Mari BOINE – Eight Seasons (Gavcci Jahkejuogu)
(Lean/Emarcy/Universal)
Deux surprises majeures sont à l’actif du nouvel album de la plus célèbre chanteuse sami de Norvège. D’abord, Mari BOINE a fondé un nouveau groupe, suite à la dissolution du MARI BOINE BAND peu après la sortie de son précédent album, Bálvvoslatjna (Room of Worship) (1998). Les ingrédients acoustiques sont globalement les mêmes qu’auparavant, d’autant qu’on retrouve dans cette nouvelle formation deux rescapés de l’ancien groupe : le guitariste Roger LUDVIGSEN et le flûtiste et joueur de charango Carlos Z. QUISPE. La principale innovation sonore vient surtout de ce que Mari BOINE s’est laissée convaincre de tenter la fusion électro-ethnique, comme tout bon artiste world qui se respecte et qui respecte les tendances du moment !
Certains morceaux de Bálvvoslatjna (Room of Worship) annonçaient déjà cette tentation de l’électronique. Mais c’est surtout le claviériste Bugge WESSELTOFT, connu pour ses travaux électro-jazz avec Nils PETTER MOLVAER et initiateur d’un (discutable) album de remixes de morceaux de Mari BOINE paru en 2001, qui a encouragé cette dernière à soulever ces dernières réticences face à l’intégration de rythmiques programmées et de textures synthétiques.
C’est donc à WESSELTOFT qu’est revenu l’honneur de produire le nouvel opus de la chanteuse. La musique de Mari BOINE étant par nature nourrie par la tradition sami (le chant joik) et par voie de conséquence inspirée par la transe chamanique, tenter la jonction avec les expressions plus modernes de la transe musicale n’avait rien d’indécent.
Or, sans doute par crainte de trahir l’identité sonore à laquelle Mari BOINE nous avait habitués, Eight Seasons (Gavcci Jahkejuogu) n’épouse la cause de l’électro qu’avec parcimonie et velléité. Il en résulte une sensation d’inachevé, de trop-peu, d’hésitation malhabile. Le morceau d’ouverture, I Come from The Other Side, croit ainsi pouvoir nous la jouer avec sa rythmique dance et ses nappes fluettes maintes fois entendues, et l’anecdotique participation de Jan GARBAREK.
Il se passe heureusement des choses plus intéressantes sur By The Source of Aurora B., Let Silver Protect ou Soul Medicine, où les expérimentations guitaristiques de LUDVIGSEN, les esprits volatils de QUISPE et Richard THOMAS, la basse ronronnante de Svein SCHULTZ, les pulsations percussives électro-acoustiques de Kenneth EKORNES, combinés aux programmations de WESSELTOFT, parviennent à créer un décor intrigant, envoûtant, dont les reliefs auraient gagné à être plus creusés.
Mais d’autres morceaux, strictement acoustiques (l’émouvant Give me a Break, où Mari, avec sa voix d’enfant blessée, s’accompagne à la guitare), séduisent davantage, faisant apparaître tout effort de surcharge électronique, si bien motivé soit-il, comme superfétatoire. Nul dérapage vers une techno au rabais ou de la new age bon marché n’est malgré tout à déplorer, et, somme toute, on apprécie le charme de cette « saison » nouvelle à laquelle nous convie Mari BOINE, vocalement toujours très en forme, ce qui est bien le principal.
On accordera donc à Eight Seasons la bonne grâce dont jouit tout album de transition.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°10 – avril 2002)