KERDONCUFF / LE FLOCH / BERTHOU – Kazut de Tyr
(Hirustica)
Pour ces trois musiciens, tout a commencé il y a… quelque temps. En bons Bretons, ils ont été saisis par le vent du large. Sauf que ce vent ne les a pas poussés vers l’Ouest, mais vers l’Est ! Jusqu’aux portes de l’Orient. (C’était peut-être un vent de sable, allez savoir !)
Avec l’accordéoniste et sonneur Jean LE FLOC’H (du groupe TERMAJIK), Gaby KERDONCUFF, ancien trompettiste des PIRES et suiveur ou meneur de caravanes musicales dirigées vers les Balkans et au-delà, s’est mis en tête d’étudier les gammes orientales au sein du terreau breton. Tous deux se sont ainsi retrouvés à mêler musique bretonne et moyen-orientale dans AL WASAN avec les frères jordaniens Elia, Bhasil et et Ossama KHOURI, dont il n’existe pour l’heure aucune trace discographique.
Il a fallu pour se faire que nos globe-trotters s’équipent en circonstance. Gaby KERDONCUFF s’est ainsi muni d’une trompette quart de ton, instrument pas franchement tendance dans les festoù-noz mais qui a en revanche été popularisé par Ibrahim MAALOUF et qui a été inventé par le père de ce dernier, Nassim MAALOUF. De son côté, Jean LE FLOC’H a opté pour l’accordéon lui aussi quart de ton, conçu en collaboration avec Fawaz BAKER, oudiste, qanuniste, bassiste fretless et directeur du conservatoire d’Alep, en Syrie.
Quant à Yves-Marie BERTHOU (ex-YOG SOTHOT, groupe multi-influencé), il s’est formé aux percussions indiennes et sud-américaines auprès de Khalil KOUHEN, et son sens du métissage est très affûté.
Le trio a donc le matériel adéquat pour tracer un trait d’union entre Occident et Orient, à la recherche de ces pierres philosophales que sont la micro-tonalité et la musique modale non tempérée.
Car les musiques de ce CD sont bel et bien le fruit d’une transmutation alchimique. L’album raconte l’histoire de nos trois bourlingueurs qui, sous l’œil bienveillant de la Fée des vents (Marthe VASSALLO), se sont mis en quête de l’énigmatique « Kazut de Tyr ». (Tyr était dans l’Antiquité une ville en partie insulaire, située sur un rocher. Elle figure depuis 1984 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.)
Comment dresser une passerelle de la côté Atlantique à la côte méditerranéenne libanaise, c’est toute l’aventure que narrent les dix compositions de ce disque, qui proviennent assurément d’un trafic d’influences !
Kurdali combine les effluves de Turquie et du Kurdistan ; Tyr renvoie évidemment au Liban, mais en saluant le Maroc ; Cekerzada respire la Grèce et la Macédoine, tandis que Al Waadi relie la Bretagne et la Jordanie. Ene ma Ene étend le panorama de la Bretagne à l’Inde en passant par St-Jean-de-la-Croix, et on vous laisse deviner les inspirations de la Gavotte moldave…
C’est fou les kilomètres que l’on peut faire rien qu’aux sons d’une trompette quart de ton, d’un accordéon quart de ton et de quelques percussions ! Et quand s’y ajoutent les inflexions d’un saz, d’une contrebasse, d’un sitar ou des tablas, croisés à une étape ou une autre du périple, le mirage se vit en trois dimensions ! Alors qu’importe que l’Orient ici dépeint ne soit pas « purement authentique ». Il est vraisemblable, même en rappelant régulièrement ses racines bretonnes.
Du rocher de Breizh lorientais au rocher phénicien, il n’y a pas de ligne droite ; il n’y a que des arabesques grisantes…
Stéphane Fougère
Label : www.hirustica.com