NAVA – Ar Peroked
(Sublime Bazar / Coop Breizh)
Que la Bretagne soit une Terre riche en propositions musicales ancrées dans la tradition n’aura échappé à personne, pas plus que l’attrait de plusieurs de ses artistes pour les sonorités à la fois d’ici et d’ailleurs, d’avant, de maintenant et de demain. Le trio NAVA n’échappe pas à la règle et le revendique haut et fort : il pratique en effet une « musique bretonne à tempérament nomade » en usant de gammes non tempérées qui évoquent des cultures plus lointaines. Si le terreau dans lequel puise NAVA est bel et bien celui de la tradition chantée en langue bretonne, les sons dont il la pare et l’enrobe renvoient des consonances orientales, brésiliennes, nord-africaines ou encore contemporaines. Une chose est sûre, c’est que NAVA s’est forgé un univers aussi singulier qu’original qui donne à entendre le fonds traditionnel de « gwerzioù » et de « sonioù » bretons sous un autre angle.
À la base du projet NAVA, il y a le chanteur et compositeur Jañlug Er MOUEL, artiste bel et bien nomade puisque, tout en pratiquant le chant traditionnel breton dans son cercle familial et en se forgeant un style et un répertoire en rencontrant des chanteurs de tradition, il s’est ouvert à des expériences de musiques dites actuelles. Bientôt, il a initié des projets expérimentaux comme KATELL KOLLET, un ensemble voix et percussions, URBAN TAFTA, un duo ethno-électro-jazz, ou encore DAŇS ER JEKO, un quartette qui joue une musique aussi ensoleillée que sablonneuse et océanique, quelque part entre la Jamaïque, le Brésil, l’Angola, le Gabon et les îles Canaries, et auteur de deux disques (Heol Gor en 2015 et An Taol Siroko en 2019).
En 2014, on le retrouve dans la Kreiz Breizh Akademi #5 (5ed Round) initiée par Erik MARCHAND, et au sein de laquelle il accroît ses connaissances dans les musiques modales, travaillant auprès de sommités comme Ross DALY, Trilok GURTU, Camel ZEKRI et Fawaz BAKER. Son attrait pour les musiques persanes l’ont ensuite poussé à partir pour Teheran afin de suivre l’enseignement de la chanteuse iranienne Sahar MOHAMMADI.
C’est au sein de la KBA#5 qu’il rencontre David SÉVÉRAC, musicien polyvalent qui exerce ses talents à la flûte oblique bulgare, la « kaval », et à la vielle à roue électro-acoustique et qui s’est illustré dans le duo VODEN (musiques balkaniques et scandinaves) et dans le groupe SOŇJ (musiques anciennes occidentales et orientales). Tous deux élaborent le projet NAVA en travaillant sur la modalité et les rythmes propres à la musique chantée de la tradition bretonne, ce qui les pousse à intégrer Gaël MARTINEAU, un percussionniste aussi à l’aise dans les musiques latino-américaines que dans les musiques méditerranéennes et moyen-orientales, et qui s’est illustré dans la Kreiz Breizh Akademi #4 (Lieskan), dans de nombreuses formations défricheuses comme BAYATI, BASHAVAV, WARAOK, SOŇJ, et plus récemment au sein du groupe de Bèrtran ÔBRÉE et de la GROOVE Cie de SÉROT/JANVIER.
Première réalisation de NAVA, Ar Peroked est de ces disques qui ont vu le jour grâce à la mise en place d’un financement participatif via ulule. Les gwerzioù, sonioù, et autres chants à danser qui forment le répertoire d’Ar Peroked se distinguent par leurs thématiques on ne peut plus joviales, traitant de drames divers et variés, d’amours perdues, de meurtres, et autres « sombritudes » du même tonneau. Cette noirceur poétique a inspiré NAVA pour concocter un tissu musical aussi dense que délicat, ouvrant sur des moments introspectifs ou générant des passages de transe, et ce souvent dans un même morceau, qui prend alors une forme épique, combinant plusieurs thèmes et rythmes.
Les neuf pièces contenues dans cet album relient en effet des thèmes composés par Jañlug Er MOUEL avec des thèmes traditionnels. Plusieurs de ces pièces sont constituées de deux textes de chansons reliées par des ponts instrumentaux eux-mêmes conçus par Jañlug Er MOUEL et par David SÉVÉRAC, ce dernier usant même de taksim (préludes improvisés) arabes. C’est notamment le cas d’Ar Peroket, qui combine en fait deux chants, Ar Vugulezig (La Petite Bergère) avec Ar Peroked (le Perroquet) ; An Div C’hoar (Les Deux Sœurs) qui relie Ma C’hoar Janet (Ma sœur Janet) et Belle Aňjeli ; ou bien Un deiz E Vale (Un jour me promenant), qui contient le chant éponyme et le chant Ar Granenn Traezh (Le Grain de sable) ; ou encore An Aval Orañj (L’Orange), qui est complété par D’añderv (Dans l’après-midi).
La vielle électro-acoustique de David SÉVÉRAC offre une large gamme de sonorités, sonnant tantôt comme un luth, tantôt comme une trompe, comme une tanpura ou comme une guitare électrique, ce qui permet au trio de flirter autant avec les cultures orientales qu’avec les musiques actuelles, avec une connotation quasi rock dans certains passages. Colorant les compositions de figures rythmiques évoquant les cultures méditerranéennes, sud-américaines et proche-orientales, les diverses percussions de Gaël MARTINEAU propulsent encore davantage cet élan d’ouverture sur d’autres cultures, achevant de confondre l’auditeur sur le type de terrain musical sur lequel il se trouve… Et c’est pourtant bel et bien la Bretagne qui est le port d’attache de ce périple.
Avec NAVA, le fond traditionnel breton renoue via ses structures modales retrouvées avec ses appétences voyageuses et offre à humer nombre de parfums d’ailleurs tout en usant d’une énergie nourrie aux sons contemporains. Le nomadisme professé par NAVA est d’autant plus saisissant qu’il est mûrement réfléchi, enraciné et apte aux projections les plus audacieuses. Gageons qu’il saura trouver son écho auprès de nombreux auditeurs adeptes de pèlerinages sonores…
Stéphane Fougère
Site : https://navaconcert.wixsite.com/navatrio
Page : https://navatrio.bandcamp.com/album/ar-peroked
Page label : https://www.coop-breizh.fr
