallique et lumineuse où nous sentons la fin approcher.
 
Et effectivement, HELDON, préférant l’humour aux larmes, décide d’interrompre brutalement la musique ; la coupure est en effet des plus radicales, laissant place au silence et aux applaudissements du public. C’est une fin surprenante et assez drôle, comme pour dire : allez hop, c’est fini, vous pouvez rentrer chez vous !
 
En 1979, il y a eut Stand By et en 2019, il y a Antelast (entre les deux, n’oublions pas de citer l’album Only Chaos is Real où HELDON réunissait une pléiade de musiciens et d’écrivains dont SPINRAD et DANTEC). Le HELDON d’Antelast a conservé son habit étincelant de métal et toute cette musique continue de déverser une énergie primitive, vitale, une vision post-industrielle et prophétique d’une musique rock électronique d’avant-garde, amorcées dès la seconde moitié des seventies et la trilogie Un Rêve sans Conséquence Spéciale, Interface et Stand By.
 
Évidemment, il faut bien comprendre que vous ne retrouverez pas exactement le HELDON de cette époque dorée. Antelast n’est pas une suite à tous ces albums précités. Il marque une évolution, une « révolution » logique de la musique et du rock électronique en particulier qui a montré ces dernières années sa volonté de fusionner avec des ambiances plus noisy et drones.
 
Réactiver HELDON n’est pas une si mauvaise idée puisque la nouvelle équipe n’est pas tombée dans le piège de la nostalgie et de faire simplement un « copier-coller » de ce que le groupe faisait quatre décennies auparavant. Il peut y avoir quelques allusions furtives à ce passé glorieux : le jeu de batterie sur Antelast Two peut nous renvoyer à celui de François AUGER par son côté exotique et tribal (voir Elephanta sur Un Rêve…) ou Antelast Three faisant écho d’une manière évidente à Interface (écoutez bien, et vous comprendrez). Mais ce sera tout. La musique d’Antelast témoigne de cette volonté d’explorer et d’aller de l’avant. 
 
HELDON reste une entité aventureuse, futuriste au risque de paraître difficile d’accès et dérangeante pour certains. Mais, même lorsque le trio empreinte des chemins sinueux et tortueux en franchissant les frontières de la musique industrielle et de la noise (sans atteindre tout de même la radicalité d’un MERZBOW), les plus familiers percevront de subtiles mélodies, des envolées d’une profonde poésie (Antelast One) et se laisseront bercer par ces rythmes tourbillonnesques soutenus par les attaques tranchantes et métalliques de la guitare électrique.
 
Antelast est un live distillant dans les veines un poison obscur mortel. Il y règne une atmosphère d’une très grande intensité, maintenue de main de fer par les deux acolytes de Richard. Nous retiendrons qu’ils auront apporté à cet HELDON éphémère du sang neuf et un souffle revigorant d’énergie.
 
Même si cela marque le fin de HELDON, ultime machine crachant un rock électronique fiévreux, il faut aussi et surtout voir Antelast comme une continuité logique de tout ce qu’a pu enregistrer Richard PINHAS depuis ces dernières années, avec ces travaux récents, que ce soit seul ou accompagné par d’autres amis-marginaux du son comme Oren AMBARCHI, WOLF EYES, MERZBOW.. Depuis des années, PINHAS et HELDON ne font finalement qu’un ! Et espérons que peut-être l’histoire n’est pas encore complètement terminée.
 
Cédrick Pesqué
 
 
 

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