Vashti BUNYAN – Lookaftering (Limited Edition Expanded Double CD 20th Anniversary Release)

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Vashti BUNYAN – Lookaftering (Limited Edition Expanded Double CD 20th Anniversary Release)
(FatCat Records)

Quoi de plus délicieux pour Vashti BUNYAN que de se faire offrir, pour ses 80 ans, la réédition de Lookaftering, l’album de sa renaissance paru en 2005, agrémenté ici des dix démos aux synthés et voix enregistrés par la chanteuse, comme une sorte de carte de visite pour la maison de disques qui allait la prendre en charge pour sa « résurrection », et cela jusqu’à nos jours. Cette réédition complète magnifiquement l’essai transformé de cet album parrainé à l’époque par de gentils intervenants énamourés et permettant à la dame un retour en majesté (sacrée depuis marraine du « new folk » après avoir été bien oubliée depuis plus de 30 ans) et un retour à l’âge de 60 ans d’une légende encore bien vivante dont la voix et l’inspiration demeuraient miraculeusement intactes.

Tout a commencé pour Vashti BUNYAN aux alentours des années 1964 en Angleterre avec la décision de la jeune fille (née en 1945) de faire des chansons, d’abandonner ses études et d’enregistrer à ses frais un acétate de quelques morceaux qu’elle décide de présenter sans intermédiaire à des producteurs basés à Londres à droite et à gauche (sans beaucoup de succès), jusqu’à rencontrer Andrew Loog OLDHAM, d’une part manager des ROLLING STONES (déjà connus, installés et prolifiques), et d’autre part amateur de jolis petits minois et producteur de minuscules étoiles pop parfois sans lendemain et de nouvelles voix dans le style des chanteuses « nouvelle vague » françaises (As Tears Go by de Marianne FAITHFULL, c’est lui). Celui-ci offre avec un peu d’arrières pensées à sa nouvelle découverte à la fois un contrat chez Decca et une chanson signée Mick JAGGER et Keith RICHARDS : Some Things Just Stick in Your Mind, (succès d’estime sorti en single en 1965), le producteur, qui ne perd pas le nord, lui faisant miroiter qu’elle sera la « pop-girl » de l’année (ben voyons).

Il est d’ailleurs amusant, qu’en 2007, en plein revival « freak-folk », tous ces singles de la chanteuse, ceux de chez Decca, Columbia et Immediate Records parus ou non entre 1965 et 1967 sortent en compilation, en plein folk revival, sur un double CD chez Fatcat Records, agrémentés de démos enregistrés par le frère de la chanteuse, ceux-ci sur une frêle bande magnétique, perdue et retrouvée, bien abîmée et restaurée.

Pour ce double album de raretés, l’éditeur décidera amoureusement et avec bonheur de tout publier sans faire le tri, ce qui permettra de (re)découvrir que la chanteuse n’était pas qu’une étoile filante, séduite et abandonnée comme tant d’autres, par ces producteurs à courte vue et semblant associer ces filles alors un peu naïves ou crédules à de la musique coulant (roucoulant, vomie) au kilomètre ; Decca et Marianne FAITHFULL, NICO et Immediate Records, toutes deux introduites par les musiciens des ROLLING STONES (chacune le sien), toutes deux débutant dans le genre folk-pop, mais s’en éloignant rapidement en s’affirmant souverainement, et promises à de longues et magnifiques carrières, malheureusement en dents de scie et toutes, Vashti BUNYAN comprise, avec un autre point commun pour ces singles en la personne de Jimmy PAGE, « studio-man » présent à la guitare et à la production efficace et bienvenue.

Le deuxième épisode de la discographie et de la carrière de Vashti BUNYAN est lui empreint d’une autre étrangeté plutôt singulière, pas une renaissance, mais plutôt une disparition. En effet, à la fin des années 1960 et autour des années 1970, la chanteuse sans activité, sans aucun contrat, passablement déboussolée et un peu (beaucoup) oubliée, décide de rejoindre les Nouvelles-Hébrides au nord-ouest de l’Écosse, attirée par la promesse du chanteur DONOVAN de créer une communauté artistique sur l’île de Skye, hors des villes et du bruit et la fureur, sauf que la dame à l’été 1968 s’y rend, non pas en ligne directe et d’une seule traite, mais à sa manière et à son rythme, soit en roulotte repeinte en vert, tirée par un cheval (Bess) avec fiancé (Robert) et chien (Blue) et au jour le jour, affrontant le long du périple des habitants au mieux soupçonneux, au pire tout à fait hostiles, ainsi que la police plutôt harceleuse. Elle mettra d’ailleurs plus d’un an et demi à ne pas rejoindre l’endroit « idyllique » que DONOVAN (pas si fou) avait abandonné depuis bien longtemps.

La chanteuse avait, lors de son bien long périple, continué à écrire des chansons, et fait quelques concerts, notamment une mini tournée (plutôt désastreuse) en Hollande durant l’hiver 1968. C’est lors de son retour en Angleterre, passant par Londres, et aidée de parrains attentifs (Robin WILLIAMSON et Dave SWARBRICK, éminences « new folk » de l’époque), qu’elle finalise la plupart des chansons de Diamond Day et se décide à présenter ses maquettes auprès de Joe BOYD, producteur bienveillant d’INCREDIBLE STRING BAND, FAIRPORT CONVENTION, Nick DRAKE et autres (un ouvrage lui est consacré, White Bicycles, paru chez Allia en 2008).

Tout ce beau monde décide de faire un album de tout cela, et Vashti BUNYAN commencera des séances d’enregistrement en novembre 1969 avec, dès le deuxième jour la présence de Robert KIRBY (l’homme de Five Leaves Left et Bryter Later de Nick DRAKE entre autres et qu’on retrouvera sur Lookaftering de la chanteuse en 2005) qui sublimera les arrangements en studio de toutes les chansons, sans jamais les abîmer. Just Another Diamond Day paraît fin 1970 chez Philips, curieusement un peu renié à sa sortie par la chanteuse (en tous cas pas cautionné), qui lui trouva un côté trop folk et trop bricolé avec des fausses notes et des morceaux qu’elle n’aurait pas voulu garder, et aussi bizarrement, disparaît illico des radars des ventes (il s’en serait écoulé sans promo et en catimini quelques petites centaines), rejoignant ainsi d’autres légendes maudites de l’époque : DOCTOR STRANGELY STRANGE, COMUS, Bill FAY et d’autres, étoiles filantes et comètes invisibles de ces années pourtant fertiles en musiques de toutes sortes, surtout en Grande-Bretagne et ses nombreux labels et sous-labels aventureux en tous genres.

Tous ces aventuriers obscurs ont d’ailleurs eu des destins différents, certains chanteurs n’ayant pas poursuivi leur carrière, certains retrouvés et redécouverts de leur vivant par des fans ultimes, d’autres revisités et remis au travail des années plus tard par des musiciens aux goûts très pointus (David TIBET de CURRENT 93 étant un de ces bienfaiteurs passionnés avec Bill FAY, récemment disparu). Lire également à ce propos l’ouvrage sur l’acid-folk (malheureusement traduit de façon parfois très approximative) chez Camion Blanc de Jeanette LEECH, Seasons they Change, paru en 2013, qui fait un point intéressant depuis la naissance jusqu’à la résurrection de ce drôle de genre, de ses hauts et de ses bas, couvrant la période du folk dans toute son étendue (du folk pur et dur en passant par le folk psychédélique jusqu’au dark-folk, depuis les années 1950).

Le troisième épisode de la carrière musicale de Vashti BUNYAN s’articule lui autour du début du nouveau millénaire et des années 2000-2003 et de la sortie de l’obscurité de ce dark-folk/new-folk redécouvert et ragaillardi grâce à une nouvelle génération de parrains, notamment Devendra BANHART (qui a curieusement la voix et la façon de chanter de Marc BOLAN période T. REX) et d’autres musiciens n’ayant pas la mémoire courte.

La réédition de Just Another Diamond Day chez un petit éditeur (Spinney), créé semble t-il spécialement pour cette ressortie, sert de déclic à l’approche des nouveaux admirateurs qui découvrent que Vashti BUNYAN est « revenue en ville » à Edinburgh et qu’après ses 25 années d’errance à la campagne et d’abandon de la musique (elle raconte qu’elle ne voulait même pas chanter de berceuses à sa fille !), elle semble prête à revenir sur la scène musicale. Ses nouveaux amis lui proposent donc d’enregistrer véritablement les maquettes des chansons qu’elle a enregistrées chez elle avec du matériel acquis grâce aux royalties de Just another Diamond Day ce qui deviendra Lookaftering chez Fatcat en 2005.

La chanteuse, peut-être influencée par ce soudain revival, cherche à tout prix à s’éloigner de l’album précédent, en effet, il lui faut plein de percussions, des basses des instruments cuivrés et même une harpe et surtout un vrai producteur ; elle se rapproche tout d’abord de Simon RAYMONDE (ex-COCTEAU TWINS), mais se retire du projet et se consacre alors à une collaboration anecdotique avec le groupe plus qu’anecdotique ANIMAL COLLECTIVE pour un EP 4 titres qui paraît en 2005. C’est à cette occasion que la chanteuse rencontre les gens de FatCat Records et surtout Dave HOWELL du label qui lui propose à la fois l’édition d’un album ainsi qu’un producteur, Max RICHTER, dont « l’arrière-plan classique » enthousiasme définitivement la chanteuse. Elle déclare à l’époque que « Lookaftering sera l’épilogue de Diamond Day, ce dernier regardait vraiment vers l’avant, en rêvant à ce fantastique futur bucolique, alors que Lookaftering, pour elle : « c’était d’avoir fait tout ça, d’y avoir survécu et de s’en être tirée, comme si tous les deux se regardaient par-delà les années ».

L’album studio Lookaftering de la réédition de 2025 propose des contributions instrumentales de la part d’invités tels que Devendra BANHART, Joanna NEWSOME et Adam PIERCE, de MICE PARADE, mais le collaborateur le plus crucial de BUNYAN s’avère être le producteur Max RICHTER. Tout au long de l’album, les orchestrations impeccables de ce dernier au piano, aux cordes et aux bois (co-arrangées par la chanteuse) font magistralement écho au travail classique de Joe BOYD. Comme pour Diamond Day, cet équilibre minutieux est maintenu, car la voix légère et presque chuchotée de Vashti BUNYAN aurait pu facilement être renversée et étouffée par une production lourde.

La chanteuse indique : « dès que j’ai entendu l’album de Max RICHTER Blue Notebooks, j’ai espéré qu’il accepterait de travailler avec moi et j’ai été ravi quand il l’a fait. Max est une personne parfaitement patiente et sage, en plus d’être un musicien extraordinaire. Il a écouté mes arrangements électroniques et m’a lentement persuadé de laisser de vrais instruments entrer. Je m’étais tellement habitué à ce que chaque note soit exactement là où et comme je le voulais, qu’il m’a fallu un certain temps pour me réhabituer aux vrais musiciens. Max m’a bien guidé. Il a été fidèle à mes arrangements originaux sur de nombreuses chansons, il en a entièrement arrangé d’autres et nous avons collaboré sur certaines, mais je pense que c’est surtout Max qui a donné à l’album son atmosphère générale ».

En revanche, et c’est là l’intérêt majeur de la réédition augmentée de 2025, les titres de la bande originale faite « at home » par la chanteuse, mettent en valeur les accompagnements guitare/synthés qui eux font ressortir la voix dans toute sa limpidité, des berceuses évaporées et des poèmes miroir comme des pastilles doucement acidulées ou des haikus murmurés, même si Max RICHTER intervient en surimpression (discrète) sur Hidden et sur Same but Different, au piano sobre loin des arrangements (strings) de l’album studio. Ce qui fait que l’album de démos même s’il ne fait que 31 minutes, ressemble parfaitement à une série de miniatures semblables à des médaillons, des histoires de famille et d’amis, de vies et d’amours, de souvenirs, de rêves et de réalités ; de différences de perception et d’écarts entre les personnes / significations / compréhensions ; de faire face, de s’en sortir, de survivre, toutes les chansons étant basées selon la chanteuse sur des histoires vraies ou des personnes réelles.

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Vashti BUNYAN déclare à propos des inédits : « La principale différence, c’est que j’ai commencé à écrire certaines chansons au clavier, alors que je n’avais écrit qu’avec une guitare auparavant. Environ la moitié des chansons étaient au clavier (je ne sais pas jouer de la guitare, donc j’ai triché pour les démos en jouant avec un doigt et en faisant des « overdubbings », puis Max RICHTER a magnifiquement joué les parties telles que je les avais écrites) et l’autre moitié à la guitare. Max RICHTER a écrit certaines des parties au clavier, la plupart des cordes (même si Same but Different était mon arrangement de cordes) et a tout mis ensemble. Maintenant, quand j’écoute ce que nous avons fait, j’entends de plus en plus ce qu’il a fait parfois même quand je ne regardais pas. C’est un producteur brillant. »

« L’indifférence est la main la plus froide / C’est la vague qui dégage le sable », chante Vashti BUNYAN sur Turning Backs, le morceau le plus long de l’ensemble (plus de 4’30 minutes), dont elle dit qu’il aurait été écrit en pensant à Nick DRAKE, mais qui pourrait également se lire pour donner un aperçu des raisons de sa longue absence. Sa frustration face à la vie domestique apparaît également sur Wayward, où elle décrit « les jours qui passent perdus dans des nuages, de farine et de chaux », avant de soupirer plus tard : « Je voulais être celle qui a de la poussière de la route sur ses bottes. »

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Ailleurs, ces chansons regardent le passé avec une nostalgie frissonnante, presque tangible. Here Before est une ode élégante aux heureux mystères de la parentalité (« J’ai eu un enfant une fois / Il était sauvage au clair de lune / Il pouvait tout faire / Comme s’il avait déjà été ici »), tandis que, sur Against the Sky, elle dépeint une citadine nostalgique de sa vieille ferme (« La Colline derrière la vieille maison /Je peux la tracer avec mon doigt »). On pourrait penser qu’une telle nostalgie pourrait frôler la sentimentalité, surtout ces versions à nu et sans fards, mais même sur des morceaux personnels comme la brève élégie Brother, BUNYAN garde une touche incroyablement légère, réfléchissant seulement un instant avant de tourner rapidement une autre page.

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Peu d’albums de 2025 ressembleront à celui-ci, la ressortie inespérée et indispensable de Lookaftering augmenté permettra peut-être à Vashti BUNYAN de se replonger dans son dernier album en date, Heartleap, paru désormais il y a un peu plus de dix ans (2014) toujours chez Fatcat et épuisé (des inédits, des démos, des chutes à venir) ou tout simplement de mettre en route un cinquième épisode de sa discographie, avec un ultime (avant un autre et un autre…) voyage musical puisque les étoiles même endormies, même vacillantes, même éteintes, continuent de briller encore longtemps au-dessus de nos têtes, d’éblouir nos yeux et de vibrer dans nos cœurs.

Xavier Béal

Page label : https://www.fatcat.online/artist/vashti-bunyan

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