BASta! (Joris VANVINCKENROYE) – III

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BASta! (Joris VANVINCKENROYE) – III
(Ronin Rhythm Records)

Voici un enregistrement tout frais sorti de la maison de production du pianiste et compositeur Nik BÄRTSCH, musicien suisse bien connu de nos lecteurs. D’évidentes affinités avec cet autre samouraï des cordes – non plus martelées mais frottées cette fois – sont clairement identifiables entre ces deux musiciens, nous y reviendrons. BASta ! est à la fois le titre de l’album enregistré en solo par le contrebassiste et gambiste Joris VANVINCKENROYE et le surnom qu’il s’est attribué.

Mais parlons d’abord du parcours de Joris VANVINCKENROYE. Il a étudié la contrebasse dès l’âge de 16 ans au Conservatoire de musique de Lier en Belgique. Titulaire du prix Axion Classics de Belgique en 2000, Joris a poursuivi ses études au Conservatoire d’Anvers, d’où il est sorti en 2005 avec un master en contrebasse. Joris VANVINCKENROYE est aussi directeur de Cluster Music, un collectif de compositeurs et de musiciens de musique actuelle.

En 2002 il fonde le groupe ARANIS, dont la musique peut être qualifiée de musique de chambre tout en ayant certaines des caractéristiques du rock expérimental. Avec ARANIS, Joris VANVINCKENROYE publiera sept albums entre 2005 et 2017, dont certains lui vaudront plusieurs nominations. Le groupe effectuera dans cette période plusieurs tournées en Europe, aux États-Unis et au Japon.

L’extrait d’ARANIS ci-dessous ne manquera pas d’évoquer un tant soit peu les couleurs néo-classiques d’un UNIVERS ZÉRO première manière. L’instrumentation, les timbres, le recours aux ostinatos de cet autre groupe belge fondé par le batteur Daniel DENIS étaient déjà familiers d’une pièce comme Ronde sur l’album 1313 – bien que la musique d’ARANIS soit moins exacerbée dans l’usage des dissonances. La pièce d’ARANIS proposée ici s’intitule Made in Belgium II et a été enregistrée en 2014.

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En tant que soliste, Joris VANVINCKENROYE avait déjà publié un album solo remarquable en 2019 intitulé Cycles. Dans le titre BAUW, Joris déploie déjà certains des principes qui annoncent l’album BASta ! III qui vient de paraître : superposition de micro-thèmes et leitmotivs où l’archet fournit aussi le principal soutien rythmique via un jeu staccato, ainsi que d’éléments qui se superposent jusqu’à constituer une trame harmonique compacte, plutôt consonante, trame sur laquelle la contrebasse, toujours et uniquement elle, vient poser des lignes mélodiques épurées et étirées. L’ensemble de la pièce dégage un caractère énergique et envoûtant indéniable : c’est, incontestablement, la marque de fabrique du compositeur, elle s’affirmera de nouveau dans BASta !.

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On notera que la prise de son de l’album BASta ! a été réalisée par Joris VANVINCKENROYE lui-même.

Avec l’album BASta ! III, Joris s’adjoint un deuxième instrument, la viole de gambe. On pourrait s’interroger sur le fait que, si ce choix est motivé par son souhait d’ajouter une tessiture plus aiguë à celle, déjà large, que permet la contrebasse, il ne se soit pas tourné vers le violoncelle. Mais, on l’a bien compris, le timbre a une importance primordiale pour Joris, et celui de la viole de gambe (supplantée par son concurrent le violoncelle dès la fin du XVIIIe siècle) est plus proche du caractère chaleureux et intimiste de celui de la contrebasse. Enfin, quelque soit la viole de gambe, bon an mal an, son accordage est plutôt en quartes, comme la contrebasse, alors que celui du violoncelle est en quinte.

D’emblée le ton est donné, et l’on peut reconnaître dans la première pièce de l’album, Jylitys Part 1 des préoccupations architecturales partagées avec son producteur Nik BÄRTSCH : seul à la manœuvre, Joris recourt à des boucles construisant peu à peu l’édifice harmonique de sa pièce, développant de façon obsessionnelle un cadre tonal arrimé à la tonalité de sol que cadence une mesure à cinq temps. Cette mesure impaire, juste suggérée par un pizzicato discret, sert de support à une alternance de trois accords qui bientôt vont être soutenus par un ostinato à la noire qui insuffle un swing certain à la pièce. Sa parfaite justesse tient aussi à cette tenue d’archet à la française (apparentée à celle du violoncelle) qui permet des nuances et une précision plus difficiles à obtenir avec une tenue d’archet à l’allemande, à pleine main et par-en-dessous (qui sacrifie la subtilité et la puissance) telle qu’on la pratique généralement outre-Rhin et en Italie.

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D’aucuns pourront voir dans ce crescendo envoûtant un air de famille avec une certaine pièce composée en 1974 par Jannik TOP et intitulée Ork Alarm sur l’album Köhntarkösz de MAGMA. Mais ici l’homogénéité est accrue par le recours exclusif aux timbres congruents des différentes parties de contrebasse superposées. La prise de son privilégie ici la présence, l’énergie et la beauté des harmoniques.

La deuxième pièce, Vilnis Part 1, pose son thème en Si sur une mesure en 7/4 et nous entraîne dans des paysages quasi andalous (Si mineur/ Do majeur / La mineur…) chers également à un certain Renaud GARCIA-FONS, autre contrebassiste d’exception qui, lui aussi, semble déterminé à faire éclater la beauté de son instrument au grand jour (Renaud lui, joue d’une contrebasse à cinq cordes). Le jeu à l’archet ici encore, en jouant sur les inclinaisons par rapport à l’axe des cordes, permet à Joris VANVINCKENROYE de déclencher de magnifiques harmoniques sur ses magnifiques mélopées hypnotiques.

Et voici Cilpas, qui déploie ses variantes en la mineur sur une mesure à sept temps. Nul doute que le talent et la maîtrise de Joris VANVINCKENROYE sur ces mesures impaires aient pu séduire un Nik BÄRTSCH, autre maître du genre, pour qui ces mesures, plus coutumières des musiques bulgares ou roumaines, peuvent à merveille être développées sur un mode très groovy… Ici Cilpas nous fait justement passer de ce climat presque funky à sept temps à une ambiance lancinante et sombre sous-tendue par une mesure à quatre temps.

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Après une approche presque indianisante de la tonalité de Do# mineur autour de laquelle la pièce gravite, Gambasta 1 nous offre un florilège d’arpèges à la viole de gambe : on pourrait presque qualifier cette pièce de néo-baroque.

L’album BASta ! III nous fait voyager entre les timbres de ces deux instruments dont un, la contrebasse, est trop souvent confiné à un rôle d’arrière-plan, tant dans l’orchestre classique que dans la formation de Jazz. Elle déploie ici bien des couleurs qui montrent à quel point cet instrument autosuffisant peut assumer une place affirmée sur une tessiture très large. Quant à la viole de gambe, elle ne trouvait guère d’espoir de résurrection que dans les formations consacrées exclusivement à la musique baroque. Or l’instrument, de par la subtilité de ses couleurs, et à travers le magnifique usage qu’en fait Joris VANVINCKENROYE, semble tout à fait adapté à sortir des sentiers battus et rebattus de la musique baroque où il est encore confiné. La sonorité claire des tenues que Joris tire de sa viole de gambe dans Gambasta 2 évoquerait pour un peu un instrument à vent.

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BASta ! III est un album à découvrir, intimiste, énergique et chaleureux, aux climats très variés. C’est un opus dont l’archet ne manque jamais sa cible.

Philippe Perrichon

On peut se procurer l’album ici :

https://www.nikbaertsch.com/basta-lll.html

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