YANG – Designed for Disaster

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YANG – Designed for Disaster
(Cuneiform Records)

Formé il y a déjà dix-huit ans mais restant encore aujourd’hui trop discret dans le paysage hexagonal et évidemment ignoré des médias comme du public, le groupe français de rock progressif instrumental avant-gardiste YANG, créé par le compositeur et guitariste Frédéric L’ÉPÉE (ex-SHYLOCK, PHILHARMONIE) revient à la charge avec un quatrième album intitulé Designed for Disaster, (« Conçu pour le désastre ») comme si le groupe savait déjà à l’avance le sort qui allait être réservé à ce disque. À moins qu’il ne cherche à conjurer le sort en faisant montre d’un humour noir que l’illustration de pochette renforce magistralement. Mais il est évident que ce titre peut être interprété à différents niveaux et qu’il renvoie aussi et surtout à la situation dans laquelle le monde a plongé suite à l’expérience pandémique.

Toujours constitué de Frédéric L’ÉPÉE et de Laurent JAMES, qui se partagent les guitares, Nico GOMEZ à la basse et Volodia BRICE à la batterie (formation stable depuis l’album Machines), YANG est adepte des textures, des entrelacs et des contrepoints guitaristiques, des lignes de basses robustes et mélodiques et des rythmiques complexes avec un jeu de batterie à la fois précis, nuancé et foisonnant, aux caisses comme aux cymbales. Sa musique porte évidemment l’empreinte d’un rock progressif aventureux et sinueux à la KING CRIMSON, particulièrement décelable dans le vigoureux Collision Course et dans le sombre et menaçant Disentropy, mais aussi celle des formations connexes de Robert FRIPP, telle la LEAGUE OF CRAFTY GUITARISTS, comme on peut l’entendre dans les sinueux Migrations et La Voie du mensonge. Frédéric L’ÉPÉE revendique également pour cet album l’inspiration de la musique baroque et celle du minimalisme à la Steve REICH, dont YANG peut passer pour une version plus électrique en format resserré.

Co-produit par Frédéric L’ÉPÉE et par Markus REUTER (STICK MEN, CRIMSON PROJEKCT, CENTROZOON…), ce nouvel album se distingue des trois précédents par une particularité bien inattendue de la part d’un quartette que l’on a toujours connu instrumental : on y entend des mots ! Cela peut paraître d’autant plus singulier que le précédent album de YANG avait pour titre « La Faillite des mots » (The Failure of Words). On se souvient également que le dernier album du précédent groupe de Frédéric L’ÉPÉE, PHILHARMONIE, s’intitulait Le Dernier Mot. Mais YANG n’a jamais dit jamais…

Et comme par esprit de contradiction ou par ironie, il y a dans Designed for Disaster un morceau judicieusement nommé Words, dans lequel les quatre musiciens égrènent en chorus avec des voix rauques et outre-tombales des mots monosyllabiques qu’ils font tourner comme des mantras. Ils sont toutefois proférés en sourdine, quasiment masqués (c’est tendance…) par la matière musicale mise en branle avec force distorsions guitaristiques et rythmes martiaux, mais on les capte quand même, et ils agissent comme une texture supplémentaire pour ajouter du relief à l’atmosphère menaçante de la pièce, et ça fait son effet !  Serait-ce une exception à la règle instrumentale de YANG ? Non.

Car l’inclusion de mots ne s’arrête pas à Words. En amont dans le disque, et à vrai dire dès le morceau d’introduction, Descendance, YANG accueille pour la première fois une voix, en l’occurrence celle de la chanteuse d’Ayşe Cansu TANRIKULU. Il ne s’agit pour autant pas d’une chanson, au sens convenu du terme. La chanteuse décline quelques phrases imbibées d’interrogations existentielles au sein d’une composition qui reste dominée par les développements instrumentaux auxquels YANG nous a habitués. Le chant intervient donc comme une « voix » supplémentaire, sans pour autant verser dans le « vocalisme » ou le « bruitisme ». Il est bien question ici de texte chanté.

Et Descendance n’est pas davantage que Words une exception, puisque l’on retrouve la voix d’Ayşe Cansu TANRIKULU sur quatre autres pièces (Migrations, Flower You et Despite Origins, ainsi que sur le déjà cité Words, mais de manière plus « chorale »). Cependant, sa présence ne change aucunement l’identité musicale de YANG, qui n’est pas devenu un groupe accompagnant une chanteuse égocentrique qui accaparerait tout le terrain… Non, sa voix n’intervient que sur certaines séquences, toujours posée et nuancée, sans excès ni éclat, laissant les éventuels élans écorchés aux guitares. Du reste, il est symptomatique que la voix se fait surtout entendre dans les moments plus pondérés de la musique de YANG ; on ne l’entend guère dans les passages plus énervés ou rageurs (même si, chez YANG, tout est affaire de mesure, de contrôle et de nuance).

Il faut dire aussi que les textes ne sont pas du genre à verser dans la prolixité, mais plutôt dans la fragmentation et dans la concision, un choix que Frédéric L’ÉPÉE tient de son attrait pour la poésie chinoise ancestrale, dans laquelle les phrases sont de préférence concises, et où les verbes et adverbes ne sont versés qu’au compte-goutte rigoureux, privilégiant davantage l’image et l’ambiance. Flower You n’est ainsi composé que de quelques expressions déclinées (« Unintentional Behaviour, Unintentional Decay (…) Unconditional Protection, Unconditional Repair… »).

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Et on retrouve dans Despite Origins un procédé proche de celui de Words, à savoir des mots – ou des groupes de mots – mis bout à bout et scandés par l’ensemble du groupe sur un ton sentencieux, ténébreux, aux accents « orffiens » (donc on ne vous en voudra pas si vous les trouvez aussi « magmaïens »…). On remarquera au passage que les mots proférés dans Despite Origins et dans Words proviennent de langues différentes (l’anglais, l’allemand, le français, et même un peu d’italien), et que leur enchaînement met en valeur leur musicalité.

Loin d’avoir eu l’intention de faire un album de chansons, YANG emploie la voix et les mots bien plus pour suggérer des impressions que pour communiquer un sens, même si les textes font montre d’une indéniable profondeur. Très loin d’être un « désastre », Designed for Disaster est non seulement un album de haute volée dans lequel les fans de YANG retrouveront tout ce qui fait le sel de sa musique, mais il fait de plus montre d’un renouvellement créatif tout à fait bienvenu et pertinent.

Stéphane Fougère

Site : www.yanggroup.fr

Page label : https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/designed-for-disaster

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